Magaye Gaye
Économiste international
Ancien cadre de la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD)
Philippe de Villiers. ancien ministre et figure de la droite souverainiste française, l’a affirmé avec son aplomb habituel : « dans vingt ans, le peuple historique français sera minoritaire », ajoutant que l’immigration en est la cause principale. Cette déclaration, calibrée pour frapper les esprits et nourrir l’angoisse identitaire, mérite d’être déconstruite. Non parce qu’elle touche à un sujet secondaire, mais parce qu’elle inverse les responsabilités. Le problème démographique de la France ne vient pas de l’immigration. Il vient de l’intérieur : d’une société qui a fragilisé son modèle familial, abandonné sa politique nataliste, et s’interroge trop peu sur la continuité de sa population.
- LE VRAI PROBLÈME : UNE FAMILLE EN CRISE
La France a longtemps fait figure d’exception en Europe grâce à une natalité relativement dynamique. Mais depuis dix ans, la fécondité chute. La raison est simple : la famille, cellule procréatrice de base, est fragilisée. Le couple homme-femme, qui garantissait la transmission biologique et culturelle, a été relégué au second plan.
Les réformes successives, loin de renforcer la politique familiale, l’ont diluée. Le mariage est relativisé, l’union libre domine, la séparation est banalisée. La montée des modèles alternatifs – dont le mariage pour tous et l’expansion du modèle LGBTQ – traduit un choix de société : privilégier la liberté individuelle au détriment de la fonction procréatrice. C’est un droit, certes. Mais c’est aussi une évidence démographique : moins de couples hétérosexuels stables, c’est moins d’enfants.
On peut multiplier les allocations, inventer des crédits d’impôt, mais tant que la société valorisera davantage l’individualisme que la famille, la démographie française restera déclinante. Et ce n’est pas l’immigré qui en est responsable, mais le choix collectif des Français eux-mêmes.
- LE MYTHE DU « GRAND REMPLACEMENT »
Le discours de Philippe de Villiers repose sur un vieux fantasme : celui d’un « peuple historique » qui serait submergé par l’étranger. Or l’histoire de France prouve le contraire. La nation française n’a jamais été une race figée. Elle est le fruit de métissages successifs : Romains, Francs, Italiens, Espagnols, Polonais, Portugais, Maghrébins, Africains…
Dire qu’il existerait une « essence française » menacée par l’autre, c’est oublier que le peuple français est une construction politique, pas une donnée biologique. Et c’est surtout refuser de voir que la véritable cause du déclin n’est pas la venue de nouveaux arrivants, mais le refus des Français de se renouveler eux-mêmes.
D’ailleurs, le concept de minorité appliqué à une nation est trompeur. Dans une démocratie républicaine, il n’existe pas de majorité « ethnique », mais une citoyenneté partagée. La peur du « grand remplacement » n’est donc pas une analyse, c’est une stratégie politique fondée sur la peur.
- L’IMMIGRATION : UNE RESSOURCE VITALE
Plutôt que d’être diabolisée, l’immigration devrait être pensée comme un atout stratégique. Les pays les plus prospères aujourd’hui – États-Unis, Canada, Allemagne – sont ceux qui ont su attirer, sélectionner et intégrer des talents venus d’ailleurs.
Dans une Europe vieillissante, où les retraites pèsent et où la main-d’œuvre jeune se fait rare, fermer la porte à l’immigration est suicidaire. La France, comme ses voisins, a besoin d’un apport extérieur pour équilibrer sa pyramide des âges, stimuler sa consommation et irriguer son économie.
Bien sûr, cela suppose une politique ferme et intelligente : choisir les profils, organiser l’intégration, assurer l’adhésion aux valeurs républicaines. Mais vouloir réduire l’immigration à une menace, c’est s’interdire de voir qu’elle est déjà, et qu’elle restera, une énergie vitale pour le pays.