(CROISSANCE AFRIQUE)-Au Mali, de nombreuses femmes aspirent à se lancer dans les affaires, à créer leur propre entreprise. Cependant, beaucoup se heurtent à des stéréotypes, des paroles blessantes ou dévalorisantes qui inhibent leurs capacités.
Sur le territoire national, il a été recensé 309.572 unités économiques c’est-à-dire entreprises dont 14% sont dirigées par des femmes selon le Rapport du Recensement général des unités publiées en mars 2023 par l’institut national de la statistique.
Le Mali regorge de femmes talentueuses, engagées et créatives, désireuses de faire briller leur savoir-faire à travers des initiatives privées et novatrices. Il est crucial qu’elles reçoivent le soutien, l’accompagnement et la confiance nécessaires pour contribuer pleinement à la croissance socio-économique et au développement inclusif du pays.
L’un des premiers préjugés rencontrés est celui qui oppose l’emploi salarié à l’activité entrepreneuriale. Dans la perception générale, un « bon emploi » est encore largement associé à un poste dans la fonction publique ou dans une organisation internationale. Être entrepreneur, c’est souvent vu comme un choix risqué, voire un plan B faute de mieux. Cette mentalité dissuade bien des jeunes de se lancer, surtout lorsqu’ils ne bénéficient pas du soutien moral de leurs familles.
Regards socio-culturels sexistes
Pour les femmes, la situation est encore plus complexe. Malgré les efforts de sensibilisation et les initiatives de promotion du leadership féminin, beaucoup continuent de faire face à des jugements sexistes. Une femme qui se lance dans les affaires peut être perçue comme trop indépendante, négligeant ses responsabilités familiales, voire transgressant les normes culturelles.
« On m’a dit que j’étais en train de ‘sortir de ma place’ parce que j’ai ouvert un atelier de couture qui emploie des hommes. Comme si diriger était réservé aux hommes », témoigne Aïssata, entrepreneure à Ségou.
Autre stéréotypes bien ancré : l’idée que l’échec en affaires est une honte.
Au Mali, échouer dans un projet entrepreneurial est rarement vu comme une étape d’apprentissage, mais plutôt comme une preuve d’incompétence. Ce regard social sévère pousse de nombreuses femmes à ne pas prendre de risques ou à abandonner à la première difficulté.
Selon les données du Recensement Général des Unités Economiques (RGUE) au Mali publiées en mars 2023 par l’institut national de la statistique, malgré l’existence d’initiatives favorisant l’entrepreneuriat féminin, beaucoup tardent à porter leurs fruits en raison des obstacles persistants. Le RGUE indique que 22 % des unités économiques recensées reconnaissent l’existence d’obstacles à l’entrepreneuriat féminin au Mali ; 36 % imputent ces difficultés à des contraintes socioculturelles ; 26 % mentionnent les difficultés d’accès au crédit ; 19 % soulignent que les conditions de résidence jouent un rôle défavorable ; et 16 % des répondants mettent en avant le niveau d’instruction comme un obstacle.
<< Certains m’ont même avoué qu’ils hésitaient à financer des femmes… >>
Fatoumata Traoré, connue sous le nom de Fifi, spécialisée dans l’agroalimentaire, explique son expérience : « en 2022, j’ai lancé un projet de production et de transformation de mangues. Pendant la saison, il y a tellement de mangues qu’une partie pourrit, servant de nourriture aux animaux. C’est ce qui m’a donné l’idée de valoriser ce produit local. J’ai contacté plusieurs institutions pour obtenir un financement. Aucune d’entre elles ne m’a accordé sa confiance. Certains m’ont même avoué qu’ils hésitaient à financer des femmes, craignant de ne pas récupérer leur investissement. Mon rêve a stagné à cause de ces obstacles, bien que j’espère encore voir les choses évoluer dans un futur proche ».
L’idée qu’une femme ne peut pas diriger une entreprise sérieuse
Les stéréotypes de genre agissent également comme un frein à l’ambition de nombreuses femmes entrepreneures. Le parcours d’Aminata Magassa en est un exemple. Dans sa culture, persiste l’idée qu’une femme ne peut pas diriger une entreprise sérieuse. Malgré ses compétences et son éducation, elle a été réduite à un rôle de femme au foyer, suite au refus de sa famille, en particulier de ses frères, de lui laisser la direction de l’entreprise familiale qui a fini par faire faillite, son frère qui a pris la relève n’étant pas à la hauteur.
D’autres femmes, comme Assétou Traoré, subissent des commentaires inappropriés lorsqu’elles se lancent dans des projets entrepreneuriaux. Elle déplore avoir reçu des remarques vulgaires d’un commerçant lorsqu’elle a cherché de l’aide pour développer sa petite entreprise.
Des exemples de soutien contre les préjugés et stéréotypes liés au genre
À l’opposée, Mariam dite Mama Diarra, Directrice du journal le Rossignol, témoigne : « je me bats comme les hommes. Ma réputation précède ma personne, ce qui me confère le même respect que celui accordé aux hommes. Peut-être, suis-je une exception, mais je suis bien traitée dans mon environnement ». Elle plaide pour que l’État mette en place des stratégies pour soutenir les jeunes entrepreneurs en général, et les femmes en particulier, car elles représentent un levier essentiel dans la lutte contre le chômage dans le pays.
Abdoulaye Togola, un soutien de la lutte féministe, souligne également l’insuffisance de soutien aux femmes entrepreneures. Selon lui, la gestion des responsabilités familiales constitue un frein à leur épanouissement, les obligeant à jongler entre leur vie de famille, les tâches ménagères et leur activité professionnelle, souvent sans le soutien nécessaire de leur conjoint ou de leur famille. Il insiste sur le besoin d’un engagement fort des époux et des familles, qui peuvent jouer un rôle crucial en tant que soutien pour les femmes entrepreneures.
Mariam Amadou Ouloguem, Promotrice de « Yanguiné Decor », une entreprise de décoration, est une exception. Elle affirme ne pas rencontrer de grandes difficultés grâce au soutien inconditionnel de son époux, le seul obstacle relevé étant celui de la grossesse, une situation normale.
Aminata Coulibaly, Présidente de l’Association bénévole pour la Solidarité inclusive (ABSI) pense qu’il faut d’abord proposer aux femmes, des formations pratiques sur la gestion, le marketing, la fiscalité mais aussi sur la confiance en soi et le leadership. A son avis, il faut des fonds spécifiques pour les femmes entrepreneures.
ABSI mène plusieurs actions concrètes pour l’inclusion des femmes. Elle travaille actuellement sur un projet d’autonomisation agricole pour le développement (PAAD) qui vise à renforcer l’autonomie économique des femmes rurales.
Kadidia Doumbia
Ce reportage est publié avec le soutien de Journalistes pour les Droits Humains (JDH) et NED au Mali