CONFÉRENCE DE SÉVILLE : SORTIR DE L’ENDETTEMENT INUTILE ET BÂTIR UN FINANCEMENT AFRICAIN SOUVERAIN

Date:

Par Magaye GAYE
Économiste international
ancien Cadre de la Boad

La Conférence de Séville, qui s’ouvre ce lundi 30 juin, suscite de nombreuses attentes. Organisée dans un contexte international marqué par des crises multiples — économique, sociale et financière —, elle met une nouvelle fois le financement du développement africain au cœur du débat mondial. Cependant, il est crucial de ne pas retomber dans les travers habituels : un dialogue qui tourne en rond, des diagnostics répétés sans avancées concrètes, ou des accusations unilatérales qui ne favorisent ni la responsabilité ni la coopération.

Plutôt que de chercher des boucs émissaires, il s’agit d’adopter une démarche constructive, reconnaissant les responsabilités partagées entre les partenaires internationaux, les institutions africaines et les acteurs locaux. C’est dans cette optique d’équilibre et d’efficacité que cette contribution propose une analyse des blocages actuels, ainsi que des pistes réalistes pour bâtir un système financier africain souverain, capable de soutenir durablement le développement. À cet effet, nous nous appuyons sur une expérience de près de vingt ans dans le domaine du financement du développement.

UNE CHAÎNE DE DYSFONCTIONNEMENTS MULTIPLES

Le diagnostic est lourd, structuré autour de plusieurs maillons. Tout d’abord, l’offre de financement est profondément inadaptée. Les banques commerciales, dominées par des capitaux étrangers, privilégient les financements de court terme, négligeant les besoins structurels des PME africaines. Les banques de développement sous-régionales comme la BOAD ou la BIDC restent trop peu nombreuses, avec des lignes de crédits insuffisamment tirées, souvent annulées ou soumises à des conditionnalités longues et rigides.

Les institutions de garantie (FSA, FAGACE…) manquent de ressources, tandis que la BRVM reste difficilement accessible à la plupart des entreprises africaines à cause de critères trop contraignants. Par ailleurs, les banques multilatérales de développement imposent des procédures si rigides que le taux moyen de décaissement ne dépasse pas les 60%, avec parfois 18 mois avant le premier décaissement.

À cela s’ajoute une qualité globalement insuffisante des projets : manque de fonds propres, faible culture du remboursement, absence de stratégie, défaillance de l’organisation. Le climat des affaires n’aide pas : réalisation des garanties judiciairement difficile, coûts élevés, et faible soutien public.

Enfin, la question monétaire est centrale : dans la zone CFA, la rigidité du franc CFA – qui privilégie la lutte contre l’inflation au détriment du plein emploi – empêche un véritable pilotage monétaire au service du financement du développement. Plus de 90% des acteurs économiques sont exclus du financement, notamment dans le secteur informel.

LE DÉFI MAJEUR : LA RESTRUCTURATION DE LA DETTE AFRICAINE

Aujourd’hui, la restructuration de la dette des pays africains est au cœur de la problématique du financement. De nombreux États voient leur capacité financière étouffée par des charges de dette élevées, souvent contractées dans des conditions peu transparentes ou non soutenables. Un agenda clair et ambitieux de restructuration est indispensable, visant à alléger le fardeau financier, rétablir la soutenabilité de la dette et libérer des marges de manœuvre budgétaires pour investir dans des projets à forte valeur ajoutée. Cette restructuration doit se faire dans un cadre multilatéral cohérent, avec la participation active des créanciers publics et privés, pour éviter des crises répétées et permettre une trajectoire durable de développement.

UNE AUTRE VOIE EST POSSIBLE

Il est temps de rompre avec la dépendance vis-à-vis de l’aide extérieure. Un slogan fort doit fédérer la vision : « Un financement africain pour des projets africains ». Cela suppose un changement de paradigme politique : compter d’abord sur nos ressources propres.

Cela passe par la création dans chaque pays de trois instruments financiers nationaux : une banque de développement, un fonds de garantie et un fonds de participation. Pour être viables, ces instruments doivent être bien gérés et alimentés par un mécanisme pérenne d’abondement : affectation de taxes spécifiques (tabac, télécoms, loteries, importations stratégiques) ou une part des réserves de la BCEAO.

Un pacte de succès entre les banques de développement nationales et celles sous-régionales (BOAD, BAD) est essentiel. Ces institutions régionales pourraient détenir une minorité de blocage et co-piloter la gouvernance avec des partenaires expérimentés (Tunisie, Maroc).

Le conseil aux promoteurs doit être renforcé par des centres de gestion agréés. Il faut revaloriser les projets en création (« green fields ») et mettre fin aux rejets systématiques. L’Afrique a besoin d’entrepreneurs responsables, formés, soutenus, et d’un vrai pacte de confiance entre porteurs de projets et bailleurs.

Enfin, des instruments alternatifs doivent être testés : tontines sectorielles pour PME, création d’une banque sous-régionale pour l’agriculture, dynamisation du marché des titres de créances négociables.

UNE COOPÉRATION INTERNATIONALE À REPENSER

Les flux financiers illicites coûtent à l’Afrique plus de 90 milliards de dollars par an. La corruption endogène (plus de 100 milliards détournés vers les paradis fiscaux) doit être dénoncée. Mais il faut aussi une responsabilité des institutions internationales. Le FMI, garant de la transparence, doit mieux suivre les processus d’endettement, comme le montre le cas du Sénégal. Quant à la Banque mondiale, une étude a révélé que 7,5% des décaissements sont réorientés vers les paradis fiscaux.

La communauté internationale doit aider à rapatrier ces fonds volés, en revoyant les législations qui bloquent les restitutions (en Europe, Inde, pays du Golfe…). De plus, les conditionnalités imposées par certaines multinationales avec le soutien implicite de bailleurs doivent être reconsidérées. Le cas des ressources pétrolières bradées est emblématique.

Il faut aussi poser un « devoir de vigilance » aux institutions financières : ne pas financer n’importe quoi, ni céder aux pressions politiques locales.

RESPONSABILITÉ AFRICAINE ET URGENCE DE RÉFORMES PROFONDES

Il est essentiel que l’Afrique prenne pleinement conscience de ses propres responsabilités. Trop souvent, les endettements excessifs ont servi à financer des projets politiques coûteux, sans retour économique ni impact social durable — stades, infrastructures inutiles, etc.

Le train de vie des États doit être revu, et les financements orientés vers des projets à forte rentabilité économique et financière. La création d’agences de notation nationales n’est pas une solution simple, car les conflits d’intérêts et le manque de transparence risquent d’aggraver la situation.

Dans un contexte mondial marqué par une crise de la dette, une croissance atone et des tensions de liquidité, l’Afrique ne peut plus dépendre des financements extérieurs traditionnels. Elle doit se recentrer sur ses propres forces et trouver en elle les ressources nécessaires pour financer son développement durable.

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croissanceafrikhttp://croissanceafrique.com
Croissance Afrique (sarl) est un Média multi-support qui propose plusieurs rubriques axées sur l’actualité économique du continent. Le magazine est un journal (en ligne dont un mensuel disponible dans les kiosques à journaux) qui traite spécialement les informations financières dédiées à l’Afrique. Il est également le premier média malien spécialisé dans la production d’Informations Économiques, financières, Stratégiques, et orienté vers le reste du monde. Le Magazine a été fondé en Novembre 2017 à Bamako.

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