« La France doit rompre avec la rhétorique martiale qui prévaut au Sahel »

Date:

Selon un collectif de chercheurs, « l’outil militaire français doit être subordonné à un projet politique réaliste défini par les sociétés sahéliennes ».

Un accord inadapté

Si l’avenir du Sahel dépend indiscutablement de la capacité des Etats à relever le défi de la gouvernance et du développement, dans l’immédiat, la plupart des observateurs reconnaissent que la stabilisation de la région doit s’appuyer sur deux piliers, politique et sécuritaire. Ces deux piliers se désagrègent aujourd’hui, notamment du fait de l’absence de prise en compte de leurs interdépendances.

Lire aussi :   Un « coup significatif » porté aux djihadistes par Barkhane

Presque trois ans plus tard, cet accord peine à êtreappliqué et a échoué à changer la situation. De plus, il est aujourd’hui inadapté. D’abord parce qu’il s’est contenté de réchauffer les vieilles recettesdes accords de paix des années 1990 et 2000 sans se donner les moyens de traiter les enjeux nouveaux de la crise malienne. Ensuite parce que, face à l’extension des violences dans des zones qu’il ignore, cet accord ne peut plus constituer le moteur principal de la stabilisation politique. Il fixe un cadre que certaines parties considèrent intangible dans une situation qui se révèle particulièrement volatile.

Une stratégie risquée

Face aux impasses du processus politique et aux lenteurs des coûteux programmes de développement, ce sont les options militaires qui prévalent de facto aujourd’hui. Le Mali et ses voisins sont aujourd’hui le théâtre de multiples interventions sécuritaires qui se superposent : opération française « Barkhane » et G5 Sahel, mais aussi force de stabilisation de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), mission de formation de l’Union européenne au Mali (EUTM), mission civile de l’Union européenne(EUCAP) et opérations des forces spéciales américaines.

Non seulement cet empilement n’a pas amélioré la situation sur le terrain, mais il suscite le malaise des opinions publiques malienne et nigérienne de plus en plus rétives à ces présences militaires étrangères. Celles-ci ont échoué jusqu’ici à contenir les groupes qui se revendiquent du djihad. Ces derniers se sont adaptés aux interventions internationales : chassés des villes, ils ont appris à se recomposer dans les zones rurales. Ils cherchent à s’y enraciner en y assurant un certain ordre, à la place d’un Etat absent et souvent perçu comme illégitime.

Lire aussi :   Application de l’accord de paix au Mali : le temps presse

Face à ces foyers insurrectionnels ruraux, la tentation est grande d’armer des milices locales. C’est une stratégie risquée. D’une part, l’utilisation de milices à base communautaire dans la lutte antiterroriste comporte d’importants risques d’abus contre les civils. Elle provoque déjà d’inquiétantes réactions en chaîne qui poussent des groupes rivaux dans les bras des djihadistes. D’autre part, les Etats du G5 Sahel sont trop affaiblis pour réguler les appétits politico-économiques de ces milices. Si l’impartialité et la vertu en matière d’administration et de sécurité de ces Etats sont discutables, la solution semble tout de même devoir passer par eux, y compris sous des formes revisitées impliquant temporairement les groupes armés.

Des tentatives de dialogue

Certes, sans la présence des militaires français, la situation serait sans doute pire. Cependant, la France, en faisant le choix de frappes ciblées comme celle qui a eu récemment lieu près de la frontière algérienne, élimine assurément des combattants djihadistes mais aussi des personnes au profil plus ambigu. Ce sont par exemple des sympathisants du Jama’at Nasr Al-Islam wal-Muslimin (JNIM, Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans) – la coalition djihadiste formée autour d’Iyad Ag-Ghali – sans fonction militaire et dont la mort peut susciter la réprobation locale et perturber les tentatives de dialogue politique. Les leaders éliminés sont par ailleurs souvent remplacés par de jeunes djihadistes plus virulents et tentés par des actions plus violentes pour affirmer leur leadership.

