Mis en cause par les partisans comme par les opposants du Brexit, la BBC doit désormais défendre l’existence même de la redevance, sous pression politique. Par Éric Albert
Combien de temps peut-on justifier un système où tous ceux qui ont une télévision sont obligés de payer pour certaines chaînes de télévision et de radio ? »
M. Hall sait que la bataille est imminente. La BBC bénéficie d’une charte de onze ans, qui lui garantit l’existence de la redevance jusqu’en 2027. Mais celle-ci doit être officiellement revue en 2022. « Il faut que la BBC ait une seule personne pour s’occuper de ces deux étapes [de 2022 et de 2027] », explique le directeur général sortant, dans une lettre envoyée aux employés de la British Broadcasting Corporation.Lire aussi Accusée de partialité, la BBC voit son financement menacé par l’arrivée de Boris Johnson
La concurrence de Netflix
De longue date, la droite britannique est coutumière des attaques contre la BBC, traditionnellement considérée comme trop à gauche. La presse quotidienne, très puissante, notamment le Daily Mail et le groupe de Rupert Murdoch (The Times, The Sun…), n’apprécie guère l’immense domination du groupe public, particulièrement maintenant qu’Internet les met en concurrence directe.
Ces attaques ont cependant redoublé avec le Brexit. La Corporation est jugée trop proeuropéenne par les « brexiters ». Faux, répondent les « remainers », qui estiment que la BBC a laissé ces derniers mentir, sans les corriger.
Tout cela se déroule alors que la concurrence de Netflix et des autres services de vidéo à la demande provoque un tremblement de terre dans le paysage médiatique. Le temps que les Britanniques passent devant les chaînes de télévision de la BBC s’effondre, de neuf heures et trente minutes par semaine, en 2012, à sept heures, en 2018 (y compris iPlayer, le service de rattrapage en ligne).
Un recul rapide chez les moins de 35 ans
Chez les jeunes, le recul est encore plus rapide. Pour les moins de 35 ans, seul le tiers du temps passé à regarder des vidéos se fait devant une chaîne de télévision diffusée en direct (BBC ou chaîne privée). La moitié de leur temps se répartit entre YouTube et les services de vidéos à la demande.
En lançant iPlayer dès 2007, la BBC avait su prendre le virage numérique tôt. Mais son offre commence à vieillir : la plupart des émissions ne sont disponibles que pendant trente jours, et les « box sets » (l’ensemble des épisodes d’une série) ne sont pas toujours accessibles dans leur intégralité. La Corporation en est consciente, mais elle a besoin d’obtenir le feu vert du régulateur de l’audiovisuel pour changer, là où Netflix et les autres sont beaucoup moins régulés.
Dans ce contexte, le rôle central de la Corporation dans la vie du Royaume-Uni s’effrite. Défendre l’existence d’une redevance payée par tous devient plus difficile.
Certes la BBC reste un mastodonte. Le jour du résultat des élections législatives, 27 millions de visiteurs uniques au sein du Royaume-Uni sont allés sur son site d’information. Quelques succès phénoménaux – notamment l’épisode spécial de Noël de la sitcom Gavin & Stacey, regardé par 17 millions de personnes – rassemble encore la nation. Mais le successeur de M. Hall doit se préparer à une lutte intense.