Le FMI est-il vraiment la solution?(Par Magaye Gaye)

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(CROISSANCE AFRIQUE)-Une mission du FMI séjourne à partir de demain vendredi au Sénégal, 26 Avril 2024. Cette occasion ne doit pas être ratée par nos nouvelles autorités pour enclencher des réformes utiles dans notre manière de coopérer avec les institutions de Bretton Woods.

Une délégation du Fonds Monétaire Internationale est annoncée à Dakar à compter de ce vendredi 26 avril. Cette visite qui fait suite à la participation des nouvelles autorités du Sénegal aux assemblées de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international sera sans doute l’occasion de mieux échanger sur les programmes en cours d’exécution négociés avec les autorités sortantes et aussi de jauger la position du nouveau Gouvernement sur ses relations avec les institutions de Bretton Woods eu égard aux relents de souveraineté et de développement endogène affichés.

Il semble que de manière spécifique la mission sera l’occasion pour les autorités sénégalaises de préciser formellement leur décision de poursuivre le programme 2023-2026, conclu avec le FMI lequel prévoit un décaissement total de l’ordre 1150 milliards de francs Cfa. Pour ce faire, le Sénégal devra s’accorder avec le FMI sur les modalités de respect des engagements souscrits

La question est de savoir si le nouveau pouvoir sénégalais doit maintenir le statu quo sur les méthodes de coopération expérimentées jusqu’ici par les différents gouvernements sénégalais qui se sont succédés depuis les indépendances ou s’il faut changer de cap en comptant prioritairement sur nos propres forces.

LES SOLUTIONS AVANCÉES PAR LE FMI SONT INACCEPTABLES

En prélude à cette mission, le FMI, estime que trois (3) mesures stratégiques peuvent aider le pays à relever les défis : redresser les comptes publics sans entraver le développement ; mener une politique monétaire axée sur la stabilité des prix ; et mettre en oeuvre des réformes structurelles pour diversifier l’économie et les sources de financement.

La première mesure entraîne inévitablement la réduction voire la suppression des subventions à l’énergie qui n’est pas opportune en ce moment. La deuxième tend à défendre la politique monétaire restrictive de la BCEAO et au delà le FCFA qui n’est pas dans sa forme actuelle une monnaie favorable pour le développement Quand à la troisième, elle ne représente pas jusqu’ici un point de préoccupation réel pour le FMI

Le Sénégal n’est-il pas entre le marteau et l’enclume face à ces pressions du FMI combinée à la pression sociale actuelle? Il faut dire que les conclusions de ces organismes sont classiques avec le même objectif infine: soutenir la viabilité de la dette afin d’amener le pays à éviter un défaut de remboursement au niveau bilatéral et multilatéral.
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Je porte toujours un regard critique sur la tournure d’ensemble des rapports des organismes de Bretton Woods qui insistent beaucoup sur des aspects trop techniques du genre croissance, balance des paiements, déficit budgétaire, niveau d’endettement en évitant toujours soigneusement de poser les véritables préoccupations des populations. Bien au contraire ce qui intéresse toujours ces organismes c’est le cadre macroéconomique en particulier la dette, la suppression des subventions et bien entendu un appel à un taux de pression fiscal toujours plus élevé. Oui, le nouveau gouvernement sénégalais qui hérite d’une situation difficile subit concomitamment cette pression financière internationale et celle sociale d’ordre intérieur.

POSTURE SOUHAITABLE DES NOUVELLES AUTORITÉS DANS LÉS NÉGOCIATIONS AVEC LE FMI

La posture que doivent adopter les nouvelles autorités devant la mission du FMI est simple: obtenir d’avantage d’ informations sur le programme de 1 150 milliards FCFA, tenir un langage de vérité à leurs hôtes mais aussi faire preuve de responsabilité.

Sur le premier aspect, le début du programme était initialement prévu pour 2023 avec en moyenne un décaissement de l’ordre de 287 milliards par an. La question est de savoir si ces décaissements ont débuté et quel est l’encours actuel et le reste à décaisser. Il conviendra aussi de passer en revue les différentes conditions attachées à ce financement et évaluer leur faisabilité dans un contexte financier budgetaire très tendu.

