Crimes de disparitions forcées au Mali Les familles des victimes entre incertitude et désespoir

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Par croissanceafrique


Depuis l’avènement de l’indépendance sous le premier régime jusqu’à la crise de 2012, il y a eu de graves violations des droits de l’homme au Mali. Parmi elles, des «crimes de disparitions forcées» non élucidées.

Conséquence: les familles des victimes sont toujours dans le désarroi. Elles ne souhaitent qu’une seule chose: savoir si leurs proches vivent encore où ce qui leur est arrivé. S’ils sont morts, qu’on leur montre leurs tombes, afin de leur permettre de faire leur deuil.
Des passés sombres et douloureux qui continuent de hanter leur présent malgré leurs efforts. Dans sa recherche de la vérité, la Cvjr donne la parole aux victimes pour partager leurs angoisses, afin qu’elles retrouvent le soulagement et qu’il n’y ait plus ces cas qui entravent la recherche de la paix dans le pays. Ils étaient 14 victimes, dont deux femmes, à venir témoigner lors de la troisième audience publique de la Commission, vérité, justice et réconciliation (Cvjr) sur le cas de «disparitions forcées». À tour de rôle, ils passaient devant un panel composé de 5 commissaires pour exprimer leurs souffrances suite à la disparition de leurs pères, frères, maris et enfants. Et les présumés auteurs de ces crimes seraient l’Etat, sous les différents régimes, l’armée malienne et les groupes armés islamiques. Ce sont des violations graves des droits de l’homme et les défenseurs des droits de l’homme continuent à dénoncer et à demander que justice soit faite. Les mêmes abus sont commis presque tous les jours, soit par les mêmes acteurs sur le terrain. Or, l’on n’est pas sans savoir que ces crimes ont des conséquences sur les familles et la société. Parmi elles, des disparitions de personnes, de pertes de vies humaines, des méfiances entre certaines communautés et l’Etat, l’exode des jeunes, avortement forcé de plusieurs femmes enceintes, fermeture des écoles, non accès aux champs.
En effet, le cas le plus emblématique est celui de Fily Dabo Sissoko, Hamadoun Dicko et Kassoum Touré. Ce 3 avril 2021, devant le peuple malien, 59 ans après, leurs héritiers ont témoigné en groupe pour la première fois. Ils veulent savoir où se trouvent la tombe de leurs pères. Pour rappel, les trois opposants ont été arrêtés en 1962 par le régime de Modibo Keïta, père de la Nation. Jugés par un tribunal populaire, condamnés à mort et envoyés au bagne de Kidal. Selon les témoignages, ils seront exécutés peu après dans le désert malien, près d’une Oued entre Bouressa et Tazidjoumet. Morts dans une circonstance confuse, leurs enfants demandent qu’ils soient réhabilités.
«Nos pères ont été victimes de la bêtise humaine. Ils ont fait croire qu’ils étaient les ennemis de ce pays. Nous avons pardonné, mais nous n’avons pas oublié. Nous voulons qu’on nous montre leur tombe. Qu’on fasse une reconnaissance des lieux du crime. Qu’on organise une journée de prière et qu’il y ait une demande de pardon collectif», a demandé Oumar Hamadoun Dicko, ancien ministre.
Même vœu pour les deux frères d’Abdoul Karim Camara dit Cabral, leader estudiantin, arrêté en mars 1980 par le régime de Moussa Traoré. Selon ses frères, il y a eu trop de mensonge et de trahison dans ce pays. C’est pourquoi tous les présidents ont été humiliés dans l’exercice de leur fonction. Pire, pour eux, les autorités essayent toujours de corrompre les parents des victimes pour leur silence, malgré leur amertume, sans se soucieux de leurs droits. Comportements qu’il faut arrêter si les dirigeants veulent une vraie réconciliation. Que la vérité soit dite et que les bourreaux reconnaissent leurs forfaits afin qu’il y ait des vrais pardons. « Depuis 40 ans, nous sommes en train de rechercher la tombe de notre frère. Nous ne voulons pas savoir qui a fait quoi, nous voulons juste connaître où il a été enterré», a réclamé Farouk Camara, frère aîné d’Abdoul Karim Camara alias Cabral.
Récits émouvants
Des familles qui vivent dans le tourment. Elles ne savent pas s’il faut observer le deuil ou s’il faut continuer à attendre le retour de leurs proches disparus.
Mohamed Ould Issa, 54 ans, éleveur à Tombouctou, marié et père de famille, raconte qu’en 2013, quatre de ses frères, (Mohamed Ould Mouhamoud, Bilal Ould Mouhamoud, Youba Ould Mouhamoud), tous vendeurs de sel, ont été enlevés dans leurs domiciles par l’armée malienne au quartier d’Abaradjou, et ont été amenés vers une destination inconnue. Jusqu’à ce jour, la famille demeure sans nouvelle. Et durant ce temps, personne n’a compati à leur douleur. Avec la Cvjr, ils se sont sentis considérés.
