Interview Exclusive avec le Banquier et analyste de crédits Senior, Oumar Wandé Kamissoko sur les questions de financement des PME/PMI en Afrique

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(CROISSANCE AFRIQUE)- Nationalité Malienne, Oumar Wandé Kamissoko est un banquier, occupant la fonction d’analyste de crédits Senior à la Banque Internationale pour le Commerce et l’Industrie au Mali (BICIM Atlantic Group). Brièvement, cette fonction consiste à apprécier et à émettre un avis sur la capacité des demandeurs de crédits à honorer adéquatement les engagements sollicités. Il a exercé par ailleurs dans la filiale malienne du groupe United Bank for Africa (UBA) en qualité d’analyste risques de crédits puis à la Banque Nationale de Développement Agricole (BNDA) comme cadre commercial. Aujourd’hui, il aborde avec nous, les problématiques axées sur le financement des PME/PMI en Afrique: défis et perspectives. Lisez son interview à travers votre magazine panafricain CROISSANCE AFRIQUE.

Oumar Wandé Kamissoko, Banquier et analyste de crédits Senior à la BICIM Atlantic Group

1-Pouvez-vous,-vous présenter à nos lecteurs?

Oumar Wandé KAMISSOKO : Je suis de nationalité Malienne et j’évolue dans le secteur bancaire de mon pays. A ce jour, j’occupe la fonction d’analyste de crédits Senior à la Banque Internationale pour le Commerce et l’Industrie au Mali (BICIM Atlantic Group). Brièvement, cette fonction consiste à apprécier et à émettre un avis sur la capacité des demandeurs de crédits à honorer adéquatement les engagements sollicités. J’ai par ailleurs exercé dans la filiale malienne du groupe United Bank for Africa (UBA) en qualité d’analyste risques de crédits puis à la Banque Nationale de Développement Agricole (BNDA) comme cadre commercial.

2-Quel est votre parcours Universitaire?

Oumar Wandé KAMISSOKO : Je suis titulaire d’un Master en Ingénierie financière obtenu en 2017avec la mention très bien au rang de major de promotion à l’Université Montplaisir Tunis (UMT/FMCI). Mon master a été précédé, naturellement, par l’obtention d’une licence en Finance dans la même université avec la mention très bienau rang de major de promotion.

3-Parlez-nous un peu des contours du Financement des PME en Afrique?

Oumar Wandé KAMISSOKO : Le financement des PME/PMI en Afrique est caractérisé par plusieurs difficultés d’ordre intrinsèque même aux PME/PMI (manque, voire absence d’organisation, activités reposant sur une seule personne qui est l’homme clé, utilisation de canaux informels pour la conduite des activités, business model non optimisé, accès difficile à l’information…) mais aussi par des facteurs exogènes comme la faible veille des Etats sur le respect des règlementations des différents secteurs pour une équité et concurrence loyale, les longs délais de paiement de Etats eux-mêmes lorsque ces PME/PMI exécutent des marchés publics, la corruption…

4- Le Cas du Mali?

Oumar Wandé KAMISSOKO : Le Mali ne fait pas exception, il y a bien même une accentuation sur les différents points relevés plus haut quand l’on sait que souvent les mandats à payer par l’Etat aux PME/PMI  ou certaines subventionsaccordées aux établissements publics accusent de longs retards pouvant excéder les 12 mois. Les lecteurs pourront dès lors avoir une idée que cela peut peser sur la trésorerie structurellement fragile des PME/PMI.

5-Avez-vous des explications à donner sur les difficultés que vivent les banques?

Oumar Wandé KAMISSOKO : Les principales difficultés que rencontrent les banques dans le financement des PME/PMI résident dans l’identification, la maitrise des différents risques de crédits et la structuration des financements alors que ces PME/PMIutilisentpour la plupart des moyens informels pour la conduite de leurs activités.

De plus, les informations financières nécessaires à une appréciation des fondamentaux financiers et de rentabilité de l’entreprise sont rarement fiables car non audités (même quand ces PME/PMI sont dans l’obligation règlementaire d’embaucher un commissaire au compte) et ne traduisent pas le niveau réel d’activités des PME/PMI. Il n’est pas aussi rare de voir certaines PME/PMI qui ne possèdent pas d’états financiers et une comptabilité claire. Dans ce cas, le banquier sera obligé à travers des techniques d’évaluer le niveau d’activité de la PME/PMI.

« Certaines pratiques opaques poussent le banquier à être davantage prudent dans une activité naturellement risquée »

Je rappelle ce secret de Polichinelle de la plupart de nos PME/PMI (pour celles qui élaborent des états financiers) et même de certaines grandes entreprises locales sur le nombre d’états financiersqu’elles élaborent notamment au nombre de trois dont un pour les services fiscaux où la rentabilité dégagée est faible afin de payer moins d’impôts sur les sociétés, un autre pour les banques où la rentabilité est surestimée pour paraitre solvable et en fin un pour le promoteur lui-même afin d’avoir la situation réelle de l’entreprise.