Sur le second aspect, l’organisme de Washington doit se rendre â l’évidence que l’héritage laissé par l’ancien pouvoir est lourd. Les nouvelles autorités ne sont pas responsables de la situation actuelle de déliquescence budgétaire et économique du Sénégal sur laquelle à bien des aspects certaines institutions financières internationales ont contribué. Octroi d »exonération à deux sociétés multinationales dans le domaine des mines en janvier 2024, augmentation généralisée des salaires dans un contexte d’économie extravertie, investissements contreproductifs, endettement abyssal porté a 80% du PIB (contre 70% maximum autorisé par l’UEMOA), un ratio service de la dette sur recettes fiscales de l’ordre de 50%, mauvaise qualité de la dépense publique.

Ces contre-performances interpellent effectivement le FMI dans ses rapports passés avec l’Etat du Sénégal. C’est fort de ce constat que nous avons lancé il y’a quelques jours la proposition consistant à intégrer dans les mécanismes de financements internationaux la notion de « responsabilité de vigilance » pour amener les bailleurs de fonds à plus de discernement et de prudence dans leur politique de financement. Le FMI devrait enfin donner plus d’ indication au Sénégal sur la destination de l’emprunt anticipé par les autorités sortantes en 2023 destiné à couvrir le déficit budgétaire de 2024. Cet emprunt de l’ordre de 600 milliards semble t- il était mobilisé dans le souci d’anticiper d’éventuelles difficultés politiques liées aux élections. Quel est le sort de cette enveloppe?

Sur le troisieme aspect, la partie sénégalaise devrait en toute transparence montrer en quoi le programme de souveraineté économique à mettre en œuvre permettrait de rétablir progressivement les principaux agrégats macroéconomiques par l’application de politiques économiques novatrices et économes.

Au regard de ce qui précède, les nouvelles autorités ne devaient pas accepter une quelconque recommandation tendant à supprimer progressivement les subventions sur l’énergie. Les actions fortes tendant à annuler les décisions à incidence financière prises en catimini par l’ancien régime, l’audit à effectuer sur l’opportunité, la nature et le volume des subventions ainsi que la renégociation des contrats miniers gaziers, halieutiques, hydrauliques, pétroliers et autres devrait permettre d’envisager des recettes potentielles largement superieures au décaissement moyenne annuel de 287 milliards de FCFA annoncé dans le programme. Aussi, une augmentation brutale des prix de l’énergie que pourrait recommander le FMI moins de 3 mois d’exercice du pouvoir par la nouvelle majorité serait mal vu par les Sénégalais avec un risque d’entamer le capital confiance actuellement solide observé sur la scène politique.

Le Gouvernement du Sénégal au regard de toutes les difficultés citées plus haut qui sont indépendantes de sa volonté devrait proposer au FMI de mener un plaidoyer en faveur d’un reprofilage /restructuration de son endettement extérieur lequel, couplé à des efforts allant dans le sens d’augmenter l’assiette fiscale, de renégocier les contrats existants et faire mieux contribuer les entreprises qui sont dans les secteurs de rente est nécessaire pour permettre au pays de disposer de plus de marge budgétaire. Sans oublier une mobilisation plus accrue de l’épargne intérieur dans un contexte d’état de grâce pour les autorités et une réduction drastique du train de vie de l’État.

LE FMI EST TOUJOURS PASSÉ À CÔTÉ DE L’ESSENTIEL DANS SES PROGRAMMES AVEC L’ÉTAT DU SENEGAL

Il faut rappeler que les formulations de.programme avec le FMI ont jusqu’ici effleuré les vrais problèmes structurels du Sénégal en proposant plutôt des solutions conventionnelles paradoxales et peu efficaces en quelque sorte des leitmotivs du genre : atteindre une croissance soutenue et inclusive tirée principalement par le secteur privé (lequel du reste est très faible au Sénégal) renforcer la stabilité macroéconomique par le maintien de la viabilité des finances publiques et la gestion prudente de la dette (alors que le même FMI est peu regardant sur la qualité des projets financés), construire des infrastructures modernes alors que le pays évolue dans un contexte de très faible production nationale et de chômage.

