Interview à bâtons rompus avec Tarek Mghari, Directeur d’investissement en Private Equity, basé à Casablanca

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(CROISSANCE AFRIQUE)-Détenteur d’un Master grande école d’Audencia et d’un autre  Master spécialisé en ingénierie financière d’EM Lyon, Tarek Mghari occupe le poste de directeur d’investissement en Private Equity, basé à Casablanca. Il est actif dans l’investissement public et privé, depuis plus d’une dizaine d’années. Après un bref passage en banque d’affaires à Paris (Natixis), Tarek a occupé des postes en fusions-acquisitions et investissement au Maroc et au sein de grands groupes marocains et panafricains et a  piloté un certain nombre de transactions au Maroc, Rwanda, Nigéria, etc(OCP) avant de rejoindre l’univers du capital investissement (Société générale Private Equity).  Aujourd’hui, il nous parle de quelque chose d’important. Lisez plutôt.

Tarek Mghari occupe le poste de directeur d’investissement en Private Equity, basé à Casablanca

1-Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs?

Tarek Mghari, directeur d’investissement en Private Equity, basé à Casablanca. Je suis actif dans l’investissement public et privé, depuis plus d’une dizaine d’années. Après un bref passage en banque d’affaires à Paris (Natixis), je suis rentré au Maroc et occupé des postes en fusions-acquisitions et investissement au sein de grands groupes marocains et panafricains et piloté un certain nombre de transactions au Maroc, Rwanda, Nigéria, etc (OCP) avant de rejoindre l’univers du capital investissement (Société générale Private Equity).

2-Quel est votre parcours académique?

Je suis diplômé du Master grande école d’Audencia et du Master spécialisé en ingénierie financière d’EM Lyon.

3- Parlez-nous du capital investissement en tant que classe d’actifs qui se développe en Afrique et en particulier au Maroc ?

Le capital-investissement africain démarre dans les années 90,sous l’impulsion d’institutions multilatérales de développement dont l’objectif était de consolider le secteur privé des économies du continent. Des institutions comme la BAD, la BEI, CDC,…ont œuvré à la création d’écosystèmes (financement, gouvernance, climat des affaires, etc) favorisant l’émergence de l’investissement privé et permettant d’améliorer le narratif sur le potentiel de l’Afrique.

« le gap de financement entre les besoins des petites entreprises et les levées de fonds reste considérable pour les 40 millions de PME du continent »

C’est ainsi que les levées de fonds se  sont structuré autour d’investisseurs étrangers (fonds de pension, compagnies d’assurances, etc.) souhaitant tenter l’aventure africaine. Bien que les levées n’aient cessé d’augmenter, le gap de financement entre les besoins des petites entreprises et les levées de fonds reste considérable pour les 40 millions de PME du continent.Un vaste marché qui fait du capital investissement une classe d’actifs à fort potentiel !                       

Au Maroc, le capital investissement existe depuis plus d’une vingtaine d’années. Avec la création de l’AMIC (association marocaine des investisseurs en capital) en 2000, en charge notamment de la promotion des métiers du private equity et du venture capital, l’industrie se développe et se professionnalise pour inclure différents profils d’opérateurs :

  • Fonds d’investissement affiliés à des institutions financières
  • Puissance publique, à travers le groupe CDG notamment, un des pionniers de cette industrie au Maroc
  • Sociétés de gestion indépendantes marocaines ou étrangères gérant des fonds d’investissement nationaux/régionaux pour le compte d’investisseurs privés/institutionnels

Le capital investissement s’est fortement développé depuis les dix dernières années et séduit les investisseurs instutionnels en recherche de produits alternatifs pour diversifier leurs portefeuilles et en améliorer potentiellement le rendement. L’intérêt, en effet, de cette classe d’actifs est de permettre l’accès à un pan essentiel du secteur privé marocain, à savoir les PME/ETI, jusque là très peu adressé par les investisseurs institutionnels. A la différence des autres classes d’actifs classiques, les investisseurs peuvent, au-delà du capital, mettre en place les conditions de la création de valeur à travers un accompagnement rapproché des entreprises investies et une représentation dans leurs organes de gouvernance.

« …l’économie marocaine qui a souffert de la crise du covid-19 a axé son programme de relance, découlant de la vision royale… »

Depuis le début de la pandémie et dans le contexte de rétraction des économies mondiales en général et africaine et marocaine en particulier, le capital investissement s’est définitivement imposé comme une classe d’actifs résiliente et capable de jouer un rôle décisif dans la relance économique.

D’ailleurs, l’économie marocaine qui a souffert de la crise du covid-19 a axé son programme de relance, découlant de la vision royale, sur un dispositif double : des prêts garantis par l’Etat et le fonds Mohammed VI pour l’investissement. Ce dernier, doté de 15 milliards de dirhams pour son tout premier closing, (d’autres levées sont prévues ultérieurement) a placé les PME au centre de sa stratégie d’investissement. Le fonds sera lui-même structuré en sous-fonds sectoriels gérés notamment par les sociétés de private equity de l’écosystème marocain.  C’est dire la place que prend cette industrie dans l’économie du pays.