Par conséquent, ces pratiques opaques poussent le banquier à être davantage prudent dans une activité naturellement risquée.

« Les politiques de financement de la plupart des banques excluent les titres précaires (lettre d’attribution, permis d’occuper) »

Une autre difficulté se trouve dans l’obtention de garanties sûres dont les plus fréquentes sont les hypothèques. Les PME/PMI possèdent rarement des titres fonciers de grandes valeurs ou couvrant intégralement les crédits sollicités. A noter que les politiques de financement de la plupart des banques excluent les titres précaires (lettre d’attribution, permis d’occuper) au regard des problèmes fonciers de nos pays mais aussi des textes du dispositif prudentiel (Bâle II et Bâle III) qui reconnait les titres fonciers parmi les garanties éligibles et non les titres précaires.

Certains diront que le crédit n’est pas conditionné à la garantie. Certes, mais la garantie est pour le banquier ce qu’est une roue secours pour un automobiliste.

Le Banquier et analyste de crédits Senior, Oumar Wandé Kamissoko s’exprimant sur les questions de financement des PME/PMI en Afrique

6-Comment voyez-vous des différentes crises qui ambrassent le secteur des PME ?

Oumar Wandé KAMISSOKO : L’économie entière du pays a été touchée. Cependant, les PME/PMI étant fragiles et moins résilientes aux chocs, ont été les plus affectées par les récentes crises (Covid 19, situation sécuritaire précaire et sociopolitique instable, embargo) qui ont frappé le Mali et dont les conséquences se font toujours ressenties.

« Le risque pays dans l’appréciation des demandes de crédits »

Ces différentes crises ont favorisé une faillite de nombreuses PME/PMI, une récession de l’activité pour les entreprises en général, une accentuation de l’intensité concurrentielle car le marché s’est rétréci et un manque à gagner énorme. A titre d’illustration, une grande partie du centre jusqu’au nord du pays n’est pas aisément accessible aux PME/PMI pour l’exercice de leurs activités au regard de la situation sécuritaire et rares sont les banques qui sont prêtes à accompagner les PME/PMI dans ces zones.

A ce jour, toutes les banques incorporent ces différents risques (sanitaires, sécuritaires, embargo, politiques) autrement dit le risque pays dans l’appréciation des demandes de crédits et peut motiver un refus de demande de crédits.

7-Quels sont les défis auxquels, les structures de financement sont confrontées ?

Les principauxdéfis restent l’identification et la maitrise des risques intrinsèques des PME/PMI mais aussi des risques exogènes afin de faciliter l’accès aux PME/PMI aux financements. Cela nécessite une transparence des activités des PME/PMI, une meilleure organisation de leur part et l’utilisation de canaux formels au détriment de moyens informels. Le banquier est un professionnel qui ne peut se substituer aux dirigeants d’une PME/PMI.

Il est utile de mentionner que d’après la BCEAO, les PME/PMI représentent entre 80% et 95% des entreprises recensées selon les Etats.

« Des PME/PMI sont appelées à devenir des grandes entreprises locales »

Les PME/PMI contribuent fortement à la baisse du taux du chômage et sont sources de création de richesse pour le pays. Les banques et établissements financiers se doivent de développer des produits adaptés à ce segment de clientèle à travers des programmes de financement ou encore « product program » dans le jargon anglophone et ce dans leurs propres intérêts car ces PME/PMI sont appelées à devenir des grandes entreprises locales qui permettront une meilleure rentabilité des banques et établissements financiers.

 8-Avez-vous, une  analyse personnelle sur  le comportement des clients qui concoctent les dettes ?

Oumar Wandé KAMISSOKO : L’activité de banque est une activité risquée. Bien qu’avec toutes les diligences qui peuvent être accomplies par les banques, certains clients sollicitent un crédit avec l’intention de ne jamais rembourser dès le départ. Ce comportement est fort déplorable et ces clients ne mesurent pas l’impact de cette attitude à moyen et long terme et même sur leurs proches.

En revanche, certains clients ne sont pas de mauvaises foi mais sont négligents et ne mesurent pas les obligations liées à l’obtention d’un crédit. Le crédit est d’abord basé sur la moralité du client et la confiance que la banque lui accorde. Un client qui n’honore pas ses engagements, sciemment ou inconsciemment, entache la confiance que la banque lui accorde.

9-Selon vous, quels rôles doivent  les banques et les institutions financières pour  faire face aux  risques ?

