(CROISSANCE AFRIQUE)-L’économie numérique est aujourd’hui devenue un pilier essentiel de la croissance socio-économique et de la compétitivité des nations. L’Afrique, consciente de cette réalité, s’inscrit également dans cette dynamique. Porté par une nouvelle génération d’esprits créatifs, audacieux et visionnaires, le continent embrasse depuis quelques décennies le potentiel de l’innovation technologique, notamment l’intelligence artificielle, pour façonner un avenir prospère, durable et inclusif.
La pandémie de la Covid-19 a agi comme un catalyseur, accélérant davantage l’émergence de l’écosystème tech africain. S’inspirant de l’adage de Churchill pour qui « il ne faut jamais gâcher une bonne crise », de nombreuses jeunes pousses ont ainsi fait de cette situation une opportunité pour proposer de nouveaux produits et services répondant aux besoins de leurs concitoyens. En pleine effervescence, l’Afrique numérique est ainsi portée par une volonté de changement et d’innovation, avec l’intelligence artificielle en tête, qui se doit d’être accompagnée et soutenue.
L’intelligence artificielle au cœur de la Quatrième Révolution industrielle : vers une Afrique numérique innovante
Dans un monde où la technologie est devenue l’épine dorsale du progrès économique et social, l’Afrique embrasse avec détermination le potentiel du numérique, affirmant ainsi la place qui lui est due dans la Quatrième Révolution industrielle. Le continent entend utiliser les technologies disruptives pour ouvrir et tracer sa propre voie vers l’innovation.
L’effervescence entrepreneuriale sur le continent est une réalité indéniable. Elle est tout d’abord le fait d’une démographie dynamique. Entre 2000 et 2017, la population a en effet augmenté de 58%, contre 19% pour le reste du monde[1]. Les projections indiquent que d’ici 2050, le nombre d’habitants dépassera les 2 milliards[2], plus de la moitié ayant alors moins de 25 ans[3]. Née dans une ère du « tout-numérique », cette nouvelle génération est de plus en plus connectée et embrasse les nouvelles technologies avec enthousiasme et créativité, apportant des solutions novatrices aux défis locaux.
L’émergence de cet esprit entrepreneurial est tout particulièrement rendue possible grâce à une expansion et une amélioration de la connectivité et de facto, par un accès accru à Internet. Ce dernier point est en effet l’un des piliers de cette révolution technologique. Au cours des dernières années, l’Afrique a connu une croissance spectaculaire de la connectivité, permettant une démocratisation et une adoption rapide des nouvelles technologies. En décembre 2021, le taux de pénétration d’Internet sur le continent était ainsi de 43%[4] (bien que des disparités persistent selon les régions et les pays).
L’amélioration de la connectivité, rendue notamment possible par une expansion des réseaux de télécommunication, a par ailleurs joué un rôle clé dans la popularisation du téléphone mobile. En effet, sans connectivité, détenir un téléphone semble absurde. Les chiffres sont à cet effet éloquents : en 2016, quelque 700 millions d’Africains utilisaient un mobile, dont la moitié étaient des smartphones. Quatre ans plus tard, ils étaient plus de 600 millions à posséder un smartphone[5]. Cette adoption massive a eu un impact significatif sur de nombreux aspects de la vie quotidienne des populations, tant sur le plan économique que social. Bien plus qu’un simple moyen de communication, le téléphone est très rapidement devenu l’un des moteurs de l’émergence numérique. Catalyseur du changement, cet outil a ainsi été à l’origine de nouvelles opportunités, permettant de surmonter les contraintes et les défis.
