Au Mali, le secteur de lithium connait des problématiques inhérentes des prix de transfert fiscal 

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(CROISSANCE AFRIQUE)- Le Mali, riche d’une histoire minière largement centrée sur l’extraction de l’or, cherche aujourd’hui à diversifier ses sources de revenus miniers en se tournant vers le lithium, un minerai de plus en plus prisé à l’échelle mondiale en raison de sa forte demande dans l’industrie des nouvelles technologies et des énergies renouvelables, notamment pour la fabrication des batteries des véhicules électriques. 

Cependant, l’arrivée prometteuse des deux premières grandes mines de lithium dans le pays, à savoir Goulamina qui doit commencer ses opérations en 2024 et Bougouni qui devrait suivre en 2025, apporte avec elle une série de nouveaux défis auxquels l’État malien doit faire face. Parmi ces défis figure la complexe et délicate tâche de fixer de manière transparente les prix de transfert. 

Aussi, ces prix, qui concernent les transactions financières, commerciales ou techniques effectuées entre une filiale locale et sa maison mère située à l’étranger, sont souvent utilisés par les multinationales afin de réduire leur charge fiscale au détriment des pays hôtes de ces ressources minières. Dans un marché du lithium qui continue de se développer mais reste néanmoins assez opaque, la nécessité pour les autorités fiscales du Mali de surveiller de près ces pratiques devient impérieuse pour garantir que le pays tire un véritable bénéfice économique de ses ressources naturelles nouvellement exploitées.

Les prix de transfert peuvent se matérialiser de différentes manières, offrant ainsi une gamme de situations complexes. Par exemple, il peut s’agir de la vente du produit minier à une filiale du groupe située à l’étranger, ainsi que de la facturation de services techniques lorsque la maison mère fournit des services spécialisés à sa filiale locale. 

De plus, cela inclut également des transactions liées à l’utilisation de brevets et de marques déposées entre différentes entités appartenant au même groupe. Dans tous ces cas, il est crucial de noter que ces transactions se déroulent exclusivement à l’intérieur du groupe lui-même, et non pas sur un marché ouvert et concurrentiel. Cette nature intra-groupe rend la détermination du prix particulièrement complexe et souvent sujette à interprétation fiscale, car il n’y a pas de comparatif externe pour évaluer le prix juste.

Le cas du lithium au Mali illustre particulièrement bien cette complexité inhérente aux prix de transfert. Contrairement à des produits de consommation courante que l’on pourrait retrouver dans un supermarché, ou même à des matières premières comme l’or dont le prix est bien établi et souvent affiché publiquement, le marché du lithium est beaucoup plus opaque et difficile à cerner.

 « Il est plus difficile d’y lire les tendances émergentes et de savoir précisément quel devrait être le  »juste prix », ce qui complique encore les évaluations économiques et fiscales liées au commerce de cette ressource », déclare Adam Megginson, analyste chevronné chez Benchmark Mineral Intelligence, lors d’une interview réalisée par par Croissance Afrique. Ce manque de transparence rend la tâche des analystes et décideurs économiques encore plus ardue, nécessitant une expertise et une diligence accrues pour naviguer dans ces eaux complexes.

Les contrats de vente de la production des deux premières mines de lithium du Mali s’inscrivent dans ce contexte global de croissance de la demande mondiale pour le lithium, un élément clé dans les batteries des véhicules électriques, ainsi que dans diverses applications industrielles. Ces accords d’approvisionnement sont actuellement en place entre la société locale exploitant chaque site minier et son principal actionnaire chinois, démontrant l’intérêt et l’implication internationale dans l’exploitation de ces précieuses ressources.

 À Goulamina, le groupe chinois Ganfeng Lithium, qui détient une participation de 65 % dans le projet, prévoit de démarrer la production avec une quantité substantielle de 506 000 tonnes de concentré de lithium dans la phase initiale, avec une montée en puissance potentielle à un million de tonnes lors de la phase II, ce qui souligne l’importance stratégique de cette mine dans leur portefeuille mondial de lithium. Groupe intégré sur toute la chaîne de valeur du lithium, Ganfeng précise que le site de Goulamina lui fournira du « concentré de lithium de haute qualité et à faible coût », destiné spécifiquement à ses usines de carbonate et d’hydroxyde, en leur permettant de répondre à la demande croissante des industries de batteries.

