BCEAO – UEMOA : LE NON-RAPATRIEMENT DES DEVISES, SYMPTÔME D’UNE ÉCONOMIE EXTRAVERTIE

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(CROISSANCE AFRIQUE)-Le non-rapatriement de près de 24 % des recettes d’exportation du Sénégal n’est pas un phénomène isolé. Il touche pratiquement tous les pays de l’UEMOA et révèle un problème beaucoup plus profond que la seule sous-déclaration.

Ce phénomène illustre les limites d’un modèle économique régional marqué par une forte dépendance à l’extérieur, tant dans la production que dans le financement, la régulation monétaire, la structuration des contrats et la circulation des devises.

I – DES ÉCONOMIES CONTRÔLÉES PAR DES INTÉRÊTS EXTÉRIEURS : LA RÈGLE, PAS L’EXCEPTION

Dans la majorité des pays de l’UEMOA, les secteurs les plus dynamiques – mines, hydrocarbures, télécoms, logistique, commerce international, pêche industrielle – sont contrôlés soit par des groupes étrangers, soit par des nationaux d’origine étrangère. Cette extraversion crée une mécanique bien rodée : les opérations ont lieu sur le territoire, mais la valeur réelle est captée hors du territoire.

Cela se traduit par des contrats sous-évalués, des reliquats payés à l’étranger, des intermédiaires qui captent la valeur ajoutée réelle et une sous-déclaration chronique des exportations. Les États perdent non seulement leurs devises, mais aussi leur pouvoir stratégique.

À cela s’ajoute un autre manque à gagner majeur : les financements internationaux. Lorsqu’un grand groupe accorde un financement, seule une partie du montant entre dans l’économie locale. Le reste repart immédiatement sous forme de commissions de structuration, frais juridiques, faux frais, rétro-commissions et dépôts obligatoires placés hors du continent.
Une étude de la Banque mondiale a même montré que 7,5 % des financements destinés aux pays africains sont recyclés dans les paradis fiscaux.

Le paradoxe est saisissant : les États s’endettent, mais une partie de l’argent n’arrive jamais sur leur sol.

Face à cela, une solution simple et indispensable existe : instaurer des prix de référence obligatoires, basés sur les prix mondiaux. Sans cela, les déclarations resteront toujours inférieures à la valeur réelle.

II – UN FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE EXCESSIVEMENT FAIBLE

Le taux de financement de l’économie dans l’UEMOA est extrêmement bas.
Les banques financent principalement l’État ou les grandes entreprises, laissant les PME – pourtant 90 % du tissu économique – quasiment sans accès au crédit.
Le secteur informel, qui représente 40 à 60 % de l’activité, est totalement abandonné par le système bancaire.

Cette rareté de financement crée un effet mécanique : les opérateurs qui détiennent des devises préfèrent les conserver à l’étranger, où les opportunités d’investissement, de crédit et de valorisation sont plus attractives que dans le système bancaire local.

Dans ce contexte, le non-rapatriement n’est plus seulement une fraude : c’est un comportement rationnel, dans un environnement où l’économie interne n’offre pas assez de leviers.

III – LA BCEAO : UNE POLITIQUE MONÉTAIRE QUI PRODUIT UN EFFET D’ÉVICTION

Une partie significative des réserves de change de la zone est placée à l’extérieur, dans des supports qui n’ont que très peu de retombées directes pour les économies locales.
Ce choix prudentiel produit un effet d’éviction : la liquidité interne diminue, l’investissement se contracte et les opérateurs se tournent naturellement vers les marchés financiers étrangers.

De plus, la BCEAO n’a jamais expérimenté un quantitative easing africain, alors que d’autres banques centrales soutiennent leurs économies par des rachats d’actifs et des injections monétaires ciblées.
Dans une région où une grande partie de l’activité se déroule hors du secteur formel, cette absence prive l’Union d’un instrument majeur.

S’ajoute enfin une réalité symbolique et stratégique : la monnaie de la zone franc (le franc CFA) est encore imprimée à l’extérieur du continent.
Cela renforce le sentiment d’une souveraineté monétaire incomplète et d’une dépendance institutionnelle persistante.

La politique monétaire demeure restrictive : taux directeurs élevés, crédit encadré, faible soutien aux secteurs productifs.
En l’absence d’opportunités internes, les opérateurs sont logiquement poussés vers l’extérieur.

CONCLUSION

Le non-rapatriement des devises est souvent présenté comme une faute des exportateurs. En réalité, il n’est que la face visible d’une économie profondément extravertie, dépendante des financements étrangers, des contrats étrangers, des chaînes de valeur étrangères et d’une politique monétaire sans levier interne.

La souveraineté financière de l’UEMOA ne pourra progresser que si :

des prix de référence solides sont imposés,

les PME deviennent finançables,

la BCEAO modernise ses instruments,

l’Union réduit sa dépendance systémique aux acteurs extérieurs.

Sans cette transformation profonde, les devises continueront à quitter la région et la vulnérabilité demeurera.

Par Magaye GAYE,
Économiste international
Ancien cadre de la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD)

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Croissance Afrique (sarl) est un Média multi-support qui propose plusieurs rubriques axées sur l’actualité économique du continent. Le magazine est un journal (en ligne dont un mensuel disponible dans les kiosques à journaux) qui traite spécialement les informations financières dédiées à l’Afrique. Il est également le premier média malien spécialisé dans la production d’Informations Économiques, financières, Stratégiques, et orienté vers le reste du monde. Le Magazine a été fondé en Novembre 2017 à Bamako.

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