Dr Bakary Traoré, journaliste, expert en communication, consultant sur les questions sécuritaires au Mali et dans le Sahel. Il est aussi membre de la mission d’appui à la refondation de l’Etat (MARE). Il donne ses analyses sur la crise diplomatique entre le Mali et la France qui a occasionné l’expulsion de l’ambassadeur de France au Mali Joël Meyer par les autorités maliennes.
Je pense qu’en diplomatie, il faut tenir compte d’un principe. C’est le principe de la réciprocité. C’est la France d’abord qui a expulsé il y a deux ans l’ambassadeur du Mali en France, Toumani Djimé Diallo au motif qu’il a fait une déclaration vraiment véridique par rapport au comportement de certains soldats de la MINUSMA (mission des Nations Unies au Mali) à Bamako qui n’était pas catholique par rapport à leur mission. Le Mali a demandé l’expulsion de l’ambassadeur de France au Mali, Joël Meyer suite à la déclaration du ministre français de l’Europe et des affaires étrangères, Jean Yves-Le Drian qui a qualifié d’illégitimes et d’irresponsables des autorités de la Transition du Mali qui continue d’ailleurs à les appeler « la junte ».
Le gouvernement du Mali en a tiré toutes les conséquences en disant que non, on ne peut pas être accrédité auprès d’un gouvernement que vous continuez de qualifier d’illégitimes, d’irresponsables… et restez auprès du même gouvernement. Ce qui était incohérent. En jouant le principe de la réciprocité, le gouvernement du Mali a demandé l’expulsion de l’ambassadeur français. Donc ça a été comme en football « un match au résultat nul ».
Un autre fait majeur est la déclaration d’un retrait ou un réaménagement du dispositif Barkhane dans le Nord du Mali par le président français Emanuel Macron le 10 juin 2021. Lequel dispositif qu’on s’est retiré des points stratégiques comme Kidal, Tessalit et Tombouctou alors que le travail de la lutte antiterroriste n’est pas arrivé à terme. Ce dispositif s’est replié au niveau des trois frontières le Mali, le Niger et le Burkina-Faso en abandonnant en quelque sorte toutes ces zones stratégiques libérées à elles-mêmes.
Ce plan de retrait n’a pas tenu compte du changement de gouvernement au Mali depuis le 24 mai 2011 suite au reversement du gouvernement Bah NDaw-Moctar Ouane par le colonel Assimi Goïta et ses camarades. Je pense que le bon sens veut que l’Etat français aurait dû négocier avec les autorités de la Transition dirigée par le colonel Assimi Goïta avec comme premier ministre Choguel Kokalla Maïga pour trouver comment vraiment gérer la Transition avec la participation de l’Etat français par rapport au dispositif militaire. Cela n’a pas été le cas.
L’autre fait majeur que le retrait du dispositif de Barkhane n’a pas tenu compte, c’est lorsque le premier ministre a annoncé à la tribune des Nations Unies en septembre 2021 que le Mali se sentait abandonné en « plein vol » par la France. L’Etat français aurait dû essayer de voir, d’accord l’Etat s’est senti abandonné avec ce retrait de Barkhane dans les points stratégiques, comment on va faire pour que les forces puissent collaborer et coordonner les actions. Cela n’a pas été le cas. Face à cette situation, l’Etat malien a justement en toute logique décidée de diversifier son partenariat en faisant appel au partenaire stratégique qui est la Russie.
Toute crise tôt ou tard aura une sortie d’une manière ou d’une autre. Donc la France aurait dû anticiper pour savoir qu’à un moment donné le Mali dont l’Etat a été vraiment secoué par les dix ans de crise d’un moment ou à un autre va se relever et reconquérir sa souveraineté au plan militaire, au territorial ainsi qu’au plan diplomatique. Ceci n’a pas été prévu par la France. Finalement, il y a eu d’autres conséquences à la suite de ça. Le Mali a donc demandé la relecture des accords de défenses avec la France. Parce que sur le plan militaire, aujourd’hui c’est impensable que sur son propre territoire il faut demander l’autorisation à une puissance étrangère pour faire voler son avion. Il y a cette requête de souveraineté qui est là. Une autre conséquence est que les troupes danoises de Takuba ont débarqué comme ça sans tenir compte de la présence de l’Etat malien.
Bref, je pense que cette crise diplomatique est partie de tous ces faits que la diplomatie française n’a pas sus exploiter et travailler pour faire en sorte qu’il n’y ait pas cette tension au niveau des deux Etats.
Ibrahima Koné