Par Harouna Niang, ancien Ministre de l’Industrie, du Commerce et de la Promotion des Investissements du Mali
Dans la plupart des pays africains, le manque de ressources financières est régulièrement invoqué pour expliquer les retards dans la mise en œuvre des politiques de développement. Pourtant, ce déficit chronique de financement n’est pas une fatalité. Il résulte en grande partie d’un choix de société : celui d’un système fiscal étroit, complexe, peu inclusif, et donc inapte à mobiliser durablement les ressources nécessaires pour faire face aux besoins croissants de nos économies.
La solution passe moins par l’aide extérieure ou le recours excessif à l’endettement que par une réforme courageuse, intelligente et inclusive de notre fiscalité.
Une fiscalité faible, une dépendance forte
La pression fiscale moyenne en Afrique subsaharienne est estimée à environ 15 % du PIB, contre plus de 35 % dans les pays de l’OCDE. Cette situation prive les États africains de marges de manœuvre budgétaires pour financer des secteurs vitaux tels que l’éducation, la santé, les infrastructures ou la sécurité. Conséquence directe : face à des dépenses rigides, les États se tournent vers l’emprunt, souvent à l’étranger, alimentant une spirale d’endettement qui grève leurs budgets et limite leur souveraineté économique.
L’informel : une richesse mal exploitée
Le paradoxe africain est là : nos économies sont dynamiques, créatives, résilientes, mais en grande partie informelles. Plus de 80 % de la population active exerce en dehors du cadre légal, et ce secteur représente jusqu’à 40 % du PIB dans certains pays. Pourtant, il contribue très peu à l’impôt. Non pas par refus de participer à l’effort collectif, mais parce que l’environnement fiscal actuel est inadapté à sa réalité.
Formaliser le secteur informel n’est pas synonyme de répression ou de lourdeur administrative. Il s’agit au contraire de proposer des régimes simples, accessibles et progressifs, adaptés aux petits opérateurs économiques, avec en retour des incitations concrètes : accès au financement, à la commande publique, à la protection sociale et à l’accompagnement technique.
La simplification fiscale : levier stratégique pour la mobilisation
La complexité du système fiscal constitue un frein majeur à la conformité. Il est urgent de mettre en place une fiscalité lisible, stable, et numérisée, qui facilite la déclaration et le paiement de l’impôt. Pour les petites entreprises, cela peut passer par des régimes forfaitaires simplifiés, la dématérialisation des démarches, l’utilisation des paiements mobiles, et la réduction des délais et des tracasseries administratives.
Un contribuable qui comprend ce qu’il doit payer, pourquoi il le paie, et comment cela se traduit en services concrets, est beaucoup plus enclin à s’acquitter de ses obligations fiscales.
Vers un pacte fiscal citoyen
Il faut sortir d’une vision punitive et centralisée de la fiscalité pour aller vers une logique de pacte fiscal citoyen : l’État s’engage à améliorer la gouvernance, la transparence et l’efficacité des dépenses publiques, tandis que les citoyens acceptent de contribuer à l’effort collectif dans un cadre équitable. Cela exige une lutte résolue contre les exonérations abusives, les fraudes fiscales des grandes entreprises et la corruption qui affaiblit l’État.
Conclusion : financer notre souveraineté
L’Afrique ne manque ni de ressources, ni d’acteurs économiques, ni de potentiel de croissance. Ce qui fait défaut, c’est une fiscalité capable de capter une partie de cette richesse pour la réinjecter dans le développement. Le vrai défi n’est pas technique : il est politique. Il nous appartient de refonder notre fiscalité pour qu’elle soit juste, inclusive, efficace et au service de nos priorités stratégiques.
C’est ainsi que nous pourrons réduire notre dépendance à l’endettement, mieux financer nos ambitions, et surtout assumer pleinement notre destin.
H. Niang