( CROISSANCE AFRIQUE)- Le Mali traverse une crise d’approvisionnement en carburant dont les répercussions touchent les citoyens, les forces de défense, les services sociaux, les entreprises et l’ensemble de la chaîne de mobilité.
Les longues files d’attente, les stations prises d’assaut, les surenchères, les pertes de revenus et les tensions sociales créent un climat de fatigue, de stress collectif et de frustration légitime. Cette situation met à l’épreuve notre cohésion nationale et notre capacité à organiser rationnellement la gestion d’une ressource temporairement rare.
Pourtant, cette crise n’est pas une fatalité. D’autres pays confrontés à des pénuries similaires ont démontré qu’une approche fondée sur la méthode, la transparence et la discipline pouvait réduire rapidement les files d’attente et restaurer la confiance. Le Mali peut et doit en faire autant.
Pourquoi les files d’attente persistent
Les files actuelles résultent de trois facteurs combinés :
1. Une demande concentrée, amplifiée par la peur. Notre pays consomme en moyenne entre 3,2 et 3,5 millions de litres par jour, alors que l’offre livrée ces derniers jours ne couvre parfois que 50 à 60 % des besoins urbains, créant mécaniquement un effet d’embouteillage humain.
2. Une logistique sous tension. Les corridors doivent être sécurisés, les livraisons sont irrégulières et la répartition entre stations reste parfois inefficace.
3. Un déficit d’information et de visibilité. Les rumeurs remplacent souvent l’information officielle, provoquant des ruées soudaines qui aggravent les files.
Autrement dit : nous vivons autant une crise d’organisation qu’une crise d’approvisionnement. C’est précisément sur l’organisation que nous pouvons agir immédiatement.
La Recherche Opérationnelle : une méthode pour réduire les files et rétablir l’ordre
La Recherche Opérationnelle (RO) est un outil scientifique utilisé dans les armées, les réseaux de transport, la logistique pétrolière, les ports et les grandes entreprises pour optimiser les flux, réduire les files d’attente et allouer rationnellement des ressources limitées.
Appliquée à notre situation, elle permet de :
• réduire les files en organisant l’accès et en répartissant la demande par créneaux ;
• accélérer la distribution en optimisant les tournées des camions-citernes ;
• allouer le carburant selon des priorités claires, pour éviter le chaos ;
• anticiper les tensions par la simulation plutôt que de réagir dans l’urgence ;
• offrir de la visibilité aux citoyens, pour calmer la peur et le désordre.
Plan d’urgence en 10 mesures (sur 30 à 60 jours)
1. Créer une Cellule de Coordination Logistique et RO rattachée au CIGCC et à l’ONAP, dotée d’un pouvoir d’arbitrage.
2. Prioriser la distribution : d’abord Sécurité et Périmètre d’État, ensuite Santé, puis Transport, puis Agricole, enfin Grand public.
3. Dédier des stations par catégorie (taxis, SOTRAMA, services d’État, grand public…) pour casser les files mixtes.
4. Organiser l’accès par créneaux horaires afin d’éviter les pics de demande.
5. Optimiser les tournées de camions par une méthode mathématique de type Vehicle Routing Problem (VRP).
6. Instaurer un quota temporaire par véhicule, pour partager l’effort sans injustice.
7. Sécuriser les corridors et citernes prioritaires par escortes ciblées.
8. Publier une communication unique et quotidienne, à heure fixe, pour couper les rumeurs.
9. Établir la cartographie réelle de la demande (communes et régions) afin d’adapter la distribution.
10. Évaluer et ajuster chaque semaine, sur la base d’indicateurs et non d’impressions.
Avec cette organisation, il est réaliste d’espérer réduire de plus de 50 % les files en trois à quatre semaines, tout en restaurant l’ordre et la visibilité.
Le succès repose sur trois principes :
• Une chaîne de décision claire, alignée sur l’intérêt général ;
• Une gestion par les données, et non par la rumeur ;
• Une communication honnête, calme et rationnelle, pour apaiser et unir.
Message aux citoyens
La situation actuelle est difficile et éprouvante. Elle exige de nous patience, civisme et solidarité. Le carburant disponible sera distribué de manière organisée, transparente et équitable, afin que chaque famille, chaque service essentiel et chaque secteur vital puisse continuer à fonctionner. Aucun pays ne traverse l’épreuve dans la confusion. Ensemble, dans le calme et la discipline, nous surmonterons cette crise et servirons l’intérêt supérieur de la nation.
Conclusion
La crise du carburant que traverse le Mali peut être surmontée par l’organisation, la transparence et la méthode. La Recherche Opérationnelle offre un cadre moderne, rationnel et éprouvé pour réduire les files, sécuriser les flux, garantir la continuité des services vitaux et restaurer la confiance. Le désordre n’est pas une fatalité. La solution existe : elle repose sur la science, la discipline, la coordination et l’unité nationale.
Harouna Niang
Ancien Ministre de l’Industrie, du Commerce et de la Promotion des Investissements du Mali

