La campagne anti-corruption conduite actuellement au pas de charge par le gouvernement d’Angola risque de souffrir des effets collatéraux du scandale des dettes cachées du Mozambique connu sous le nom de “Tuna Bonds”.
Si l’on croit au rapport de la firme d’intelligence EXX Africa, il y a de sérieuses risques à ce que le gouvernement actuel d’Angola soit rattrappé par une crise du genre de celle qui a sécoué le Mozambique, affecté par une dette qui atteint 112% du PIB. Voici les faisceaux d’indices qui motivent le rapport du cabinet basé à Johannesburg.
Pour rappel, le 25 janvier 2019, le Parlement du Mozambique a demandé que l’ancien ministre des Finances du pays, Manuel Chang, soit placé en détention préventive dans l’attente de son extradition vers les États-Unis à la suite de sa récente arrestation dans l’Afrique du Sud, pays voisin.
Manuel Chang, la face visible de l’iceberg

L’ancien grand argentier du pays est accusé d’avoir touché 5 millions de dollars de pots-de-vin pour avoir autorisé, lorsqu’il était ministre, des prêts frauduleux d’un montant total de 2,2 milliards de dollars accordés à des entreprises publiques mozambicaines. Révélée en 2016, cette affaire a mis au jour un vaste système de corruption impliquant le sommet de l’Etat mozambicain, des banques étrangères et le groupe du milliardaire franco-libanais Iskandar Safa.
Manuel Chang a demandé sa libération conditionnelle. La justice sud-africaine doit se prononcer sur cette requête le 31 janvier. La demande d’extradition de l’ancien ministre vers le Mozambique sera, elle, examinée le 5 février. Plus de 18 personnalités mozambicaines sont mises en cause pour corruption, abus de confiance et blanchiment d’argent.
Dans son enquête, Exx Africa parle de liens entre plusieurs politiciens angolais et le scandale de la dette du Mozambique. “Au cours de notre enquête, de nombreux drapeaux rouges entourant les contrats du constructeur naval Privinvest en Angola ont été évoqués dont certains font état de risques pour la réputation du président angolais, Jao Lourenço”, rapporte Exx Africa.
Privinvest, le chaînon entre l’Angola et le Mozambique

Le négociateur de Privinvest, Jean Boustani, a été arrêté aux Etats-Unis, accusés d’avoir mis en place un système de pots de vins autour du contrat accordé à sa compagnie pour la protection des côtes mozambicaines ( 2 470 km). Faut-il le rappeler, Privinvest est la société de l’homme d’affaires franco-libnais Iskandar Safa.
Un des projets soupçonnés de fraudes a été contracté par la société publique mozambicaine ProIndicus, qui a contracté 622 millions de dollars auprès de Crédit Suisse et de la banque publique russe VTB Capital.
Une autre société parapublique, Ematum, a reçu un prêt de 850 millions de dollars des deux banques, Crédit Suisse et VTB Capital pour la construction d’une flotte de thoniers. Un troisième projet impliquant Privinvest et le fonds Mozambique Asset Management (MAM) porte sur une prêt de 500 millions de dollars devant faciliter la mise à niveau de la flotte de surveillance. Tous ces prêts garantis par l’Etat de Mozambique ont commencé à faire défaut à partir de 2017.
Le gouvernement mozambicain a obtenu un accord avec ses créanciers en novembre 2018 pour la restructuration de ses dettes dont un eurobond de 726,5 millions de dollars. L’accord place une partie des revenus gaziers futurs du pays en collatéral. Ainsi, au lieu de punir les auteurs de ces prêts douteux, le FMI et la communauté internationale optent pour une punition collective, commentent les observateurs. Le principal parti d’opposition du Mozambique, Renamo, a souligné que les dettes résultant de cette fraude “ne doivent pas être payées par le peuple mozambicain”. Dans un communiqué, Renamo s’est félicité de “l’action énergique” de la justice américaine mais a fustigé “l’inertie des autorités mozambicaines” et du parti Frelimo au pouvoir.
Concrètement, les créanciers détenteurs des “Tuna Bonds” de la société Ematum, ont accepté en novembre d’échanger leurs anciens titres contre de nouveaux qui seront remboursés en cinq échéances, entre 2029 et 2033. Jusqu’à 2023, les intérêts – 5,875 % par an – ne seront payés que partiellement, le solde étant ajouté au capital remboursable. En outre, les investisseurs toucheront 5 % des revenus de deux importants projets d’extraction de gaz offshore, pour un montant maximum de 500 millions de dollars.
Les liens qui conduisent au président Jao Lourenço de l’AngolaL

Selon Exx Africa, la société Privinvest, principale protagoniste dans le vaste scandale de la dette mozambicaine, était en relation avec le président Joao Lourenço du temps où celui-ci était ministre de la Défense. Ainsi, poursuit Exx Africa, la société Simportex, liée au ministère angolais de la Défense, avait conclu une joint-venture avec Privinvest et signé, en 2015, deux contrats d’une valeur de 122 millions d’euros avec les sociétés du groupe Finmeccanica.
Le 23 décembre 2015, Simportex a signé un contrat équivalent à 115 millions d’euros avec le ministère angolais de la Défense pour des systèmes d’équipements radars et communication autour des côtes angolaises.
Un autre accord de 7,3 millions d’euros a été conclu sur la période 2014-2015 entre l’Angola via Simportex et Privinvest pour le compte de la filiale française de celle-ci (CMN, Constructions Mécaniques de Normandie) pour un projet hydroélectrique. Diverses sources indiquent que Boustani était impliqué dans la négociation des offres de Privinvest en Angola et qu’une société du président actuel, Consultores e Prestação de Serviços (JALC), a joué un rôle dans ces négociations.
En outre, poursuit Exx Africa, l’ancien vice-président, Manuel Vicente, actuel conseiller économique et financier auprès de Lourenço avec des pouvoirs et une influence extraordinaire sur la politique gouvernementale, a joué un rôle de premier plan dans la négociation des contrats Privinvest en Angola. Ce serait Manuel Vicente qui qui aurait introduit l’homme d’affaires Gabriele Volpi au Mozambique et, plus tard, à Lourenço. La société de Vicente, Sadissa, a également fait des affaires avec Simportex.
Arrivé au pouvoir en septembre 2017, le président Lourenço conduit une campagne anti-corruption saluée par la communauté internationale et couronnée en décembre 2018 par la signature d’un contrat triennal de 3,7 milliards de dollars avec le Fonds monétaire international. La monnaie nationale, le Kwanza, qui a perdu 46% de sa valeur face au dollar n’a pas encore retrouvé des couleurs.
Adams WADE
Source : finacialafrik.com