(CROISSANCE AFRIQUE)-En ce jour empreint de mémoire, alors que nous nous unissons pour communier et célébrer l’anniversaire du rappel à Allah du Président Amadou Toumani Toure, le soldat de la démocratie, j’aimerais demander à nos compatriotes de porter dans leurs cœurs une pensée pieuse pour le grand Africain et homme d’État que fut notre ancien Président.
Comment célébrer ATT ?
L’enfant de Soud Baba que le destin a propulsé aux yeux du monde dans une ville chargée de flammes et de braise en ce 26 mars 1991, s’est révélé au fil des des mois et des années comme l’incarnation de l’estime et de l’amour que n’ a cessé de lui porter le peuple malien. Au-delà, ceux de Centrafrique et de Guinée le célébreront comme un saint laïc , car ce para commando, formé pour ‘tuer’ comme il le dit lui-même, s’est plutôt illustré au service de la paix et du développement du continent. Il souviendra à tous son combat contre le ver de Guinée, les maisons sociales et l’ AMO au Mali et la médiation en Centrafrique.
Même s’il survient dans notre histoire, à une époque différente des années modibiennes ou sekoutouréenne, par son serment et par son action, ATT est entré au panthéon des grands personnages de l’histoire contemporaine africaine.
Les générations d’avant 1992, celles qui n’ont pas connu les avancées actuelles des libertés démocratiques savent ce qu’elles doivent au Para commando de Djikoroni. Après avoir l’avoir voué aux gémonies, au lendemain de sa chute, certains contempteurs ont fini par faire preuve de résipiscence. C’est tout à leur honneur. Le temps étant l’autre nom de la vérité, ils ont eu le courage de s’amender chez cet homme qui ignore la rancune. Ils ont pu réaliser la dimension du grand homme en revisitant des jugements parfois trop hâtifs, pour ne pas dire sommaires.
J’ai eu la chance d’être son collaborateur même si je n’étais pas dans l’organigramme de Koulouba. J’ai effectué, à sa demande, des missions, au-delà du périmètre de ma juridiction, en compagnie de son brillant, discret et fidèle Sissouma. Puis il m’a fait l’honneur d’intégrer l’équipe de communication de campagne qui officiait sous la direction de ce dernier pour sa réélection. Il me fit venir de Bruxelles pour travailler avec ce dernier et les inusables Hamed Diane Sèmega et El Hadj Hamidou Kasse, futur Ministre Conseiller de Macky Sall du Sénégal et tant d’autres qu’il serait surabondant de citer. Amadou Diop de DFA a évoqué cette période palpitante dans son livre « La com, ma vie ». Cette mission de trois mois, comme il me l’avait lui-même précisé, durera finalement plus de six mois. Je n’avais eu auparavant aucun lien, avec son entourage, en dehors de mon condisciple de l’ENA , Alboukader Arby qui lui parlait de moi en termes de superlatifs absolus. Cela ôtait un premier mystère à ma présence ; il y’eut certainement d’autres interventions dans son cercle d’amis, certainement celle Abdoullah Coulibaly d’IHEM. En effet même si je l’avais connu avant pour avoir fait partie de sa délégation à une rencontre d’ASPEN France, j’ignorais jusque-là celui qui l’avait instigué à me faire venir.
Ni lien politique donc, ni également appartenance syndicale ou associative ! j’ai vite compris, aux côtés de ses collaborateurs d’alors pourquoi cet homme était si adulé par son entourage.
ATT était un homme à l’esprit agile qui vous séduisait par sa simplicité, avec un trésor sans fin de proverbes et un sens inégalé de l’humour . Dans les rencontres de groupes de travail, il avait un réel esprit de synthèse; ce qui facilitait le travail de ses hommes. Il lui arrivait de s’inviter dans les groupes de travail de la présidence et les documents natifs portaient parfois son empreinte. Beaucoup d’idées premières venaient de lui.
Il savait convaincre en émettant des idées simples et pratiques. N’est ce pas là, le trait véritable du génie ? !
Dans notre journal de campagne pour l’élection de 2007, j’avais tenté dans un article, d’expliquer le projet de « consensus politique » qu’il souhaitait le mettre en œuvre, en tant que fondement d’une nouvelle pratique politique au Mali et en Afrique; un syncrétisme impossible malgré ses convictions dans l’univers manichéen de la classe politique malienne.