Dans les programmes passés, il est loisible de constater que le Fonds n’a cessé de recommander au Sénégal un développement de son économie basé sur un secteur privé au demeurant très faible composé à 80% d’activités informelles et dont les PME qui représentent 90% des entreprises formelles ont énormément de difficultés notamment en matière d’accès au financement.

Or, la vraie réflexion devait tourner autour de comment rendre moins vulnérable l’économie sénégalaise grâce à des stratégies plus résilientes fondées sur une remise en cause intégrale du caractère extraverti d’une économie marquée par une balance commerciale et une balance de paiement structurellement déficitaires.

Les problèmes de fond de l’économie sénégalaise sont connus et ont pour noms: faiblesse des exportations de produits à haute valeur ajoutée, dépendance vis-à-vis vis de segments comme le blé, le riz et le pétrole, fleurons industriels en difficulté, une économie peu compétitive et innovante, qui continue de dépendre d’une monnaie le FCFA qui handicape son essor. Sans oublier un budget composé dans sa grande partie de dépenses de fonctionnement, une économie faiblement financée, gangrenée par la corruption et où les capacités d’impulsion de l’État restent insuffisantes.

Sans oublier la mauvaise qualité de la dépense publique, des institutions budgétivores inefficaces et les vrais problèmes d’aménagement du territoire qui ne favorisent pas un développement spatial harmonieux, il est curieux de remarquer que le plaidoyer du FMI est bâti autour des efforts à faire par les ménages et les entreprises grâce à l’arrêt des subventions. Il est rare de constater des recommandations allant dans le sens d’appeler l’Etat à réduire son train de vie propre.

Le rôle du FMI est de promouvoir la stabilité financière internationale grâce à ses activités dans les domaines tels que la surveillance des politiques macroéconomiques des Etats, l’assistance financière et le développement des capacités. Encore une fois, ce qui intéresse cette institution c’est d’avoir des partenaires solvables capables de rembourser leurs dettes quitte à pousser les gouvernements à prendre des mesures impopulaires.


A propos de l’énergie dont il s’agit, c’est un produit stratégique pour les entreprises mais aussi les ménages. C’est un facteur de croissance. Demander la suppression même graduelle de ces subventions dont la portée économique et sociale, n’est plus à démontrer, surtout dans un contexte de niveau élevé du baril de pétrole, revient quelque part à créer des tensions inutiles.

Dans le cadre de son rôle de garant de la bonne marche du système financier international et de la bonne coopération monétaire entre États il aurait été intéressant d’entendre le FMI relever et déplorer l’arrimage du Sénégal à une monnaie qui non seulement handicape le financement de l’économie, les exportations et l’intégration mais aussi ne permet pas de procéder à des dévaluations compétitives pour faire baisser les prix à l’importation dans un contexte de forte hausse du dollar par rapport à l’euro. Rien aussi sur ces dizaines de milliards de dollars qui sortent illégalement chaque année de notre économie sous forme de corruption pour aller vers les paradis fiscaux.

LE SENEGAL PEUT-IL VRAIMENT SE PASSER DU FMI?

Ce scénario est tout à fait possible mais demande un minimum de volonté politique.Le Sénégal peut avoir tous les moyens internes pour se passer des interventions du FMI. Il suffit qu’il soit plus rigoureux dans la conduite des affaires économiques en essayant de corriger définitivement les malformations structurelles qui caractérisent une économie sénégalaise extravertie depuis les indépendances et sur lesquelles évidemment les missions du FMI n’insistent jamais.