«J’ai 4 frères qui font du commerce de sels entre Taoudéni et Tombouctou. Une fois rentré à Tombouctou, l’armée est venue chez eux, ils les ont attachés et ils les ont amenés. Et depuis, on n’a jamais entendu parler d’eux. Quand les parents ont appris cette nouvelle, ils se sont réfugiés en Mauritanie. Nous voulons savoir ce qui leur est arrivé. S’ils sont morts, qu’on nous le dise et qu’on nous montre là où ils sont enterrés. Nous voulons faire le deuil», a-t-il dit.
Depuis 2015, Fatoumata Traoré, 20 ans, est toujours à l’attende de son mari qui fut enlevé à Niafunké par les éléments du Mnla, alors qu’il était parti chercher une mariée à Echelle, un village, avec 5 autres hommes. Enceinte, elle a accouché 3 jours après la disparition de son mari. Pour survenir à ses besoins et ceux de l’enfant qui a 6 ans maintenant, elle prépare pour les patients dans un hôpital. Elle affirme que jusqu’aujourd’hui, elle n’a aucune nouvelle. D’après elle, les femmes des autres disparus se sont remariées, mais elle n’arrive pas à faire son deuil et veut retrouver son mari. « Je souhaite qu’on retrouve mon mari. Au moins, que je sache s’il est mort ou vivant. Que je n’ai plus de doute à ce sujet », réclame-t-elle.
Waby Barry, 52 ans, une autre victime, a affirmé que courant 2020, un vendredi, aux environs de 06 heures du matin, quatre militaires de l’armée malienne se sont rendus chez eux, à Gouma Koura (Dogofri / Niono). Ils ont enlevé de force deux de ses fils et leur ami. Il s’agit de Bocar Diallo, Amadou Diallo et Kisso Barry (leur ami). D’après elle, sous les regards impuissants de leurs enfants, leurs femmes et leurs sœurs, ils ont été menottés et jetés dans le véhicule pour une destination inconnue. Après plusieurs recherches, la famille est toujours sans aucune nouvelle d’eux. Pire, depuis, ils n’ont reçu aucun soutien de la part des voisins qui les stigmatisent. Chose qui a fait qu’ils ont quitté Gouma Koura pour aller s’installer à Bagnagathiè (Niafunké).
«Quand ils sont rentrés dans la famille, ils ont demandé si Bocar Diallo est là. Nous avons répondu pourquoi? Ils ne nous ont rien dit. Comme ils étaient présents, ils les ont amenés. À Niono, on nous a dit qu’ils sont à Ségou. Arrivé à Ségou, au camp, le chef nous a dit qu’ils ont été conduits à Bamako. Il nous a donné une note pour une dame à Bamako. Elle aussi nous a donné une note pour les chercher. On a été partout, aucune trace d’eux. Fatigués, nous sommes rentrés chez nous, désespérés. Jusqu’à présent, nous consultons les marabouts, certains nous disent qu’ils sont vivants, d’autres disent qu’ils sont morts. Nous n’avons pas d’autres moyens», narre-t-il.
Ousmane Macinanké, 41 ans, bijoutier à Kona, est marié et père de sept enfants. Il explique qu’en 2013, son père, chef des bijoutiers de Kona, âgé de 62 ans à l’époque, a été enlevé par l’armée malienne. De son enlèvement à la date d’aujourd’hui, la famille ne sait pas ce qui lui est arrivé. Lui-même a cherché partout, de Kona à Sévaré, jusqu’à Bamako, mais aucune nouvelle. Il a laissé derrière lui 03 femmes et 23 enfants. Témoin oculaire, il raconte en larme: «Un matin, un véhicule de nos forces armées s’est arrêté devant notre atelier. Trois militaires sont venus demander mon père. Il n’était pas sur place. Alors, je les ai conduits là où il se trouvait. Après l’identification, ils l’ont embarqué dans leur véhicule et ils l’ont amené. J’ai pris ma moto et je les ai suivis jusqu’à l’entrée du camp, où ils m’ont interdit l’accès. Trois jours après, ils m’ont dit qu’ils l’ont amené à Sévaré. Je suis allé chercher mon père à Sévaré et à Mopti, sans succès. Ainsi, mon père a disparu jusqu’à maintenant ; on ne sait pas s’il est en vie ou s’il est mort. Nous voulons juste avoir des informations. Chaque fois les plus petits demandent où est leur père ; nous sommes obligés de leur mentir ». Il n’en revenait pas que ça soit l’acte des soldats maliens qu’ils ont applaudis pour la libération de Kona. Pire, la famille est indexée dans la ville car, ce sont les militaires qui ont amené leur père.
Mohamed Ould Lyenne, 63 ans, éleveur à Almoustrate (Gao), est marié et père de 11 enfants. Il affirme que son frère a été enlevé en 2018 par quatre personnes sur deux motos, à Tamakoutate, dans la région de Gao. Selon lui, ces personnes appartiennent aux groupes armés islamistes. «J’ai appris étant à Diéma que 4 hommes bien armés sont venus à moto. Ils ont demandé mon frère, ils l’ont amené avec eux. 3 mois après, un autre convoi de voiture est venu ; ils ont pris mon cousin. Et depuis, toute la famille s’est dispersée. Mohamed a laissé ses enfants qui sont à sa charge.

