Tribune : « La crise de l’approvisionnement révèle l’urgence de relancer la navigation sur le fleuve Sénégal »

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(CROISSANCE ÀFRIQUE)-La crise récente d’approvisionnement en carburant et en marchandises, qui a paralysé l’économie malienne pendant plusieurs semaines, est bien plus qu’un accident conjoncturel.


Elle est le symptôme brutal de la fragilité structurelle du Mali, aussi bien sur les plans économique, sécuritaire, que géopolitique.
Un pays dépendant à plus de 90 % de corridors routiers externes (essentiellement Dakar, Abidjan, Tema et Conakry ) ne dispose pas d’une véritable souveraineté logistique.

Cette crise inédite vient rappeler une vérité oubliée : un pays sans voies de communication diversifiées est un pays vulnérable.
C’est dans ce contexte que refait surface la question stratégique de la navigation sur le fleuve Sénégal, un projet historique lancé sous la Première République mais jamais concrétisé.

  1. Diagnostic : une économie prisonnière de corridors extérieurs

1.1. Une dépendance dangereuse aux ports voisins

Le Mali importe plus de 4 millions de tonnes de marchandises par an, dont près de 80 % de produits alimentaires, industriels et pétroliers.
Or la quasi-totalité transite par des routes extérieures sur lesquelles Bamako n’a aucun contrôle souverain.
• Dakar assure encore plus de 40 % du trafic malien.
• Abidjan absorbe environ 30 %.
• Tema et Conakry complètent le reste.

La crise actuelle a montré que le moindre blocage politique ou sécuritaire dans l’un de ces pays ou sur l’un de ces corridors suffit à paralyser l’économie malienne :
files interminables, surcoûts logistiques, rationnement, spéculation, tensions sociales.

1.2. Une vulnérabilité sécuritaire amplifiée

Lorsque 12 à 15 000 camions transportent en permanence les marchandises vers le Mali :
• la chaîne logistique devient un objectif facile pour des groupes armés,
• les coûts de protection explosent,
• et l’État devient otage de facteurs externes.

1.3. Une absence de vision logistique intégrée

Depuis 60 ans, le Mali parle de :
• rail Dakar–Bamako,
• rail Conakry–Bamako,
• rail Bamako–Gao,
• navigation sur le Niger et le Sénégal.

Mais les projets avancent au rythme des crises, jamais au rythme d’une stratégie nationale cohérente.

La crise actuelle doit servir de réveil stratégique.

  1. Pourquoi la navigation sur le fleuve Sénégal est à nouveau une priorité nationale et même sous-régionale.

La navigation sur le fleuve Sénégal fait partie des projets fondateurs de notre République. Modibo Keïta y voyait un outil de compétitivité économique et de sécurité militaire.
Les chiffres montrent que cette vision reste pertinente aujourd’hui.

Les avantages :

2.1. Une réduction drastique du coût du transport

Le transport fluvial est trois fois moins cher que le transport routier.
Alors qu’un camion transporte 30 tonnes, un seul convoi fluvial peut emporter 1 000 à 2 000 tonnes.

Ce gain se répercute directement sur :
• le prix des céréales,
• des hydrocarbures,
• des matériaux de construction,
• des intrants agricoles.

2.2. Sécurisation et souveraineté logistique

Un corridor fluvial permettrait au Mali de :
• diminuer la pression sur les routes sénégalaises et mauritaniennes,
• réduire les risques d’interruption,
• diversifier ses accès maritimes.

2.3. Une coopération gagnant–gagnant avec le Sénégal et la Mauritanie

Le fleuve Sénégal est déjà un cadre d’intégration régionale via :
• l’OMVS,
• Manantali,
• Félou,
• les grands barrages hydrauliques.

La navigation complète ce dispositif par un corridor logistique partagé, avec des bénéfices pour Saint-Louis, Matam, Bakel, Kayes et Bamako.

2.4. Une opportunité de développement local

Chaque port fluvial stimule :
• l’emploi,
• le commerce,
• les PME locales,
• la pêche,
• l’agro-industrie.

Kayes retrouverait son rôle historique de porte d’entrée du Mali.

2.5. Apport stratégique pour la défense

Un corridor fluvial réduit la dépendance :
• aux frontières routières,
• aux aléas politiques,
• aux crises sous-régionales.

Le fleuve devient un axe logistique alternatif pour les forces de défense en cas de crise majeure.

  1. Arguments qui pourraient être CONTRE (à examiner objectivement)

3.1. La navigabilité du fleuve est saisonnière

En saison sèche, certains tronçons du fleuve ne sont pas naturellement navigables.
Il faut :
• draguer,
• élargir,
• stabiliser certains passages.
. Penser aux bateaux à fond plat mieux adaptés
. Créer un Atelier moderne de construction de bateaux de transport et de dragage de fleuve

Cela représente un coût réel.

