Tribune d’opinion
Par Harouna Niang, ancien Ministre
« L’Afrique n’a pas été trahie seulement par ses ennemis. Elle a aussi été abandonnée par ses propres enfants. »
L’histoire de l’Afrique indépendante reste, hélas, marquée par un paradoxe douloureux : alors que les indépendances étaient censées ouvrir une ère de souveraineté politique, économique et intellectuelle, le continent peine encore à définir sa propre voie. Pourquoi ? Parce que trop souvent, ceux qui devaient l’émanciper ont perpétué les schémas imposés.
L’échec des élites : une dépendance intellectuelle prolongée
Nos universités forment depuis des décennies des jeunes africains brillants. Mais que deviennent-ils ? Trop souvent, des relais des paradigmes étrangers. Au lieu d’innover, nous avons reproduit. Au lieu de remettre en cause, nous avons validé. Cette élite intellectuelle et politique n’a pas su rompre avec le mimétisme, ni forger un projet de société enraciné dans nos réalités, nos valeurs, nos aspirations profondes.
La pensée africaine est trop souvent prisonnière de modèles occidentaux conçus dans d’autres contextes, pour d’autres peuples. Il est temps de faire émerger une pensée endogène, structurée, audacieuse — une pensée libératrice.
Un panafricanisme vidé de sa substance ?
Le panafricanisme, qui devait être un projet de renaissance collective, est devenu dans bien des cas un simple argument de campagne ou un slogan creux. On s’en réclame sans construire de vraies solidarités. Où sont les projets d’intégration efficaces ? Où est la défense commune ? La monnaie commune ? Les politiques industrielles régionales ?
La trahison du panafricanisme, ce n’est pas son échec en soi. C’est son instrumentalisation permanente, sans résultats. Il ne suffit pas de parler d’unité. Il faut l’organiser. Il faut la bâtir.
Un appel à la rupture : penser par soi-même ou disparaître
Plusieurs auteurs africains ne mâchent plus leurs mots .Ils dénoncent ce qu’ils qualifient de la lâcheté des élites, leur confort intellectuel, leur refus d’assumer le prix de l’indépendance véritable : celle qui commence dans la tête, et non dans les constitutions.
Ces propos sont peut être durs mais salutaires . Ils rappellent que nous avons une responsabilité historique : celle de refuser l’aliénation mentale. Il ne s’agit pas de rejeter le monde, mais de cesser de s’effacer devant lui. De comprendre que nos enfants ne pourront être libres si nous continuons à enseigner des modèles qui n’ont jamais été les nôtres.
Vers une refondation par l’action
L’heure n’est plus aux lamentations. Il est temps d’agir, en prenant des décisions fortes :
• Refonder nos systèmes éducatifs pour former des bâtisseurs, pas des consommateurs de théories étrangères.
• Créer des laboratoires africains de pensée stratégique, capables d’inspirer nos politiques publiques.
• Faire du panafricanisme une pratique concrète, pas un folklore diplomatique.
• Promouvoir une économie de la souveraineté, en industrialisant, en transformant nos ressources sur place, en maîtrisant nos monnaies, nos finances, nos outils numériques.
L’Afrique mérite mieux. L’Afrique peut mieux.
Il n’y a pas de fatalité. Ce n’est ni la géographie ni le climat ni les autres puissances qui condamnent l’Afrique. Ce sont nos renoncements collectifs. L’espoir renaîtra dès lors que les Africains croiront de nouveau en eux-mêmes, non comme des copies, mais comme des créateurs. C’est cela, le vrai combat pour la liberté.
H. Niang