Il est d’ailleurs intéressant de noter que les performances des entreprises accompagnées par des fonds ont été supérieures à celles des entreprises cotées en bourse, au Maroc, depuis le début de la crise sanitaire. Les primes de risque (liées aux sujets de liquidité, taille, etc.) sont souvent assorties d’excess return pouvant aller jusqu’à 5%. Le capital investissement affiche un TRI brut moyen de 13%, sur les vingt dernières années.

4- Pouvez vous nous dresser un panorama de l’industrie du capital investissement en Afrique et au Maroc ?

En Afrique subsaharienne, l’industrie du capital investissement est dominéepar l’investissement privé en infrastructures, le growth capital et de plus en plus le venture capital. Ces trois segments ont tiré la croissance des levées de fonds sur ces dernières années.

« …l’Afrique de l’Ouest s’impose comme la région la plus dynamique en termes de volumes de transactions (33%) tirée par le Nigéria avec un focus fintech, suivie de l’Afrique du Sud, l’Afrique du Nord et enfin l’Afrique de l’Est.. »

En 2021, les levées de fonds ne représentent pas loin de 4,5 milliards de dollars et les investissements 7,5 milliards de dollars pour environ +400 deals, avec une tendance croissante à la multiplication de « méga-deals » dont la taille dépasseles 100 millions de dollars.

Les principaux secteurs qui dominent l’industrie du capital investissement sont : le secteur financier, les biens de consommation, l’IT, l’industrie et les utilités qui représentent l’essentiel des transactionsen valeur.   

Géographiquement, l’Afrique de l’Ouest s’impose comme la région la plus dynamique en termes de volumes de transactions (33%) tirée par le Nigéria avec un focus fintech, suivie de l’Afrique du Sud, l’Afrique du Nord et enfin l’Afrique de l’Est.En Afrique du Nord, le Maroc est le 2ème pays derrière l’Egypte en termes de volume et valeur de transactions.

« Les investissements ont dépassé le cap de1 milliard de dirhams en 2021 (dont 10% en venture capital) ».

L’industrie du capital investissement marocain compte une vingtaine de sociétés de gestion qui gèrent une quarantaine de fonds d’investissement et un portefeuille de +140 entreprises investies, à fin 2021.Les levées ont atteint 1,9 milliards de dirhams, une année record, avec une dominante de fonds transrégionaux et un profil d’investisseurs institutionnels accueillant de plus en plus de DFIs (institutions multilatérales de développement). Les investissements ont dépassé le cap de1 milliard de dirhams en 2021 (dont 10% en venture capital).

Les segments dominants sont le capital-développement qui représente près des trois quarts du marché, suivi du venture capital quibien qu’embryonnaire à ce stade, prend de plus en plus d’espace dans le paysage de l’investissement au Maroc.

5-Selon vous, quels sont les défis les plus importants de cette industrie en Afrique ? Quels doivent être la vision cohérente mais aussi les principaux enjeux pour relever les défis ?

Ce qui ressort en premier lorsqu’on évalue un marché comme l’Afrique, c’est le manque d’informations/data sur les opportunités mais aussi sur le track-record africain qui constituent des freins importants pour les investisseurs habitués à des marchés disciplinés.

Par ailleurs, les options de liquidité qui restent très limitées représentent un facteur non négligeable dans la prise de décision d’un investissement. En effet, le manque de profondeur du marché africain limite les modes de désinvestissement au marché secondaire,voire au rachat par les sponsors.

Certains pays d’Afrique subsaharienne souffrent également de volatilités monétaires et de pressions sur leurs réserves de change, ce qui complique notamment la remontée de dividendes parfois et décourage certains investisseurs. Les lourdeurs bureaucratiques et le manque de transparence de la justice sont également des éléments décisifs qui participent souvent de la dégradation du climat des affaires.

Quid des déficits d’images

Enfin, dans le contexte inflationniste que nous connaissons, s’ajoute un aléa sur les valorisations qui vont mécaniquement baisser en raison de l’augmentation des taux exigés… Ces quelques éléments que je vous cite, en plus de l’instabilité politique, créent parfois un déficit d’image et de confiance et ne permettent pas de libérer le plein potentiel de l’industrie du capital investissement en Afrique.

Pour répondre à ces challenges, les investisseurs se doivent de développer une expertise de terrain auprès des écosystèmes locaux, sélectionnerles cibles de manière très rigoureuse et investir dans des sociétés leaders de leur secteur, diversifier leurs portefeuilles d’un point vue sectoriel et géographique, renforcer la gouvernance et enfin, préparer les exits le plus en amont possible…

6-Que pourraient être les défis des PME en Afriqueet au Maroc et comment le capital investissement y répond ?