 À Bougouni, le projet de Kodal Minerals, une entreprise britannique, est également en plein essor depuis que l’opérateur a signé en juin 2025 un accord avec Hainan Mining, l’actionnaire majoritaire de la coentreprise. Cet accord assurerait la vente de la totalité de la production de concentré de spodumène, un autre minerai de lithium, sur une période de quatre ans, soulignant leur engagement à adresser une nécessité cruciale dans la supply chain des technologies durables et énergétiques.

Les autorités maliennes ont donc la tâche complexe et cruciale de réguler les prix de transfert, notamment dans le cas précis où la filiale choisit de se vendre elle-même les matières premières. Dans ces circonstances complexes, le prix déclaré peut parfois être bien inférieur au prix du marché librement établi, ce qui pose des défis considérables pour les autorités qui cherchent à empêcher ces pratiques. 

Comme le souligne M. Megginson, ces mécanismes de fixation des prix sont souvent difficilement contrôlables. Il est important de noter que le prix de vente du lithium, et par conséquent la valeur globale de ces contrats commerciaux, sera un des éléments déterminants dans le calcul des recettes publiques que le Mali peut espérer obtenir de ses nouvelles mines en pleine expansion. Certaines redevances minières sont directement indexées sur le prix final de la vente de la production, ce qui souligne l’importance stratégique des prix de transfert.

Cependant, le Mali ne s’en remet pas uniquement aux forces du marché et dispose déjà de plusieurs mesures fiscales bien établies pour encadrer ces pratiques parfois abusives. Le code général des impôts, en place depuis longtemps, prévoit entre autres que les transactions entre entreprises liées doivent se faire à des conditions de pleine concurrence, sans favoritisme ni manipulation tarifaire. 

De plus, il est impératif que les contribuables, qui génèrent un chiffre d’affaires important par le biais d’entreprises associées situées à l’étranger, fournissent une documentation très détaillée sur leurs opérations intra-groupe, rendant transparent toutes ces activités économiques complexes. En outre, l’article 57-E fournit une base légale pour la demande d’informations complémentaires, ce qui renforce encore le contrôle et le suivi des pratiques commerciales internationales.

« L’accord préalable sur les prix de transfert est un accord qui détermine, préalablement à des transactions entre entreprises associées, un ensemble approprié de critères se rapportant par exemple aux méthodes de calcul, aux éléments de comparaison, aux correctifs à y apporter, permettant ainsi de définir de manière précise et anticipée les modalités d’évaluation de ces transactions financières cruciales entre entités liées. Ce mécanisme s’avère particulièrement important dans un environnement économique mondialisé où les flux commerciaux entre filiales de multinationales requièrent une transparence et une équité pour éviter tout conflit fiscal potentiel. Pour illustrer son propos, le juriste fiscaliste Demba Traoré a détaillé dans un article très instructif paru sur le site spécialisé du CERACLE, les implications juridiques et économiques pour les entreprises lorsqu’elles adoptent de tels accords afin de se conformer aux régulations internationales en matière de fiscalité. »

Par ailleurs, le directeur général de Kodal Minerals, partenaire de l’entreprise chinoise Hainan Mining dans la coentreprise qui exploite la mine de Bougouni, avait indiqué en mai 2025 lors d’une conférence de presse que les exportations de la mine sont actuellement bloquées. 

Cette situation découle de la volonté exprimée par le gouvernement malien de s’assurer que le lithium, une ressource stratégique et précieuse dans l’industrie technologique, est vendu aux prix du marché mondial. Ces mesures de contrôle sont également motivées par le souci de préserver les intérêts économiques nationaux face à d’éventuelles fluctuations ou manipulations de prix par les courtiers internationaux. 

Si les autorités n’ont pas délivré de commentaires officiels sur ce dossier sensible, la décision reflète néanmoins une vigilance accrue face à un risque fiscal encore inédit pour le pays, soulignant l’importance de renforcer le cadre légal qui régit l’extraction et l’exportation de ressources naturelles. 

Notons que l’enjeu pour le Mali, dont l’or a jusqu’ici été traditionnellement le principal produit minier extrait, n’est que le début d’une stratégie nationale plus large visant à diversifier ses revenus miniers et à maximiser les bénéfices tirés de ses ressources souterraines prometteuses.

Zangouna KONÉ 

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Croissance Afrique (sarl) est un Média multi-support qui propose plusieurs rubriques axées sur l’actualité économique du continent. Le magazine est un journal (en ligne dont un mensuel disponible dans les kiosques à journaux) qui traite spécialement les informations financières dédiées à l’Afrique. Il est également le premier média malien spécialisé dans la production d’Informations Économiques, financières, Stratégiques, et orienté vers le reste du monde. Le Magazine a été fondé en Novembre 2017 à Bamako.

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