Afrique: le coût de risque des dettes souveraines menace le Continent grâce à  la surévaluation des économies

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(CROISSANCE AFRIQUE)-En ce qui concerne l’utilisation des dettes souveraines, l’Afrique se retrouve souvent dans une situation délicate, étant fréquemment victime de l’application d’un coût du risque qui est régulièrement jugé comme exagéré

Cette surévaluation du risque économique et financier auquel le continent africain est confronté complique la capacité de ses gouvernements à emprunter efficacement sur les marchés internationaux. Cela impose des contraintes supplémentaires aux pays africains, les obligeant à payer des taux plus élevés pour leurs dettes, ce qui limite leurs possibilités de développement et de croissance économique.

Alors que des pays africains tels que le Nigeria, le Kenya ou la Côte d’Ivoire font un retour sur la scène des marchés internationaux avec une activité accrue, une constante significative persiste : les États africains continuent de devoir offrir les rendements les plus élevés que l’on puisse trouver à l’échelle mondiale. Cette situation est perçue comme une anomalie persistante, et malgré un appétit massif et inétanchable de la part des investisseurs pour ces obligations, cela ne suffit pas à atténuer ou à corriger ces hauts rendements. 

Le Passif de défauts souverains en Afrique

Selon Daniel Lebetkin, un banquier chez Citigroup et mentionné dans un rapport par Bloomberg, il a participé à la structuration de la majorité écrasante des 18 milliards de dollars émis cette année par les gouvernements des pays africains. Il note une demande croissante et significative pour ces nouvelles obligations, ce qui démontre un intérêt soutenu. Cependant, un point crucial demeure inchangé : les taux des coupons restent durablement élevés, malgré cette demande accrue.

Dans ses propos, il résume la situation en affirmant qu’« il existe une différence structurelle au niveau des rendements ». Cette phrase, qui semble succincte, en dit long en capturant la complexité d’un phénomène qui est à la fois technique, psychologique et enraciné dans l’histoire. Différents analystes attribuent ces taux élevés à divers facteurs. Parmi ceux-ci figurent le lourd passif de défauts souverains récents dans des pays comme le Ghana ou la Zambie, des instabilités politiques qui créent des incertitudes, ou bien encore la taille limitée des économies africaines. 

D’autres personnalités et experts, à l’image du ministre sud-africain des Finances Enoch Godongwana, s’indignent ouvertement d’un biais assumé et pernicieux des investisseurs, des agences de notation, ainsi que des grandes institutions internationales financières, qui traitent les pays africains de manière disproportionnée. Africa Finance Corporation pousse même cette critique plus loin en évoquant le concept de ‘’prime de préjudice », ce qui représente un surcoût faramineux estimé à pas moins de 75 milliards de dollars par an pour l’ensemble du continent africain. 

Ainsi, ces coûts exorbitants pénalisent lourdement les économies africaines déjà fragiles. Une étude détaillée et exhaustive publiée par le Fonds Monétaire International en juillet vient corroborer ce constat en révélant l’existence indéniable d’une surprime moyenne d’un demi-point de pourcentage imposée sur les emprunts contractés par les pays africains. Cela survient même pour ceux qui possèdent une notation financière comparable à d’autres régions du monde émergent, ce qui souligne une inégalité manifeste.

Le Contraste qui soulève des questions sur les forces invisibles du marché financier qui influencent les taux

 Cependant, et c’est un aspect essentiel de ce débat, on observe que cette surprime tend à diminuer ou à disparaître de façon significative dès lors que des mesures concrètes d’amélioration de la gouvernance locale et de la transparence budgétaire sont rigoureusement mises en œuvre, ce qui souligne l’importance cruciale de réformes internes pour attirer l’investissement à des coûts moins prohibitifs. Le Kenya, actuellement évalué par le FMI comme présentant un haut risque de surendettement, a récemment fait appel au marché financier, proposant des titres à trois ans au taux impressionnant de 9,2%.

 Cette situation offre une perspective fascinante sur les réalités du marché de la dette international. À titre de comparaison, le Bahreïn, bien qu’il soit également soutenu par ses voisins riches en pétrole et jouissant d’une notation semblable, a réussi à lever des fonds à un taux relativement inférieur de 6,625%. Ce contraste soulève des questions sur les forces invisibles du marché financier qui influencent les taux, étant donné que les seuls fondamentaux économiques ne justifient pas une telle disparité. 

En totale opposition, le Ghana illustre comment le marché peut revenir en faveur d’un pays grâce à une série de réformes judicieuses qui instillent une confiance renouvelée chez les investisseurs. En effet, seulement trois ans après avoir été en défaut de paiement, les obligations ghanéennes se maturant en 2029 sont actuellement échangées à un taux autour de 6%, ce qui démontre clairement une amélioration de la perception du risque.

