Zone de Narena au Mali: Quand l’Orpaillage fragilise la Cohésion Sociale

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(CROISSANCE AFRIQUE)Située à 85 kilomètres de Bamako, la commune de Narena est aujourd’hui reconnue comme un haut lieu d’orpaillage au Mali. Derrière cette activité génératrice de revenus, se cache une réalité plus sombre : une forte fragilisation sociale. À Bayan, localité à 40 kilomètres de Narena, les tensions communautaires et les conflits sociaux ont pris de l’ampleur, exacerbés par les enjeux liés à l’exploitation aurifère.

Les sites d’orpaillage, à Narena sont marqués par des tensions sociales, économiques et culturelles. Le site multiculturel, est un haut lieu d’insécurité voir de criminalité. L’arrivée d’une société chinoise a exacerbé les tensions. En effet, des exploitants ont été spoliés, mais devraient percevoir une indemnisation. Cette compensation a déjà créé une première tension.

Pour certains habitants, la terre représente bien plus qu’une valeur marchande : c’est un héritage familial, un symbole d’identité et de mémoire. Drissa Koné, ouvrier, témoigne : « Je connais un homme qui s’est opposé à l’exploitation de leur terre familiale. Ils voulaient à tout prix garder ce jardin familial. C’était un jardin rempli de manguiers, transmis par leur défunt père. Ils y tenaient énormément. Sa posture a causé des tensions graves, et certains membres de cette famille ont même été emprisonnés ».

Ce conflit a divisé la communauté. Selon Adama Diarra, un habitant de Bayan, le village est désormais scindé en deux : « d’un côté, ceux qui soutiennent la société chinoise, et de l’autre, ceux qui s’y opposent. Des familles qui étaient très proches ne se parlent plus aujourd’hui». La jalousie est également une source de discorde. M.G.( identité sous couvert d’anonymat), rapporte que ses gains obtenus en collaborant avec la société chinoise ont suscité l’envie de son demi-frère, ce qui a provoqué un conflit familial. Il ajoute qu’il a fallu l’intervention d’un oncle pour ramener la paix chez eux.

Face aux tensions, la société chinoise a adopté une stratégie d’évitement. Selon plusieurs sources locales, les travailleurs chinois suspendaient systématiquement leurs activités et quittaient temporairement les lieux jusqu’à ce que la situation se calme. La municipalité de Narena a tenté d’anticiper les problèmes en menant des campagnes de sensibilisation dès l’arrivée de la société chinoise.

Mamadou Kanté, premier adjoint au maire, affirme : « malgré nos multiples efforts, certains habitants ont catégoriquement refusé l’exploitation, même sur décision de l’État. Ceux qui ont accepté ont été dédommagés conformément à une convention établie par l’État». Lorsque les conflits se sont intensifiés, la mairie a demandé la suspension des travaux jusqu’à l’apaisement des tensions.

L’orpaillage traditionnel n’est pas épargné par les tensions. Des disputes éclatent fréquemment autour des limites des terrains d’exploitation. Un orpailleur témoigne : « il y a des lignes pour chaque camp. Si un camp déborde sur la ligne d’un autre, cela provoque immédiatement des tensions». Pour prévenir ces conflits, des comités d’organisation sur les sites traditionnels ont instauré leurs propres règles et sanctions, allant des avertissements aux expulsions dans certains cas. Ces règlements sont confirmés par la mairie.

En cas de conflits majeurs, la mairie fait appel à la gendarmerie pour suspendre les travaux, puis organise des médiations. Lors d’un conflit récent entre deux clans sur un site traditionnel, Mamadou Kanté raconte : « il y a environ un mois, un conflit violent a éclaté entre deux clans. Ils se battaient avec des machettes et autres objets dangereux. Après l’intervention de la gendarmerie, nous avons écouté les deux parties. La terre appartenait à l’un des clans, mais pour préserver la paix, nous avons demandé au chef de clan d’accepter l’autre ».

Active sur Narena depuis 2018, l’ONG AZHAR est en amont des conflits au sein de la localité, nous confie Youssouf Koné, chef d’antenne de l’ONG dans la zone de Narena. Selon lui, ils œuvrent pour la réparation et la dégradation des terres causées par l’orpaillage traditionnel afin de prévenir les conflits. Ils travaillent dans le même sens, pour le même objectif afin de ramener les camps à se parler. « Narena, zone rurale et agricole à 80%, les terres cultivables détournées pour l’orpaillage. A terme, il est à craindre en plus de conflits fonciers. Pour les prévenir, nous apprenons aux exploitants à restaurer les terres dégradées par la recherche d’or. Cette activité a été la porte d’entrée de l’ONG dans la zone de Narena. À ce jour, nous avons pu faire reboucher 20.000 trous », précise monsieur Koné. C’est pourquoi, l’ONG mène également beaucoup d’autres activités qui renforcent les liens et limitent les conflits entre les communautés.

Notons que ces espaces peuvent devenir des foyers d’insécurité et de criminalité si aucune mesure durable n’est prise. Il est impératif que l’État, les collectivités locales, les exploitants et les communautés travaillent ensemble pour instaurer des mécanismes de prévention des conflits, renforcer la cohésion sociale et protéger les droits des populations locales.

KadidiaDoumbia

Ce reportage est publié avec le soutien de Journalistes pour les Droits Humains (JDH) au Mali et NED.

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