Le consensus était loin d’être chez lui un argument de campagne, mais une pensée politique profonde tirée de sa connaissance du terroir et de sa volonté de réunir, au-delà de leurs clivages et de leurs clanisme, des hommes qu’il estimait tous liés par la parentèle et l’amour de leur pays. Le consensus n’était pas non plus une idéologie (même s’il récusera ce mot, n’étant point lui-même idéologue). Ce concept mériterait d’être enseigné dans nos écoles de sciences politiques, comme une tentative historique originale d’approche de la vie publique en Afrique. Le consensus attestée ET tient surtout de l’ imaginaire sartrien, un socle profondément enraciné dans notre histoire millénaire, une forme achevée de l’arbre à palabre. On comprend alors pourquoi le dialogue est une seconde nature chez lui.
Il me faut maintenant évoquer une autre facette du Président qui révèle l’homme d’État en action. Il faut dire que ATT ne s’enfermait jamais dans les recommandations de rapports officiels. Il les lisait et les annotait avec application et pouvait rappeler leur contenu des mois plus tard, servi par une mémoire phénoménale. De multiples contacts de confiance dans le pays et à l’étranger, l’aidait à se faire sa propre religion sur les différents dossiers et affaires. Par courtoisie, aussi il recevait et écoutait beaucoup mais ne s’en laissait jamais conter.
Un exemple significatif : Alors qu’une campagne ignominieuse était en cours au Mali et en Europe contre un de ses futurs ministres, ATT a pu faire preuve de discernement, d’intelligence et de caractère. Il n’a pas cédé aux pressions extérieures et aux manœuvres. Lorsque l’affaire dite du CDE a éclaté, il m’avait demandé de lui dire quelle était ma compréhension de cette affaire qui qui mettait en cause un de ses amis proches. J’étais à l’epoque, en charge de ce secteur et de la BEI ( banque européenne d’investissement) , en plus de mes attributions relatives à l’Assemblée Parlementaire Paritaire -Union Européenne Afrique Caraïbes. Pacifique( ACP UE ) au sein de la mission du Mali en Belgique.
Dans les cercles importants, la rumeur donnait Mr Sow comme le futur Chef du Gouvernement du Mali. Cet homme m’apparaissait comme une vraie chance pour le MALI, de par sa connaissance des institutions européennes, nos principaux partenaires). Il était, aussi le concepteur de la trame de ce qui deviendra le cœur du projet d’ATT, le PDES ( PROGRAMME DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ET SOCIAL). Logique donc qu’il conduise l’action du futur gouvernement. Un sujet brillant, diplômé de l’Institut National des Sciences et Techniques Nucléaires de Saclay l’une des plus grandes écoles de France et titulaire d’un Doctorat de la production Mr Sow dirigeait, à l’époque, le CDE, l’une des institutions phares de la coopération ACP- UE à Bruxelles. Je fis part au Président de mon analyse et mon rapport conclusif suite à sa commande s’ illustrait autour de deux arguments qui avaient l’évidence d’être à la fois imparables et complémentaires :
1-Notre compatriote avait des responsabilités certes importantes au sein du CDE , mais il avait aussi des supérieurs qui eux avaient le pouvoir de signature. Difficile de croire qu’il a pu avoir une influence de nature telle qu’il puisse les obliger alors que les projets engageaient leur responsabilité directe sur le plan juridique.
2-L’enquête de l’UE était exclusivement dirigée à charge contre SOW. Il me paraissait étonnant pour ne pas dire incompréhensible que les enquêteurs de l’UE n’aient jamais songé à demander à ses supérieurs hiérarchiques ce qui a pu être leur rôle dans la conclusion des contrats, même si les procureurs spéciaux auto investis pointaient le fait que le Mali aurait été ( le conditionnel étant de rigueur) favorisé dans les marchés incriminés.
ATT me remercia plus tard au cours d’une des audiences qu’il m’accordait pour l’avoir aidé à démêler cette affaire où les fausses vérités et les faux semblants étaient nombreux. Malgré toutes les pressions de l’UE, ATT a fait venir Sow et l’a nommé dans son gouvernement alors même que des dossiers importants du Mali étaient pendants. Des années plus tard, le Ministre malien qui avait , entre temps porté plainte contre les organes européens remporta le procès qu’il avait intenté contre l’UE. A y regarder de près, ce n’est certainement pas la chose la plus facile à réussir pour un cadre africain, même de ce niveau. La presse qui n’avait pas fait preuve d’impartialité se fit à ce moment, plus discrète. Mais le mal était fait et l’ objectif atteint.
Je ne pense pas que notre pays ait gagné dans cette triste affaire qui a révélé la force de caractère d’ATT et sa subtilité à démêler l’ écheveau de certaines influences. Ce trait s’est confirmé lorsqu’il a refusé de faire partie de la conjuration sarkozienne internationale contre Kadhafi, une question vitale de fraternité et de dignité que son entourage peut confirmer. Il avait une prescience des risques encourus. En homme de courage, il a assumé cette lourde décision. on a vu plus tard ce qu’il lui en coûta.