L’accès au financement : reste le premier obstacle au développement des PME/ETI au Maroc et en Afrique. En effet, les banques restent très conservatrices et sélectionnent rigoureusement les candidats au financement tout en maintenant un coût du risque assez élevé.

« …des mécanismes permettant d’aligner les intérêts/objectifs de l’entreprise investie et de l’investisseur… »

Le capital investissement, du fait d’un rapport au risque plus assumé, permet de répondre à cette problématique en libérant du capital avec des modalités personnalisées : fonds propres, quasi fonds propres, dette mezzanine, etc…avec des mécanismes permettant d’aligner les intérêts/objectifs de l’entreprise investie et de l’investisseur.

Le manque de compétitivité : est un autre défi pour les PME qui, bien qu’ayant le savoir-faire et le bon positionnement, n’ont parfois pas la taille suffisante pour rivaliser sur un marché de forte compétition, lutter contre l’informel ou accéder à des marchés publics par exemple.

Là encore, une des stratégies qu’un fonds d’investissement peut mettre en place est d’actionner des synergies de portefeuille pour optimiser la rentabilité de l’entreprise investie ou encore de procéder à des opérations de build-up pour augmenter la taille de l’entreprise investie et lui permettre de grandir sur ses marchés.

La liquidité :  est un sujet qui préoccupe à la fois les investisseurs et les PME non cotées. Comme expliqué précédemment, les modes de sortie (exit) ne sont pas encore très développés en Afrique subsaharienne et se limitent souvent au marché secondaire ou au rachat par les sponsors. Cela entame l’intérêt que pourraient avoir les investisseurs pour le continent.

Avant le closing d’un deal, un fonds d’investissement aura généralement exploré les options de sortie qui s’offrent à lui, compte tenu d’un certain nombre de critères (profil de la cible, secteur et dynamiques de consolidation, scan des portefeuilles secondaires, potentiel d’introduction en bourse, etc) et fera en sorte d’actionner en amont du désinvestissement les pistes les plus pertinentes pour sécuriser la liquidité.

La transmission : les PME africaines issues du capitalisme familial ne pensent que très peu à des plans de successions et mettent en péril la pérennité de leurs business.

Un des rôles que peut jouer un capital investisseur est de permettre la transmission de l’entreprise en institutionalisant son capital et en mettant en place une gouvernance indépendante.

7-Quels sont les défis et perspectives pour les prochaines années à venir ?

Parmi les principaux défis que j’entrevois et auxquels l’industrie du capital investissement africain devra faire face, il y a le prolongement des tensions inflationnistes qui vontprobablement compliquer l’environnement des levées de fonds ainsi que les valorisations.

Parallèlement à cela, je pense que les programmes de relances économiques dans les pays africains s’appuieront de plus en plus sur lecapital investissement avec une législation plus souple et incitative, ce qui permettra à cette industrie de continuer à se développer, comme c’est le cas pour le Maroc avec le fonds Mohammed VIpour l’investissement appelé à gérer des sous-fonds sectoriels avec pour le compte d’investisseurs publics et privés, (en plus de la nouvelle charte d’investissement).

… »le développement du secteur privé tant souhaité par les DFIs et les gouvernements, le gap de financement des infrastructures, la généralisation des systèmes de couverture sociale… »

Plus globalement, la sélection des investissements en Afrique et au Maroc sera clé dans ce contexte concurrentiel pour les entreprises cherchant à lever des fonds, avec une sensibilité croissante aux sujets ESGet à l’impact, compte tenu du profil des investisseurs ciblant le continent.

A moyen terme, le capital investissement est appelé à occuper plus d’espace dans les économies africaines pour plusieurs raisons : le développement du secteur privé tant souhaité par les DFIs et les gouvernements, le gap de financement des infrastructures, la généralisation des systèmes de couverture sociale à travers les fonds de pension/retraite et le développement nécessaire des écosystèmes Tech…sont autant de facteurs favorables au développement du private equity et du venture capital comme véritables leviers de développement des économies africaines.

8-Votre mot de fin

Merci à Croissance Afrique pour cette tribune qui permet de jeter des ponts entre pays africains et d’ouvrir la réflexion sur les sujets critiques qui font l’avenir de notre continent.

Réalisée Moussa  KONE

croissanceafrik
croissanceafrikhttp://croissanceafrique.com
Croissance Afrique (sarl) est un Média multi-support qui propose plusieurs rubriques axées sur l’actualité économique du continent. Le magazine est un journal (en ligne) qui traite spécialement les informations financières dédiées à l’Afrique. Il est également le premier média malien spécialisé dans la production d’Informations Économiques, financières, Stratégiques, et orienté vers le reste du monde. Le Magazine a été fondé en Novembre 2017 à Bamako.

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