(CROISSANCE AFRIQUE)-Dans un monde en perte de repères, les doctrines politiques, les modèles économiques et les philosophies sociales issus de l’Occident ne parviennent plus à répondre aux crises actuelles. Karl Marx, John Maynard Keynes, Rawls, Hayek, Schumpeter, Tocqueville… tous ont nourri des générations d’intellectuels.
Mais aujourd’hui, leurs modèles ne permettent ni de pacifier les sociétés, ni de réduire les inégalités, encore moins de redonner une direction claire à l’humanité. Leurs discours, autrefois perçus comme révolutionnaires, peinent désormais à guider les nations dans un monde devenu trop complexe, trop fragmenté, trop spirituellement vide.
Et pourtant, un homme d’Afrique, au cœur du Sénégal, a proposé un modèle alternatif, puissant, enraciné, pacifique, profondément humain : Cheikh Ahmadou Bamba.
Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké (1853-1927) est un guide spirituel sénégalais, fondateur du mouridisme, l’une des plus importantes confréries soufies d’Afrique. Face à la colonisation, il opposa une résistance pacifique mais ferme fondée sur le savoir, le travail, la prière, la discipline et l’endurance. Exilé par les autorités françaises pendant de longues années, il n’a jamais prôné la violence mais a construit une voie originale d’émancipation par la foi, la discipline et l’éthique du travail. Son héritage intellectuel et spirituel continue d’inspirer des millions d’Africains dans leur quête de dignité, de développement et de souveraineté.
Cheikh Ahmadou Bamba n’a pas seulement résisté au système colonial, il a élaboré un modèle de société, fondé sur le travail, la paix, la spiritualité, la justice sociale et la dignité humaine. Ce modèle n’a rien à envier aux systèmes politiques et économiques dominants. Il les dépasse même sur plusieurs plans : éthique, stabilité, rapport à la richesse, à l’autorité et au vivre-ensemble.
Son approche, articulée autour de la centralité de l’homme et de sa relation à DIEU, rejette la domination matérielle, l’exploitation, la violence. Elle promeut un développement par la vertu, la connaissance, la solidarité. À l’heure où la planète suffoque entre capitalisme sauvage et replis identitaires, Cheikh Ahmadou Bamba propose un équilibre : produire sans exploiter, croire sans diviser, diriger sans asservir.
Ce message, j’ai pu en mesurer toute la force au fil de mes engagements dans le domaine du développement. Comme cadre d’une institution multilatérale appartenant à 14 pays, j’ai participé à plusieurs Assemblées Annuelles de la Banque Mondiale et du FMI, un peu partout dans le monde, où j’ai vu les experts internationaux débattre sans fin des problèmes de pauvreté, de croissance, de dette et de gouvernance. Ces discussions, malgré leur technicité, manquent souvent d’efficacité mais aussi d’un socle moral profond et d’une vision intégrée.
Aujourd’hui, alors que l’Afrique cherche encore son modèle, alors que le monde tourne en rond, il est urgent de se tourner vers nos propres génies, nos propres fondations. Et Cheikh Ahmadou Bamba en est un. Il ne s’agit pas ici de discours religieux. Il s’agit d’un modèle de civilisation.
Ce texte est le premier d’une série de huit tribunes dans lesquelles je montrerai par la grâce de DIEU que le modèle de demain a déjà été construit. Il est africain, enraciné, universel. Il est le fruit d’un homme dont le projet dépasse les clivages. Il est temps de redonner au monde ce que l’Afrique a déjà su produire : une boussole pour l’avenir.
Tout au long de ces tribunes je passerai en revue les inputs du modèle ainsi que ses résultats concrets
Cette série de tribunes ambitionne de revisiter, avec les outils de l’analyse contemporaine, les fondements, la structure et les apports du modèle bâti par Cheikh Ahmadou Bamba. Tous les trois jours, une nouvelle réflexion sera partagée, autour de l’une des grandes forces de ce modèle ou des défis qu’il doit affronter dans un monde de plus en plus complexe.
La prochaine tribune, qui sera publiée le samedi 26 juillet, abordera ainsi le thème suivant :
« UNE GRANDE CAPACITÉ À BÂTIR DES HOMMES VERTUEUX ».
Nous y reviendrons sur l’homme inspiré qu’était Cheikh Ahmadou Bamba, ainsi que sur la profondeur pédagogique de son système éducatif.
Là où les écoles économiques de tous les temps ont mis l’accent sur les équilibres, les indicateurs et les flux, Cheikh Ahmadou Bamba commence par la fabrication de l’homme.
Mettre les indicateurs avant la formation morale, c’est mettre la charrue avant les bœufs — et c’est là que prennent racine bien des désordres de notre temps.
Magaye GAYE
Économiste international
Ancien Cadre de la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD)