« L’Afrique doit miser sur une protection tarifaire plus importante de son agriculture » (Jacques Berthelot)

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Agence Ecofin) – Avec l’Accord de libre-échange continental africain (ZLECAf), plusieurs opportunités s’annoncent pour les pays dans différents pans de l’économie. De grands espoirs sont fondés en particulier sur les échanges agricoles intérieurs, compte tenu du déficit alimentaire et de l’importance des emplois agricoles. Si cet optimisme ne se dément pas dans les différents discours ou rapports publiés ces dernières années, il faudrait toutefois prendre le temps de consolider d’abord les Communautés économiques régionales (CER) et tenir compte des spécificités agricoles sous peine d’essuyer des désillusions, selon Jacques Berthelot, agroéconomiste et spécialiste des politiques agricoles. Dans une interview accordée à l’Agence Ecofin, l’expert décrypte les différents enjeux agricoles de la ZLECAf.

Agence Ecofin : Le lancement de la ZLECAf fait naître beaucoup d’espoirs en matière d’amélioration des échanges de produits agricoles sur le plan continental. Partagez-vous cet optimisme?

Jacques Berthelot : Je pense, pour ma part, qu’il s’agit d’un projet très intéressant qui n’a du sens qu’à long terme. C’est un objectif très louable, mais il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs. Je constate malheureusement que le projet est mis en œuvre de façon précipitée parce que les Communautés économiques régionales (CER) sont loin d’avoir achevé leur intégration régionale, y compris sur le plan de l’élimination des droits de douane, comme l’a constaté l’examen des politiques commerciales de l’UEMOA par l’OMC, en septembre 2017, et a fortiori cela est-il vrai dans la CEDEAO.

1 Jacques Berthelot

Jacques Berthelot : « Un projet très intéressant qui n’a du sens qu’à long terme ».

Même si des produits agricoles comme non agricoles importés hors CEDEAO sont déjà dédouanés par exemple à Dakar, Tema, Lomé ou Abidjan, et devraient entrer dans les autres pays sous le régime de la libre pratique, leurs besoins budgétaires les conduisent à des prélèvements divers même s’il ne s’agit pas d’une réimposition des droits de douane perçus dans ces ports. Et il y a surtout les prélèvements illicites des diverses forces de l’ordre comme les douaniers, les militaires, les gendarmes ou les agents de police qui peuvent être supérieurs aux droits de douane et qui freinent beaucoup l’acheminement des produits.

« Et il y a surtout les prélèvements illicites des diverses forces de l’ordre comme les douaniers, les militaires, les gendarmes ou les agents de police qui peuvent être supérieurs aux droits de douane et qui freinent beaucoup l’acheminement des produits. »

En promouvant la ZLECAf, l’Union africaine oublie les multiples contraintes qui font obstacle à son intégration. Je veux parler des déficits en infrastructures, notamment de transport ; de l’accès à l’énergie et à l’eau ; de compétences techniques ; de l’accès au crédit à des taux raisonnables ; de la forte disparité des politiques monétaires et des taux de change, en particulier l’absurdité du maintien du franc CFA dans l’UEMOA et la CEMAC ; des énormes écarts dans les droits de douane, notamment agricoles, et dans les niveaux de vie, etc. Pour revenir sur les transports, il est moins cher de faire venir les produits chinois jusqu’à Lagos que de les faire venir du nord du pays (Nigeria, Ndlr). C’est pareil pour le maïs américain, dont le transport de Chicago à Lagos coûte moins cher que le convoyage depuis le nord du pays.

Tout cela pour dire que la ZLECAf est un projet légitime qui risque de faire flop tant que les CER ne seront pas arrivées à renforcer leur intégration interne avec une harmonisation des règles de libre circulation des produits. La ZLECAf est un processus qui doit venir en complément de la consolidation des communautés économiques régionales, et parachever, à la fois, les libres échanges internes dans chaque communauté, le règlement des questions liées à tous les obstacles, notamment les prélèvements illicites réalisés par les agents des forces de l’ordre qui sont parfois supérieurs aux droits de douane eux-mêmes.

AE : Quid des effets bénéfiques anticipés de la baisse des droits de douane sur le commerce entre les pays africains ?

Jacques Berthelot : Lorsque l’on parle de baisse des droits de douane entre pays africains, cela ne signifie pas seulement au profit des citoyens africains. Il y a en Afrique de nombreuses multinationales étrangères, notamment européennes, présentes dans le secteur bancaire et le commerce de gros, notamment des produits agricoles et agroalimentaires. Ce sont elles qui seront les premières bénéficiaires de la libéralisation des échanges. Elles vont évidemment avoir tendance à concentrer leurs moyens dans les pays où elles sont plus compétitives pour profiter de la baisse des droits de douane, de façon à exporter vers les autres. Mais la baisse des droits de douane, que ce soient les taxes à l’exportation ou les droits à l’importation qui supportent la TVA, va pénaliser énormément les pays les moins compétitifs et creuser des trous dans les budgets publics, parce qu’il y a très peu d’entreprises qui payent des impôts sur les sociétés et très peu de particuliers qui payent aussi des impôts sur le revenu, et peu d’entreprises qui paient la TVA, en raison de la prédominance du secteur informel.

« Il y a en Afrique de nombreuses multinationales étrangères, notamment européennes, présentes dans le secteur bancaire et le commerce de gros, notamment des produits agricoles et agroalimentaires. Ce sont elles qui seront les premières bénéficiaires de la libéralisation des échanges. »

Concernant la ZLECAf, rien n’est encore clair sur une éventuelle mise en place de mécanismes de compensation pour les pays peu compétitifs sur le plan agricole, qui vont souffrir d’une perte de compétitivité importante avec la réduction de ces droits de douane. Par ailleurs, lorsque les défenseurs de la ZLECAf disent qu’il faudrait absolument éliminer les droits de douane sur le commerce agricole parce qu’ils sont supérieurs à ceux sur les autres produits, cela ne tient pas compte du fait que l’Afrique reste très déficitaire dans ses échanges alimentaires. Suivez la suite avec l’Agenceecofin travers le liens enbas

https://www.agenceecofin.com/gestion-publique/2108-79382-l-afrique-doit-miser-sur-une-protection-tarifaire-plus-importante-de-son-agriculture-jacques-berthelot

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Croissance Afrique (sarl) est un Média multi-support qui propose plusieurs rubriques axées sur l’actualité économique du continent. Le magazine est un journal (en ligne dont un mensuel disponible dans les kiosques à journaux) qui traite spécialement les informations financières dédiées à l’Afrique. Il est également le premier média malien spécialisé dans la production d’Informations Économiques, financières, Stratégiques, et orienté vers le reste du monde. Le Magazine a été fondé en Novembre 2017 à Bamako.

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