Lire aussi :   Quand le Mali, grand corps malade, se pose en « protecteur » de la France

Le refus de la France de dialoguer avec les groupes dits djihadistes nie les réalités de terrain : des canaux de communication, directs ou non, sont d’ores et déjà établis au Niger, au Burkina Faso ou au Mali. Ces dialogues sont ardus et empreints de méfiance, mais ils peuvent progresser. Qu’on les juge opportuns ou pas, la réalité est là et la France court le risque de se retrouver du mauvais côté de l’Histoire en maintenant sa position de fermeté.

Sur le plan régional, en menant des opérations aux abords de la frontière algérienne, la France prend également le risque de s’éloigner encore davantage d’une Algérie déjà échaudée par la présence militaire française à Tessalit et par la création du G5 Sahel auquel elle n’appartient pas.

Ces réflexions commandent un changement de cap qui redonne l’initiative aux Etats sahéliens. Leurs partenaires internationaux, et notamment la France, qui occupe une place centrale dans le dispositif sécuritaire, doivent les laisser explorer ces pistes.

Sur le plan politique, il faut reconnaître les limites de l’accord de paix signé en 2015 et soutenirl’ouverture de processus de dialogue complémentaires, notamment dans les régions que l’accord ne prend pas en compte. Les Etats sahéliens doivent prendre la responsabilité d’ouvrir ces dialogues, y compris, s’ils le jugent utiles, avec des groupes djihadistes. La France doit comprendre que de tels dialogues, qu’ils se fassent dans un cadre national ou local, par le truchement des communautés ou de dignitaires religieux, peuvent constituer une alternative. Ces dialogues permettront de facto de circonscrire les mobilisations violentes. Ils laisseront les populations conduire leurs propres débats sur « l’extrémisme violent ».

Lire aussi :   Au Mali, les troupes européennes en soutien face aux djihadistes

Cette réorientation politique a d’évidentes répercussions sur le plan militaire. La France doit rompre avec la rhétorique martiale qui prévaut au Sahel. L’outil militaire doit être subordonné à un projet politique réaliste défini par les sociétés sahéliennes. Le même principe devrait conduire à accepter des moratoires sur les frappes ciblées lorsque les Etats sahéliens décident d’ouvrir des canaux de dialogue avec les groupes armés, y compris djihadistes. Une réduction de l’empreinte militaire française dans certains espaces pourrait constituer une mesure de confiance à l’endroit de l’Algérie et d’une partie des populations locales pour qui cette présence sonne comme une provocation. Ceux qui s’en offusqueraient doivent reconnaître que l’approche privilégiée jusqu’ici a, au mieux, ralenti la crise mais ne l’a pas endiguée.

 

croissanceafrik
croissanceafrikhttps://croissanceafrique.com
Croissance Afrique (sarl) est un Média multi-support qui propose plusieurs rubriques axées sur l’actualité économique du continent. Le magazine est un journal (en ligne) qui traite spécialement les informations financières dédiées à l’Afrique. Il est également le premier média malien spécialisé dans la production d’Informations Économiques, financières, Stratégiques, et orienté vers le reste du monde. Le Magazine a été fondé en Novembre 2017 à Bamako.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Partager:

Populaires

Lire aussi
RELATIFS

Sénégali: 1er gaz de Grand Tortue : vers 2025

(CROISSANCE AFRIQUE)-Un retard cumulé de 30 mois désormais pour...

FEDA investit dans Bloom Africa Holdings Limited pour soutenir son expansion en Afrique de l’Ouest

(CROISSANCE AFRIQUE)-Le Fonds pour le développement des exportations en...

Umoa-Titres: le Mali obtient 20,391 milliards de FCFA de bons et d’obligations assimilables du trésor

(CROISSANCE AFRIQUE)- Au Mali, la direction générale du Trésor...