Par Harouna Niang, ancien Ministre de l’Industrie, du Commerce et de la Promotion des Investissements du Mali
« L’Histoire ne se répète pas, mais elle rime souvent », disait Mark Twain. Aujourd’hui, les peuples africains font face à une nouvelle rime de l’Histoire : celle des minéraux critiques, essentiels à la transition énergétique mondiale. Allons-nous encore céder nos richesses contre des promesses, ou allons-nous saisir cette opportunité historique pour changer le destin du continent ?
Une conjoncture mondiale inédite
L’Afrique, longtemps reléguée au rôle de pourvoyeuse de matières premières, est aujourd’hui au centre des enjeux géostratégiques liés aux minéraux critiques : lithium, cobalt, cuivre, terres rares, graphite… Ces ressources sont le cœur battant des nouvelles technologies – batteries électriques, panneaux solaires, éoliennes, semi-conducteurs, télécommunications.
Dans les 20 prochaines années, la demande mondiale pour ces minerais va tripler, voire quadrupler. Or l’Afrique détient environ 30 % des réserves mondiales connues de ces ressources. Le continent est donc en position de force. Mais cette force restera illusoire si elle n’est pas structurée politiquement, juridiquement et économiquement.
L’Afrique ne doit pas répéter les erreurs du passé
Pendant des décennies, le continent a été dépossédé de la valeur de ses ressources : or, pétrole, diamant, uranium, coton. Les retombées locales ont été dérisoires face aux milliards de profits transférés vers d’autres continents.
Aujourd’hui, le risque est clair : une transition verte mondialisée, alimentée par des minéraux africains extraits et exportés sans transformation locale, avec des impacts environnementaux et sociaux lourds.
Sans stratégie collective, les investissements étrangers actuels (Chine, États-Unis, Union européenne, Inde) risquent encore de reproduire un schéma extractif néocolonial, maquillé cette fois aux couleurs de l’écologie.
Ce que l’Afrique doit faire maintenant
- Transformer localement les ressources
Nos pays doivent imposer :
• des obligations de transformation locale (raffinage, fabrication de batteries, composants électroniques) ;
• des partenariats industriels équitables (avec transfert de technologies et montée en compétences des jeunes Africains) ;
• des zones économiques spéciales intégrées pour les minéraux critiques.
- Négocier collectivement sous l’égide de l’Union africaine
La ZLECAF et la Stratégie africaine des minéraux verts (AGMS) doivent servir de socle pour :
• définir des standards communs sur la fiscalité, la transformation locale, la durabilité ;
• empêcher la mise en concurrence destructrice entre États africains ;
• créer un marché commun africain des matériaux critiques, valorisant la coopération sud-sud (notamment avec l’Inde, l’Amérique latine, les BRICS+).
- Assainir la gouvernance minière
Il est temps :
• de renégocier les conventions déséquilibrées ;
• d’exiger la transparence des contrats et une redistribution équitable vers les collectivités locales ;
• de criminaliser la corruption minière, véritable fléau silencieux qui ruine nos perspectives.
Un changement de paradigme est possible
L’Afrique peut passer de l’extraction à la transformation industrielle, de la dépendance aux rentes à la souveraineté productive, du statut de spectateur à celui d’acteur stratégique mondial.
Ce n’est pas une utopie. L’Afrique a des ressources. Elle a une jeunesse dynamique. Elle peut compter sur des partenaires alternatifs qui ne viennent pas imposer, mais proposer. Encore faut-il que l’unité africaine se traduise dans des politiques industrielles audacieuses et coordonnées.
Appel aux dirigeants africains
La fenêtre d’opportunité est étroite. Si nous ne construisons pas aujourd’hui les filières africaines du lithium, du cobalt, du cuivre ou des terres rares, d’autres le feront à notre place – avec nos ressources.
Il ne s’agit pas de refuser l’investissement étranger, mais de le subordonner à notre vision. De ne pas seulement vendre nos sols, mais de définir notre avenir économique et technologique.
Ce moment est crucial. Il appelle des réformes. Du courage politique. Une vision panafricaine. Et une foi inébranlable dans le potentiel du continent.
Ne trahissons pas les générations futures
L’Afrique n’a pas le droit de rater ce virage. Les minerais critiques sont bien plus qu’un enjeu commercial : ils sont une opportunité historique de briser le cycle de la pauvreté et de la dépendance.
Saisir cette opportunité, c’est choisir la dignité, la prospérité et l’avenir.
H. Niang