TRIBUNE : « Pour que l’Afrique se développe, elle doit maîtriser la technologie, organiser la spécialisation et construire son marché régional »

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Par Harouna Niang, ancien ministre de l’Industrie, du Commerce et de la Promotion des Investissements du Mali

Voici ci-dessous mon rêve d’une Afrique unie, économiquement intégrée et forte. C’est mon opinion que l’approche d’intégration économique et de développement doit être prioritaire sur l’intégration politique qui en sera très sûrement la phase finale de l’unité du continent.

L’Afrique ne sera pas développée par la charité. Elle se développera par la maîtrise du progrès technique, l’organisation intelligente de la spécialisation économique, et la construction d’un marché continental cohérent et solidaire.

Aujourd’hui encore, plus de 60 % des Africains travaillent dans l’agriculture, avec des outils manuels hérités du XIXe siècle. Moins de 20 % des surfaces agricoles du continent sont mécanisées. Cela freine la productivité, freine l’investissement, et empêche toute transformation structurelle. Or, aucun pays au monde n’est sorti de la pauvreté sans révolution technique dans l’agriculture, l’industrie et les services.

Le progrès technique, moteur historique de la richesse des nations

C’est la révolution industrielle qui a fait entrer l’Europe dans l’ère de la puissance. C’est la modernisation agricole et industrielle qui a permis à la Chine, en 40 ans, de sortir plus de 800 millions de personnes de l’extrême pauvreté. Et c’est l’intégration technologique qui a fait de la Corée du Sud, un pays plus pauvre que le Ghana dans les années 1960, une puissance économique du XXIe siècle.

Dans tous les cas, il s’est agi de mécaniser, automatiser, rationaliser la production pour produire plus, mieux et moins cher. L’Afrique ne peut pas rester spectatrice de cette marche du monde.

Le commerce et la spécialisation sont créateurs de richesses

Les économistes le savent depuis David Ricardo : un pays n’a pas besoin d’être le meilleur dans tout pour se développer. Il lui suffit de se spécialiser dans ce qu’il fait le mieux, d’échanger le reste, et de monter progressivement en gamme. C’est la base de l’économie moderne.

Mais encore faut-il avoir un marché intégré. En Europe, près de 70 % du commerce se fait entre pays européens. En Asie, plus de 55 % du commerce est intra-asiatique. En Afrique ? À peine 15 %. Le continent reste tourné vers l’extérieur, exporte des matières brutes et importe ce qu’il aurait pu transformer lui-même.

Pourquoi ? Parce qu’il n’y a ni complémentarité productive organisée, ni réseau de transport efficace, ni préférence continentale affirmée.

Sans infrastructures de transport, l’intégration économique reste un slogan

Le commerce intra-africain ne pourra jamais décoller si un conteneur met 4 semaines pour aller de Cotonou à Bangui à un coût plus élevé que s’il allait à Rotterdam.

Le continent souffre d’un déficit d’infrastructures estimé à 130 à 170 milliards de dollars par an, selon la Banque africaine de développement (BAD). Or :
• Moins de 15 % des routes africaines sont bitumées
• Le rail ne représente que 7 % du transport de marchandises
• Les lignes maritimes entre ports africains sont quasi-inexistantes
• Les vols directs entre pays africains restent rares, coûteux et mal coordonnés

Pendant ce temps, la Chine a construit plus de 40 000 km de lignes ferroviaires à grande vitesse, interconnectant ses provinces et boostant ses échanges intérieurs. L’Europe a mis en place un réseau logistique transeuropéen (TEN-T) qui fluidifie les flux de biens et de personnes. Même l’ASEAN, association de 10 pays d’Asie du Sud-Est, avance vers une intégration logistique multimodale cohérente.

La ZLECAF : une chance historique à condition de l’équilibrer

La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF) représente un espace de 1,4 milliard de consommateurs et un PIB cumulé de près de 3 000 milliards de dollars. Mais pour qu’elle bénéficie à tous, elle doit éviter les effets d’asymétrie.

Si elle est mal conçue, seuls les pays déjà industrialisés ou côtiers en tireront profit, laissant les pays enclavés ou moins avancés à l’écart.

D’où l’urgence de mettre en place au sein de la ZLECAF :
• Un fonds africain de convergence industrielle, financé par les droits de douane communs à hauteur de 30% des recettes pour appuyer les pays les moins avancés
• Des accords de spécialisation solidaire entre États : par exemple, un pays cultive et transforme le tout en produits semi-finis dont une partie en produits finis ( moins de 50%) tout en permettant aux autres pays africains de s’approvisionner chez lui en priorité en vue de transformer la partie restante – avec un partage juste de la valeur
• Une clause de progressivité différenciée, pour laisser aux économies fragiles le temps de s’adapter
• Des investissements mutualisés dans les infrastructures (corridors ferroviaires, voies fluviales, lignes maritimes africaines, espace aérien régional)
. Des joints venture dans l’industrie et autres secteurs stratégiques ,
. Une bourse africaine décentralisée dans les régions pour mobiliser plus de capitaux
Conclusion : S’unir ou périr

Le vrai défi de l’Afrique aujourd’hui, ce n’est pas la pauvreté. C’est l’organisation stratégique de sa puissance potentielle. Elle dispose de :
• 60 % des terres arables non cultivées du monde,
• 30 % des ressources minières mondiales,
• une population jeune, dynamique et ambitieuse.

Mais sans progrès technique, sans spécialisation, sans marché intégré, et sans infrastructures de transport massives, tout cela restera un potentiel mort.

L’heure n’est plus aux discours. L’heure est à réaliser ensemble la construction planifiée, mutualisée et équitable du développement du continent. Il faut produire, transformer, commercer et circuler entre Africains. C’est ainsi que l’Afrique deviendra maître de son destin.

croissanceafrik
croissanceafrikhttp://croissanceafrique.com
Croissance Afrique (sarl) est un Média multi-support qui propose plusieurs rubriques axées sur l’actualité économique du continent. Le magazine est un journal (en ligne dont un mensuel disponible dans les kiosques à journaux) qui traite spécialement les informations financières dédiées à l’Afrique. Il est également le premier média malien spécialisé dans la production d’Informations Économiques, financières, Stratégiques, et orienté vers le reste du monde. Le Magazine a été fondé en Novembre 2017 à Bamako.

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