3.2. Le projet exige des investissements lourds

Plusieurs centaines de milliards de F CFA seront nécessaires pour :
• les aménagements fluviaux,
• les ports (Saint-Louis, Podor, Matam, Bakel, Kayes),
• la logistique ferroviaire/fluviale combinée.

3.3. Il faut une coordination politique forte

Le projet traverse trois États (Guinée par la source, puis Mali, Sénégal, Mauritanie).
Toute divergence peut créer des blocages.

3.4. Le temps de réalisation

Même avec une forte volonté politique, un tel projet nécessite 4 à 7 ans pour être pleinement opérationnel.

  1. La meilleure stratégie pour réaliser enfin ce projet stratégique

L’erreur historique a été de considérer la navigation sur le fleuve Sénégal comme un projet technique.
C’est d’abord un projet politique, géopolitique et économique.

Voici la stratégie la plus réaliste pour réussir.

4.1. Faire du projet un pilier de la souveraineté logistique de l’AES

Le Mali doit l’inscrire dans :
• la stratégie logistique commune de l’AES (Mali–Burkina–Niger),
• une vision régionale de diversification des corridors,
• un programme commun de résilience économique.

L’AES peut devenir un acteur financier et sécuritaire du projet.

4.2. Mobiliser l’OMVS comme maître d’ouvrage technique

L’OMVS possède :
• l’expertise hydraulique,
• l’ingénierie des barrages,
• l’expérience dans les projets multilateraux.

Il faut élargir son mandat et en faire le pilote opérationnel de la navigation fluviale.

4.3. Lancer un partenariat structuré avec la Chine

La Chine est :
• le premier partenaire portuaire en Afrique,
• le leader mondial du dragage et des travaux fluviaux,
• l’investisseur principal dans les infrastructures intermodales.

Elle peut financer :
• le dragage,
• les ports fluviaux,
• une flotte moderne,
• les équipements logistiques.

Et ce projet serait une démonstration concrète de coopération gagnant–gagnant.

4.4. Coordonner le projet avec la modernisation du chemin de fer Dakar–Bamako

La navigation n’exclut pas le rail.
Au contraire, les deux systèmes se renforcent mutuellement.

Rail + Fleuve = Souveraineté logistique totale
• Les conteneurs arrivent par rail jusqu’à Kayes.
• Les produits volumineux arrivent par le fleuve.
• Bamako devient un hub logistique naturel.

4.5. Mettre en place un « Fonds souverain logistique »

Un fonds spécial pourrait être alimenté par :
• une taxe minime sur les importations,
• les sociétés minières,
• les partenaires stratégiques,
• les banques locales et la BCEAO via la titrisation.

Ce fonds finance :
• le dragage annuel,
• la construction portuaire,
• la maintenance de la flotte.

4.6. Adopter une approche progressive (phases)

Phase 1 : Saint-Louis – Podor (corridor sénégalais)
Phase 2 : Podor – Matam – Bakel
Phase 3 : Bakel – Kayes (le tronçon le plus stratégique pour le Mali)

Ainsi :
• le projet avance,
• les coûts sont étalés,
• les retombées commencent rapidement.

  1. Conclusion : reconstruire la souveraineté du Mali passe par ses fleuves

La crise que nous venons de vivre n’est pas un accident.
C’est une alerte stratégique.
Un pays enclavé, qui dépend presque entièrement de routes extérieures, ne peut pas parler de souveraineté, même lorsqu’il brandit des symboles de puissance.

Le Mali doit redevenir un pays qui maîtrise ses accès, diversifie ses corridors, et projette sa vision logistique à 30 ans.

La navigation sur le fleuve Sénégal n’est pas un projet du passé.
C’est une nécessité moderne, économique, sécuritaire et géopolitique.
C’est un élément fondamental de notre résilience nationale.

La question n’est plus : « Le projet est-il pertinent ? »
La question est : « Quand allons-nous enfin le réaliser ? »

H. Niang
Citoyen lambda

croissanceafrik
croissanceafrikhttp://croissanceafrique.com
Croissance Afrique (sarl) est un Média multi-support qui propose plusieurs rubriques axées sur l’actualité économique du continent. Le magazine est un journal (en ligne dont un mensuel disponible dans les kiosques à journaux) qui traite spécialement les informations financières dédiées à l’Afrique. Il est également le premier média malien spécialisé dans la production d’Informations Économiques, financières, Stratégiques, et orienté vers le reste du monde. Le Magazine a été fondé en Novembre 2017 à Bamako.

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