Pour renforcer la résilience de l’économie sénégalaise face aux multiples chocs et constituer des marges de manœuvres , Il faut de bonnes politiques économiques au lieu des simples compilations de projets. Le Sénégal a besoin de stratèges. Nous devons transformer effectivement notre structure économique en abandonnant ces solutions très simplistes d’importation; de perception de droits de douanes et d’alimentation des budgets nationaux. C’est un cercle vicieux qui freine la production nationale.

Le Sénégal doit aussi réinventer de nouveaux moteurs pour son économie. Et l’État doit prendre ses responsabilités en étant plus économe et plus entreprenant. Je rêve pour ma part d’un État stratège capitaine qui investit qualitativement, au travers de solutions de portage, dans les unités économiques à créer, à l’instar de ce que la Chine a réussi. L’État Stratège reformé est devenu une réalité dans la géopolitique mondiale. Je préconise toujours le « Plus d’État et mieux d’État ».
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Il faut pour investir dans des projets de qualité à fort impact sur l’emploi. Le Sénégal devrait aussi bien négocier l’opportunité que nous offrent le pétrole et le gaz.

Pour reconstituer de l’espace budgétaire des solutions alternatives aux propositions du FMI existent. Par exemple, une cure d’austérité dans le fonctionnement de l’État et de ses démembrements, la réduction des fonds politiques, un audit complet de la Senelec et de la Seneau notamment en ce qui concerne leur structure organisationnelle et leur politique de tarification, une libéralisation intégrale du secteur de l’électricité pour envisager des baisses de tarifs grâce à la concurrence, une réglementation plus contraignante des modes de passation des marchés par entente directe, sans oublier un audit global de la chaîne de valeur des subventions et des exonérations afin de s’assurer de leur pertinence économique et de l’ éligibilité effective de leurs bénéficiaires. Bien entendu, je n’oublie pas la diversification de la production des sources d’énergie vers le renouvelable et surtout la nécessaire campagne de sensibilisation contre le gaspillage de l’énergie par les agents économiques.

Le Sénégal dans le contexte actuel cherchera inévitablement à maîtriser l’inflation, à améliorer le pouvoir d’achat et à trouver de l’emploi pour les jeunes. Quitte à revoir ses priorités et observer une pause dans son programme d’infrastructur.

L’Etat fera aussi preuve de vigilance en contrecarrant les possibilités d’entente sur les prix entre acteurs des secteurs oligopolistiques comme la cimenterie, les télécommunications etc.. et s’assurer de la pertinence des subventions qui leur sont versées.

Aussi, toute transformation structurelle de l’économie sénégalaise passera par la maîtrise parfaite des lobbies nocifs intérieurs et extérieurs qui tournent autour de nos économies (tandem fonctionnaires indélicats et intérêts etrangers) et qui ne nous permettent pas de développer la production nationale

En conclusion, le respect des exigences du FMI risque de mettre l’Etat dos au mur. Ce dernier doit avoir une seule préoccupation dans ses priorités : la satisfaction des besoins fondamentaux des sénégalais. Il doit faire des efforts certes mais le FMI aussi doit assouplir dans le contexte économique international difficile actuel ses règles d’intervention. L’État doit toujours avoir en tête que cette question de la vie chère a désorganisé beaucoup de pays par le passé en emportant des gouvernements comme ce fut le cas en Tunisie ou en Égypte.

Je demeure convaincu que la qualité des autorités politiques que nous avons actuellement et leur niveau élevé d’engagement pour un développement endogène et souverain du Sénégal constituent des gages sérieux quant à un changement de cap profitable au peuple sénégalais

Magaye GAYE
Economiste International
Ancien Cadre de la BOAD et du FAGACE

croissanceafrik
croissanceafrikhttps://croissanceafrique.com
Croissance Afrique (sarl) est un Média multi-support qui propose plusieurs rubriques axées sur l’actualité économique du continent. Le magazine est un journal (en ligne) qui traite spécialement les informations financières dédiées à l’Afrique. Il est également le premier média malien spécialisé dans la production d’Informations Économiques, financières, Stratégiques, et orienté vers le reste du monde. Le Magazine a été fondé en Novembre 2017 à Bamako.

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