Oumar Wandé KAMISSOKO : Les banques et institutions financières ont une vue d’ensemble sur l’économie et tous les secteurs d’activité. Elles se doivent de jouer des rôles de conseils aux entreprises en les aidant à mieux s’organiser etse formaliser tout en adoptant des schémas de financement structurés.Les banques se doivent également de renforcer la surveillance de leurs engagements afin d’anticiper tout risque de dégradation de leur portefeuille.

Elles peuvent également servir de lien entre leurs propres clientsde bonnes signatures dans un contexte de chaine de valeur en favorisant des relations« client-fournisseur ».

10-A l’instar des Banques qui évoluent dans le Financement des PME en Afrique. Pourtant, il des fonds de garanties qui font ce travail à la place des Banques. Cette pratique n’est-elle pas un obstacle   pour les Banques ?

Oumar Wandé KAMISSOKO : Absolument pas ! bien au contraire, ces fonds de garantie viennent atténuer les risques que les banques prennent sur les clients PME/PMI car elles garantissent une partie des crédits accordés par les banques aux PME/PMI. Ces mêmes fonds de garantie sont très utiles pour compenser l’absence de garanties réelles des PME/PMI lorsqu’elles sollicitent des crédits.

« Le FGSP à l’instar des autres fonds de garantie ne sont pas des concurrents directs mais plutôt des partenaires »

A titre d’illustration, au Mali, le Fonds de Garantie pour le Secteur Privé (FGSP) est un fonds de garantie auprès duquel les banques ou même les PME/PMI et grandes entreprises locales font recours pour renforcer les garanties lors des demandes de crédits. Le FGSP à l’instar des autres fonds de garantie ne sont pas des concurrents directs mais plutôt des partenaires qui concourent aux financements des PME/PMI.

11-Quelles doivent êtres les perspectives tant pour des Banques et institution Financières, tant les PME en 2023 ?

Oumar Wandé KAMISSOKO : Les perspectives doivent être de suivre le dynamisme de la reprise économique après les crises qu’a connues le Mali. Les banques sont déjà dans cette dynamique bien visible à travers les chiffres consolidés des banques maliennes pour un encours de crédit total à la clientèle qui se chiffre à 3 614 milliards Fcfa au 30/09/2022 contre 3 459 milliards Fcfa en juin 2022 (à la fin de l’embargo) soit une hausse de 4.5% en seulement 3 mois. L’on doit tout de même avouer que la part des PME/PMI dans ce total crédit est très marginale.

Bien qu’avec cette reprise de financement, les différentes échéances électorales courant 2023 et dont la présidentielle prévue pour février 2024 auront sans doute des impacts négatifs sur l’appétit des banques pour le financement de certains secteurs et projets corrélés à l’Etat ce qui aura surtout une conséquence sur le financement des PME/PMI.

12-Votre mot de fin?

Il est important de garder en tête que les banques et établissements financiers restent aussi des entreprises qui visent à dégager de la rentabilité pour leurs actionnaires à l’instar des PME/PMI. Pour ce faire, elles mesureront toujours les risques à prendre et au besoin demanderont le niveau de couverture jugé adéquat pour le financement d’une PME/PMI.

« s’intéresser à d’autres alternatives de financement »

Ces dernières doivent mieux s’organiser, être transparentes avec les banques et établissements financiers et formaliser leurs activités. Les PME/PMI doivent s’intéresser à d’autres alternatives de financement comme solliciter les structures financières décentralisées (SFD) qui elles sont parfois mieux outillées, pour certains financements, que les banques avec une appétence plus grande même si les taux d’intérêts sont plus élevés.

En fin, j’invite les banques à davantage s’intéresser au dispositif de soutien au financement des PME/PMI qui prévoit des avantages tant pour les banques que pour les PME/PMI.

Réalisée par Daouda Bakary Koné

croissanceafrik
croissanceafrikhttp://croissanceafrique.com
Croissance Afrique (sarl) est un Média multi-support qui propose plusieurs rubriques axées sur l’actualité économique du continent. Le magazine est un journal (en ligne) qui traite spécialement les informations financières dédiées à l’Afrique. Il est également le premier média malien spécialisé dans la production d’Informations Économiques, financières, Stratégiques, et orienté vers le reste du monde. Le Magazine a été fondé en Novembre 2017 à Bamako.

2 Commentaires

  1. Bonjour cher internaute, j’ai lu avec beaucoup d’intérêt l’interview accordée à Mon cher frère Kamissoko que je connais depuis les études en Tunisie, je trouve que ses réponses accordées aux différentes questions sont réellement satisfaisante.
    En outre je suggère pour une prochaine de mieux aborder le volet de la corruption car selon moi elle est une plaie qui s’infecte du jour au jour au Mali voir l’Afrique afin d’apporter des solutions curables pour une économie plus compétitive.

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