Heureusement la vie le réhabilitation vis-à-vis de son peuple . La question simple que l’on aurait pu et du se poser dans cette affaire du CDE , c’est pourquoi l’UE a utilisé pendant des années ce cadre qui a gravi les échelons de sa hiérarchie et ne lui a trouvé noise qu’au moment où il devait, selon les informations, avoir de très hautes fonctions au Mali. Mon opinion personnelle et dont je ne me suis jamais départi, c’est que Hamed Sow était un cadre intègre , d’une compétence avérée et telle qu’il forçait le respect des responsables européens. Il n’y avait probablement pas de moyens de pressions sur lui et le Mali était au centre de plusieurs enjeux. Ils apparaissent plus clairement maintenant. Cette triste affaire m’aura valu des inimitiés tenaces lorsque certains ont su cette intervention que me dictait ma seule conscience et ma loyauté envers le Président. Je n’ ai tenu aucune cure de leurs opinions et Mr Sow lui-même n’aura su cela que bien plus tard. D’autres interventions ont aussi fondé sa conviction car il consultait beaucoup.
Une autre situation s’est greffée à cette affaire et l’a complexifiée : le Conseil d’Administration du CDE ne voulait pas liberer son Directeur pour aller travailler dans au Mali avec la justification que des réformes importantes étaient en cours au sein de l’institution. En effet, les membres du CA avaient exigé un préavis de 12 mois, le temps pour eux de pouvoir recruter un nouveau Directeur. Argument pour le moins imparable. C’est l’ambassadeur Ibrahim Bocar Ba (paix à son âme) qui pu ramener ce délai à 6 mois. Ce qui du reste a joué, en partie, sur le choix du PM à l’époque, mais le président a tenu son engagement. Il a choisi à la place de Mr Sow un cadre de grande intégrité dont l’ expérience administrative était incontestable , respecté au Mali.
Malheureusement en Afrique, nous perdons nos cadres de valeur parce que certains d’entre nous privilégient leur intérêt personnel au détriment de l’intérêt public. Il me faudrait pour être complet, souligner que, sans aucun intérêt personnel, Mr Sow a été d’ un appui déterminant et constant à l’ équipe de conseillers évoluant autour du respectable et respecté Chargé d’Affaires Labasse Fofana . Il a continué avec le même engagement à travailler » Embedded » avec nous quand Ibrahim Bocar Ba nous a rejoint. En partie aussi, grâce à lui, tous les financements FED du Mali au niveau de l’UE ( dont certains étaient en hibernation depuis l’époque du Président Moussa Traore) ont pu être mobilisés. ATT a reconnu ces resultats. Ne disait-il pas que Ibrahim Bocar BA était le » meilleur de ses Ambassadeurs ». ?!
C’était en présence du Ministre des Affaires Étrangères Moctar Ouane. – Je voudrais terminer cet hommage, par une note plus singulière et peut être plus contestable de l’homme ATT, en parlant de son humilité et son sens de la patience. De passage à Bruxelles, en route pour La Libye , deux photo reporters de sa délégation avaient mis du temps a rallier l’aéroport de Zaventem. Un retard important et donc dommageable car le Président était attendu pour une réunion importante à Tripoli. Devant cette situation imprévue, nous avons décidé de faire monter le Président dans l’avion présidentiel Après avoir pris son mal en patience le Président finit par accepter.
C’est au moment où les moteurs vrombissaient que les deux retardataires se sont présentés. Contre toute attente, ATT fit rouvrir l’appareil et descendit à la passerelle pour inviter les < jeunes gens> à embarquer avant d’embarquer à son tour ; Sans oublier de seriner quelques mots d’humour comme à son habitude. Ce geste simple et significatif est à la dimension de sa grandeur d’âme. Ce phare d’espoir ne meurt pas. Par sa vision, sa vie et ses combats, il nous aura montré le chemin. Ses réalisations resteront gravées dans la mémoire collective de chaque malienne et malien comme autant de perles précieuses sur le fil du temps
Je sais et l’on objectera que je n’ai parlé que de ses qualité et pas de ses défauts. Qui n’en a pas ? L’erreur est toujours fille de l’action. Mais comme le dit si bien Senghor, » prenons chez les gens plus leurs qualités que leurs défauts ».
Repose en paix Amadou Toumani Toure, à la droite du seigneur et sous sa protection
Qu’ Allah Azawajel te réserve le meilleur du paradis firdaws.
Amen
Par Mohamed ASKIA, Ex-Conseiller Diplomatique de la République du Mali