La révolution induite par la démocratisation du téléphone portable a ouvert de nouvelles perspectives dans des secteurs clés tels que la finance, l’agriculture, le commerce, l’éducation et la santé, grâce au lancement d’applications mobiles combinant innovation et intelligence artificielle (IA), entre autres. Pour illustrer, le Togo explore les possibilités offertes par l’IA pour moderniser la pratique agricole. En proposant une agriculture de précision basée sur cette technologie, il devient ainsi possible d’aider les agriculteurs à augmenter et rentabiliser leur production. Des drones sont ainsi déployés pour surveiller les plantations, détecter d’éventuelles maladies et identifier les zones à risque.[6]
Dans un autre exemple en Algérie, l’équipe SevenG, qui a remporté le deuxième prix de la finale du concours mondial Tech4Good organisé par l’entreprise Huawei, a développé une solution d’autonomisation de l’agriculture basée sur l’intelligence artificielle. Baptisée FarmAI, celle-ci a pour objectif de détecter précocement grâce à des drones la rouille du blé, une maladie qui peut affecter les cultures. En cas de détection de cette infection, le système envoie une alerte à l’agriculteur via une application mobile, lui permettant ainsi de prendre les mesures nécessaires pour protéger ses cultures et éviter des pertes, notamment financières.Bas du formulaire
Ces solutions innovantes sont tout particulièrement le fruit de la créativité et du dynamisme qui animent les start-ups africaines, vitrines de l’inventivité mais également des talents que possède le continent. Les investissements à hauteur de plusieurs millions de dollars dans ces jeunes pousses témoignent de leur volonté de propulser l’Afrique vers l’avant-garde de l’innovation mondiale. Ainsi, pour le seul mois de mai 2023, les start-ups africaines ont levé plus de 621 millions de dollars, enregistrant ainsi une hausse de 42% par au mois de mai 2022[7].
La course vers l’innovation s’accélère. Actuellement, de nombreuses start-ups travaillent sur des projets liés à l’intelligence artificielle. Le cheminement de l’Afrique dans ce domaine de prend de l’ampleur, le continent étant en passe de devenir la deuxième région du monde à connaître la croissance la plus rapide en matière d’adoption de l’IA[8]. Cette évolution démontre ainsi la détermination du continent à explorer et à tirer parti du potentiel de l’IA pour stimuler la croissance économique et relever les défis locaux, dans l’intérêt de sa population.
Quels obstacles surmonter pour rayonner ?
Lors du GITEX Africa qui s’est tenu à Marrakech en mai dernier, il a été révélé que l’IA pourrait contribuer à hauteur de 13 000 milliards de dollars à l’économie mondiale d’ici 2030. De plus, en Afrique, une augmentation de 200% du nombre d’emplois liés à l’intelligence artificielle est prévue d’ici à 2025.[9] Ces chiffres viennent ainsi mettre en lumière le potentiel transformateur de cette technologie sur les économies et les sociétés. Néanmoins, le continent devra surmonter divers défis pour faire de l’IA la nouvelle force motrice de sa transformation technologique.
Malgré les progrès significatifs réalisés sur le continent en termes d’accès à Internet, l’inclusion numérique demeure un défi majeur en Afrique. Les disparités entre les zones urbaines et rurales restent prononcées, comme en témoigne le rapport de la GSMA, qui indique qu’en 2020, le taux de pénétration de l’Internet mobile en milieu rural était de seulement 16 %, tandis qu’il atteignait 40 % en zone urbaine dans la région subsaharienne[10]. Cette disparité découle notamment du coût élevé du déploiement dans les zones reculées, qui sont naturellement moins accessibles. Dans cette optique, il est primordial que les gouvernements et les acteurs privés prennent des mesures concrètes pour étendre les infrastructures numériques aux régions mal desservies, tout en renforçant les réseaux de télécommunication existant sur l’ensemble du continent. Il est donc nécessaire d’investir dans l’infrastructure pour tirer pleinement profit de l’IA et par conséquent, de l’innovation.
Parallèlement, pour que l’Afrique puisse exploiter pleinement le potentiel des nouvelles technologies, il est crucial d’investir dans le développement des compétences numériques de ses talents. Le continent fait face à un besoin urgent de talents locaux formés dans les domaines des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC), de l’intelligence artificielle, de la cybersécurité, de l’analyse de données et bien d’autres. En effet, moins d’ingénieurs africains en IA signifie également moins d’opportunités d’utiliser l’IA pour améliorer la qualité de vie des populations. C’est dans cette optique qu’a été lancé en 2022 le premier centre de recherche en IA d’Afrique (ARCAI), au Congo-Brazzaville. Celui-ci vise à fournir une formation et des compétences technologiques afin de promouvoir la création d’emplois, réduire la fracture numérique et renforcer la croissance économique inclusive.
