(TRIBUNE)-« L’EUROPE ET LE GEL DES AVOIRS RUSSES : LA MORALE PRISE AU PIÈGE

Date:

Par Magaye GAYE
Économiste international
Ancien Cadre de la. BOAD

UNE PATATE CHAUDE POUR L’EUROPE

Le gel par l’Union européenne de plus de 210 milliards d’euros d’avoirs russes, auxquels s’ajoutent près de 25 milliards d’euros d’avoirs privés, soulève aujourd’hui plus d’inquiétudes qu’il n’en résout.

Conçu au départ comme une mesure d’urgence face à la guerre en Ukraine, ce gel commence à diviser les esprits en Europe même. De plus en plus de voix s’élèvent : juges, économistes, anciens diplomates. Car ces avoirs n’ont pas été saisis par une décision de justice, mais bloqués par simple décision politique.

Derrière cette action se joue un affrontement silencieux entre puissance et morale. Et comme souvent dans l’histoire, c’est lorsque le droit devient un outil d’exception que les fondations d’un ordre juste commencent à vaciller.

UN DÉPÔT DE CONFIANCE DÉTOURNÉ DE SA FONCTION

Les fonds russes ont été volontairement déposés dans le système financier européen, sur la base des règles internationales de sécurité des réserves. Le gel revient à transformer ce dépôt de confiance en instrument de représailles, sans base judiciaire.

Les réserves d’un État ne sont pas un bien privé. Le gel remet en cause la notion de neutralité des banques centrales. Dans toute conception éthique de la propriété, qu’elle soit spirituelle ou profane, le bien confié reste inviolable tant qu’aucune autorité judiciaire impartiale n’en décide autrement. Le gel introduit donc une faille : la parole donnée n’est plus sacrée.

On parle de mesure temporaire. Mais aucune limite n’a été fixée, aucun tribunal indépendant ne s’est prononcé. L’Union européenne juge, décide, et exécute. Ce gel sans procès rappelle d’autres précédents historiques : notamment le gel des avoirs iraniens aux États-Unis ou ceux de la Libye sous Kadhafi. Mais dans ces cas, des arbitrages avaient été envisagés. Ici, il n’existe aucun cadre de restitution.

Dans l’histoire récente, certains avoirs gelés ont été restitués. On peut citer, entre autres, la restitution partielle de fonds iraniens après l’accord nucléaire de 2015, ou la levée progressive des gels d’avoirs libyens dans certains cas. Ces dénouements ont toujours été le fruit d’une pression diplomatique et morale, jamais de la seule logique de puissance.

Ceux qui parlent de droit doivent d’abord accepter de se l’imposer à eux-mêmes.

Depuis 2024, l’Union européenne a décidé d’utiliser les intérêts générés par ces fonds (près de 3 milliards d’euros par an) pour financer l’aide militaire à l’Ukraine. Ce transfert pose un problème moral de fond.

Utiliser les fruits d’un bien gelé, sans qu’aucune condamnation légale n’ait été prononcée, c’est retirer à la neutralité financière sa crédibilité. La finalité — soutenir un pays agressé — ne justifie pas l’abandon des principes.

Ce que l’on fait au nom du bien, quand il viole la justice, devient lui-même une injustice. Le FMI, censé être la sentinelle du système financier mondial, est resté silencieux face à une décision qui a fracturé ce même système. En gardant le silence sur le gel des avoirs russes, il a cautionné la politisation du droit financier international, creusant un peu plus la défiance entre le Nord et le Sud

TRUMP, UNE PRUDENCE CALCULÉE FACE AU DROIT INTERNATIONAL?

Donald Trump a de son côté déclaré que si un accord de paix n’était pas trouvé dans un délai de 50 jours entre la Russie et l’Ukraine, il imposerait des droits de douane de 100 % à tous les pays qui commercent avec Moscou.

Mais fait notable : il a refusé de sanctionner directement la Russie, contrairement aux Européens. Cette attitude, loin d’être de la passivité, semble motivée par une prudence juridique et stratégique, et peut-être une volonté d’éviter une violation flagrante du droit international.