Par ailleurs, il est intéressant de noter que les coûts d’emprunt des pays africains ont diminué dans les derniers mois. Cette baisse s’explique notamment par une politique monétaire internationale plus flexible, ainsi que par les réformes structurelles mises en œuvre par plusieurs gouvernements africains visant à stabiliser et revitaliser leurs économies. Un exemple frappant de cette tendance est le succès des émissions d’eurobonds du Nigeria et du Kenya, qui ont été sursouscrites cinq fois.

La Faiblesse de la production statistique sur le continent africain

Aussi,  cela atteste du désir croissant des investisseurs internationaux pour des placements en Afrique, malgré le haut niveau perçu de risque. En conséquence, le spread africain s’établit désormais à 3,7 points de base, ce qui constitue son niveau le plus bas depuis 2018. Cependant, il convient de noter que ce spread demeure largement supérieur à ceux observés en Amérique latine, en Europe émergente et en Asie, reflétant ainsi des différences persistantes en matière de perception du risque.

Cette persistance d’un écart s’explique en partie par la faiblesse de la production statistique sur le continent africain, qui ne parvient pas à fournir les données nécessaires en temps voulu. En raison de l’absence et de l’insuffisance de données complètes et de leur mise à jour fréquente, les investisseurs se montrent particulièrement prudents, ajoutant un supplément de précaution à leurs décisions.

 Les agences de notation, confrontées à cette pénurie d’informations substantielles, peinent également à produire des évaluations précises, ce qui les conduit souvent à abaisser plus rapidement les notes attribuées aux pays africains en cas de perturbations ou de crises économiques mondiales.

Selon une étude approfondie, il a été observé que 62 % des pays africains notés ont subi une dégradation durant la période de la pandémie de COVID-19, une proportion notablement plus élevée comparée aux 32 % enregistrés à l’échelle mondiale. Cette asymétrie significative alimente en conséquence un débat de plus en plus vif sur l’existence d’un biais systémique défavorable. Par ailleurs, il est important de mentionner que moins de 10 % des obligations souveraines en dollars émises par les économies émergentes proviennent du continent africain. 

Faible profondeur du Marché

Cette faible profondeur du marché, causée par un nombre limité d’émissions, restreint la possibilité de construire un historique financier solide et rend ces titres moins familiers, voire méconnus, pour les gérants de fonds internationaux, ce qui complique davantage les perspectives d’investissement à long terme.

Ces derniers, souvent influencés par un manque d’informations précises ou par une méconnaissance des spécificités locales, hésitent alors à recommander des achats dans des pays qu’ils connaissent mal et dont ils ne maîtrisent pas complètement les dynamiques économiques. Pour certains analystes, il est crucial que les États africains renforcent leur coordination non seulement entre eux mais aussi avec les acteurs internationaux, afin de bâtir un argumentaire solide et convaincant qui soit fondé sur des données précises et vérifiables, plutôt que se contenter de dénoncer un système perçu comme injuste ou inadapté.

 Selon ces mêmes analystes, la surprime qui s’établit en moyenne autour d’un point de pourcentage pourrait être sensiblement réduite si les États concernés prenaient l’initiative de publier de manière plus régulière et plus transparente leurs informations financières et économiques, rendant ainsi leurs marchés plus attractifs pour les investisseurs étrangers.

Aujourd’hui, l’Afrique bénéficie d’un regain d’intérêt sans précédent de la part des investisseurs internationaux et des acteurs économiques globaux. En effet, elle émet davantage de titres, ses politiques monétaires se réforment et s’améliorent, et les marchés mondiaux commencent à accueillir massivement ses titres financiers. Pourtant, des défis structurels persistent : la complexité de la structure du marché, la rareté des données fiables, et certains biais qui demeurent obstinément, ce qui contribue à maintenir les coûts d’emprunt à des niveaux disproportionnellement élevés. 

Réduire de manière durable cette surprime et favoriser un meilleur accès aux financements nécessitera non seulement une transparence accrue, mais aussi des volumes d’émission plus importants, une amélioration institutionnelle significative, ainsi qu’un dialogue soutenu et constructif avec les investisseurs pour restaurer la confiance et inciter à un engagement économique plus profond.

Daouda Bakary KONÉ 

croissanceafrik
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Croissance Afrique (sarl) est un Média multi-support qui propose plusieurs rubriques axées sur l’actualité économique du continent. Le magazine est un journal (en ligne dont un mensuel disponible dans les kiosques à journaux) qui traite spécialement les informations financières dédiées à l’Afrique. Il est également le premier média malien spécialisé dans la production d’Informations Économiques, financières, Stratégiques, et orienté vers le reste du monde. Le Magazine a été fondé en Novembre 2017 à Bamako.

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