Des entreprises privées s’engagent également à soutenir la formation de talents, considérant que la connaissance demeurera la principale barrière à toute transition vers une transformation numérique intelligente. Ainsi, lors de la Huawei Northern Africa Night qui s’est tenue à Shanghai le 21 septembre 2023, Terry HE, Président de Huawei Northern Africa (Afrique du Nord, de l’Ouest et Centrale), a présenté la nouvelle stratégie de l’entreprise visant à faciliter la transformation de l’Afrique vers un avenir intelligent et connecté. Cette stratégie, intitulée « Accélérer l’intelligence pour une nouvelle Afrique », se concentre sur l’intégration de technologies intelligentes, notamment l’IA, dans des secteurs clés tels que la santé, l’éducation, l’agriculture et les transports en Afrique. Pour soutenir cette initiative, Terry HE a dévoilé un plan d’investissement ambitieux de 430 millions de dollars sur cinq ans pour la région Northern Africa, baptisé « Avenir Intelligent ». En matière de développement des compétences, Huawei investira ainsi 30 millions de dollars pour former 10 000 développeurs locaux et 100 000 professionnels du numérique, créant ainsi une main-d’œuvre qualifiée pour stimuler la transformation intelligente dans la région. Par ailleurs, 200 millions de dollars seront parallèlement injectés pour la création du premier centre de cloud public de la région, ainsi que 200 millions supplémentaires pour soutenir 200 partenaires logiciels locaux et renforcer 1 300 partenaires de distribution.
Enfin, l’innovation numérique soulève des défis en matière de régulation et de législation, auxquels les gouvernements africains doivent répondre de manière adaptée. La réglementation de l’usage de l’intelligence artificielle doit donc être claire et transparente afin de favoriser l’innovation.
L’histoire a démontré que les avancées technologiques en Afrique sont souvent le fruit de l’initiative de la société elle-même, car les innovateurs s’efforcent de résoudre des problèmes concrets auxquels leurs concitoyens sont confrontés. Le continent se révèle être un vivier d’idées audacieuses et de solutions créatives, s’affirmant peu à peu comme un acteur incontournable de la révolution numérique mondiale. Aujourd’hui, l’intelligence artificielle représente une révolution encore plus significative que toutes les précédentes et l’Afrique s’engage fermement sur le chemin de cette technologie, visant à exceller. La convergence entre les TIC et l’innovation sociale et économique crée une dynamique positive qui transforme progressivement le visage du continent.
L’accroissement de l’accès à Internet, l’émergence de start-ups innovantes et l’application ingénieuse des technologies pour résoudre des problèmes locaux sont autant de signes qui soulignent que l’Afrique embrasse pleinement un avenir numérique radieux. Alors que la nouvelle génération de talents se lève pour façonner le futur, l’Afrique numérique innovante trace la voie vers un continent prospère, inclusif et tourné vers l’avenir. Bien que certains défis persistent, leur résolution conjointe sera essentielle pour faire de l’Afrique le prochain hub numérique de cette Quatrième Révolution industrielle.
Daouda Bakary KONE
[1] « Les évolutions démographiques de l’Afrique subsaharienne entre 2000 et 2020 et les défis d’ici 2050 », INED, novembre 2020.
[2] « Afrique subsaharienne/Boom démographique : Une arme à double tranchant », Anadolu Agency, novembre 2022.
[3] « En 2050, plus de la moitié de la population africaine aura moins de 25 ans », Agence française de développement, juin 2019.
[4] « L’Internet Society s’engage à étendre l’accès à l’Internet en Afrique », Internet Society, juin 2022.
[5] « L’Afrique et ses télécommunications, entre “eldorado rêvé” et réalités », Morgan Philips.
[6] « Innovation technologique en Afrique : Les avancées de l’IA à travers le continent », Classe Export, septembre 2023.
[7] « Les levées de fonds des start-up africaines ont augmenté de 42% en mai 2023, à 621,8 millions $ », Agence Ecofin, juin 2023.
[8] « GITEX Africa : L’Afrique adopte la vague d’innovation en matière d’IA, mais des investissements supplémentaires restent nécessaires (experts) », MAP News, juin 2023.
[9] « GITEX Africa : L’Afrique adopte la vague d’innovation en matière d’IA, mais des investissements supplémentaires restent nécessaires (experts) », MAP News, juin 2023.
[10] “The State of Mobile Internet Connectivity 2020”, GSMA, 2020.