En se gardant de confisquer des fonds ou de bloquer des avoirs sans base légale, Trump a adopté une approche plus conforme aux règles du droit international public, bien qu’elle reste économiquement coercitive à l’échelle mondiale.

LES BIENS MAL ACQUIS DES PAYS DU SUD : INALIÉNABLES POUR QUI ?

Alors que les avoirs russes sont gelés et promis à un usage militaire, des dizaines de milliards issus de la corruption dans les pays du Sud restent bloqués dans les banques européennes.

Lorsqu’il s’agit de les restituer aux peuples spoliés, les États invoquent des lois sur l’inaliénabilité des biens publics, la complexité des circuits financiers, ou le manque de preuves. En France, l’article 3111-1 du Code général de la propriété publique et la loi de 2002 sur le patrimoine permettent ainsi de garder légalement des biens volés à d’autres peuples, au nom du droit.

Deux poids, deux mesures. L’Europe agit avec sévérité contre ceux qu’elle combat, mais avec indulgence envers ceux dont les détournements alimentent son économie. L’argent volé aux peuples du Sud n’est pas perdu pour tout le monde. Il est réinvesti dans les économies du Nord, qui prospèrent sur la misère des autres. C’est un capitalisme du crime organisé, validé par le silence complice de la légalité occidentale. »

FRAGILISATION DU SYSTÈME FINANCIER ET DÉDOLLARISATION EN MARCHE

Loin de pénaliser uniquement la Russie, ce gel affaiblit la réputation monétaire de l’UE.

Au-delà des effets immédiats, il fragilise le système financier mondial. L’acte de geler des avoirs souverains sans décision multilatérale affaiblit la crédibilité des grandes monnaies internationales.

Face à cela, des dynamiques de dédollarisation et de désoccidentalisation financière se renforcent. De nombreux pays réduisent leur dépendance à l’euro et au dollar, et accélèrent les accords bilatéraux en monnaies locales. Les BRICS accélèrent la construction de leurs propres circuits de financement (ex : BRICS Bank, systèmes de paiement alternatifs).

L’UE perd sa capacité d’attraction financière universelle.

Il existe à moyen terme un risque d’ effet boomerang : retrait massif des actifs souverains non occidentaux de l’euro. Mais surtout, ce gel met en lumière une nouvelle vulnérabilité pour les pays européens eux-mêmes : leur propre capacité à se refinancer est menacée. Dans un monde interdépendant, l’endettement repose sur la confiance. Geler des fonds sans droit, c’est miner cette confiance.

Et quand la Chine et les pays du Golfe ou l’Afrique ne veulent plus acheter la dette européenne, c’est toute l’architecture de l’euro qui tremble. En definitive nous pensons que le gel des avoirs russes pose une question plus profonde que la guerre elle-même. Peut-on bâtir un ordre mondial fondé sur la sécurité financière, la neutralité monétaire et la régulation internationale, tout en confisquant unilatéralement les biens d’un État dès qu’il devient adversaire ?

L’histoire enseigne que ce qui est injuste, même accepté un temps, finit toujours par engendrer le désordre. Et qu’aucune puissance ne peut rester stable si elle renonce à la justice.

QUELQUES PISTES DE SOLUTION

Encadrer juridiquement l’usage des fonds via l’ONU ou un tribunal spécial.

Initier un pacte de transparence sur les avoirs gelés de tous les pays.

Proposer aux BRICS un dialogue monétaire multilatéral (sans hypocrisie).

Créer une doctrine européenne de souveraineté monétaire crédible.

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Croissance Afrique (sarl) est un Média multi-support qui propose plusieurs rubriques axées sur l’actualité économique du continent. Le magazine est un journal (en ligne dont un mensuel disponible dans les kiosques à journaux) qui traite spécialement les informations financières dédiées à l’Afrique. Il est également le premier média malien spécialisé dans la production d’Informations Économiques, financières, Stratégiques, et orienté vers le reste du monde. Le Magazine a été fondé en Novembre 2017 à Bamako.

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