(CROISSANCE AFRIQUE)+ Au Nigeria, le marché du karité traverse actuellement une zone de turbulences et d’incertitudes économiques considérables. Quelques jours seulement après l’annonce importante et soudaine par le président Bola Tinubu d’un moratoire de six mois sur l’exportation des noix brutes, les prix ont connu une chute dramatique de 33%, tombant à 800 000 nairas la tonne, soit l’équivalent de 292 603 FCFA (environ 521 dollars).
Ce chiffre représente une baisse significative par rapport au prix antérieur de 1,06 nairas, soit 389 162 FCFA (693 dollars), selon les informations détaillées publiées ce 29 août par Bloomberg, qui cite les précieuses données du cabinet de conseil Vestance, une entreprise réputée basée à Lagos.
Le gouvernement fédéral du Nigeria avait justifié cette décision stratégique par la nécessité impérieuse de ‘‘garantir l’approvisionnement des transformateurs locaux, créer des emplois et protéger une chaîne de valeur où 95% des cueilleuses sont des femmes’’, a expliqué en détail Abubakar Kyari, le ministre de l’Agriculture et de la Sécurité alimentaire.
Le Nigeria, qui par sa production conséquente fournit environ 40% de l’offre mondiale de noix de karité, ce qui lui permet de se hisser au rang enviable de premier producteur planétaire, capte pourtant moins de 1% d’un marché globalement évalué à une valeur impressionnante de 6,5 milliards de dollars. L’ensemble du secteur, déjà sous pression, fait face à des défis énormes qui nécessitent une attention et une intervention politique immédiates pour éviter des perturbations durables sur le long terme.
Si la mesure s’inscrit dans une logique industrielle de long terme visant à réorganiser et dynamiser le secteur, son impact immédiat est plus contrasté et suscite bon nombre de préoccupations parmi les différents acteurs impliqués. Les exportateurs, dont l’activité économique repose largement sur les ventes internationales et l’accès aux marchés étrangers, redoutent de lourdes pertes financières pouvant affecter durablement leur viabilité, certains risquant de ne pas honorer leurs contrats existants à l’international, ce qui pourrait entraîner des pénalités conséquentes, si des mesures d’accompagnement appropriées ne sont instaurées rapidement pour atténuer les effets négatifs de cette décision soudaine.
La décision en elle-même suscite des réactions contrastées dans l’écosystème du karité, un secteur crucial pour l’économie locale. Pour des acteurs engagés comme Mobola Sagoe, PDG de Shea Origin, une société spécialisée dans la production de cosmétiques à base de karité, cette interdiction constitue une opportunité rare et précieuse de mettre un terme à l’exportation illégale massive de noix brutes, une pratique qui sapait la rentabilité des producteurs locaux et minait la qualité des produits transformés.
Même son de cloche du côté d’Ali Saidu, directeur général de Salid Agriculture Ltd., qui voit dans ce moratoire une opportunité inédite d’augmenter de manière significative sa production de beurre de karité dans son usine située dans le centre du Nigeria, entraînant une possible hausse des emplois locaux et une amélioration des conditions économiques des communautés environnantes.
À l’inverse, certains observateurs avisés estiment que la fenêtre de six mois accordée pour constater les premiers effets bénéfiques de cette décision est trop courte pour produire des transformations tangibles et durables. Adesuwa Akinboro, directrice nationale d’une ONG spécialisée dans le développement rural, reste sceptique quant à la capacité des infrastructures locales à monter en puissance rapidement pour répondre à la demande interne accrue, surtout en l’absence de financements et de formations adéquates pour accompagner cette transition complexe.
Les producteurs de karité, un arbre endémique d’Afrique de l’Ouest dont les noix sont précieuses pour la production de beurre, se retrouvent actuellement face à un paradoxe complexe et difficile à résoudre : d’une part, ils doivent alimenter un marché domestique qui reste encore fragile et en développement, et d’autre part, ils sont coupés d’un débouché international qui s’avère crucial pour l’économie locale.
Les initiatives déjà mises en œuvre par divers pays de la région, tels que le Burkina Faso, le Ghana, le Mali et la Côte d’Ivoire, démontrent que l’imposition de restrictions à l’exportation afin d’encourager la transformation locale n’est pas chose facile, la transition étant souvent longue et coûteuse, nécessitant d’importants investissements et des ajustements structurels considérables dans ces économies.
Du point de vue d’Abuja, la capital nigériane, le pari reste néanmoins clair et ambitieux : il s’agit de transformer cette ressource agricole stratégique en un véritable levier d’industrialisation, créateur de nombreux emplois et moteur de développement national.
Notons qu’entre les aspirations économiques élevées et les réalités variables et complexes du marché, le succès de cette politique dépendra crucialement de la capacité du Nigéria à accélérer le déploiement d’unités de transformation qui soient à la fois compétitives et durables, tout en veillant à fournir un soutien adéquat aux acteurs locaux, notamment par des formations et des investissements adaptés, pour surmonter les nombreux défis inhérents à cette transition économique de grande envergure.
Mariam KONE