Vue des activités tenues à Bamako


Mossa Ag Bogeïdata, 63 ans, a relaté qu’en 1991, son cousin, Ousmane, berger de son état, fut enlevé par l’armée malienne en compagnie de 13 autres personnes, alors qu’il abreuvait son troupeau. D’après lui, certains ont été libérés après, et ils sont cinq, y compris son cousin, à être portés disparus ; alors qu’ils étaient détenus dans le camp militaire à Tin Essako, dans la région de Kidal.
«Cette scène s’est passée en 1991, où il a eu une crise entre l’Etat et les populations dans ma localité. L’armée a quadrillé la ville et a arrêté beaucoup de gens dont mon cousin. J’ai été voir l’Amenokal de Kidal pour son intervention. J’ai trouvé qu’il y avait le même scénario. À mon retour, mon cousin est introuvable jusqu’à aujourd’hui. Il a laissé une famille derrière lui et plusieurs enfants. Jusqu’à présent l’Etat procède à ce genre de situation dans notre zone. Chaque fois on donne des noms pour nous exterminer. On nous appelle Mujao ou Al-Qaïda. En réalité, c’est une excuse pour commettre leur forfait. Personne ne vient nous aider», a-t-il regretté.
Malgré leurs souffrances, les victimes n’aspirent qu’à la paix. Elles demandent à l’armée d’éviter l’amalgame et à l’Etat d’avoir un regard sur les ayant droits. Pendant ce temps, les mêmes atrocités sont commises sur les populations civiles au Centre et au Nord du pays. Il faut se demander si l’on apprend vraiment de nos erreurs.


Moussa Sékou Diaby

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Croissance Afrique (sarl) est un Média multi-support qui propose plusieurs rubriques axées sur l’actualité économique du continent. Le magazine est un journal (en ligne dont un mensuel disponible dans les kiosques à journaux) qui traite spécialement les informations financières dédiées à l’Afrique. Il est également le premier média malien spécialisé dans la production d’Informations Économiques, financières, Stratégiques, et orienté vers le reste du monde. Le Magazine a été fondé en Novembre 2017 à Bamako.

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