Maroc: après 20 ans de Movida Mohammed VI

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Intense 23 juillet 1999 au Maroc. Mohammed VI accède au trône alaouite vieux de quatre siècles selon une tradition consacrée. Le jeune Roi succède à son père, Hassan II, qui venait de mourir après 38 ans de règne. Et avec ce vieux roi , maître de l’éloquence, prenait fin une certaine époque, celle d’un pays sécuritaire, traumatisé par deux tentatives sanglantes de Coup d’Etat au début des années 70 dans un monde arabe-musulman où les dictatures militaires d’inspiration socialiste avaient le vent en poupe.


Le Maroc avait entamé l’alternance juste avant la mort de Hassan II dans une cohabitation historique qui verra Abderrahmane Yousfi, ancien condamné à mort, leader de l’USFP, Parti socialiste honni, devenir premier ministre en février 1998.
Le gouvernement de cohabitation nationale, la Koutla, qui ratissait large, sera l’un des derniers coup de génie de Hassan II. Le monarque restera aux yeux des marocains comme le symbole de l’unité nationale, le chef d’orchestre de la Marche Verte qui verra le royaume récupérer son Sahara, cette portion de territoire que l’Espagne de Franco a dû céder, le 6 novembre 1975, devant 350 000 marocains avançant, le Coran et le drapeau à la main.
Le règne de Hassan II, éminemment politique avec la recherche permanente de la moyenne mesure entre Paris, Washington et Madrid, l’influence indispensable dans l’échiquier politique du Moyen-Orient (le Maroc préside le Comité Al Qods), la constance de l’axe Rabat-Riyad, a donné à la diplomatie marocaine son rôle de médiateur dans les grands conflits.

Sur l’Afrique, les alliés du royaume sont de diverses obédiences politiques. Du révolutionnaire Sékou Touré, l’homme qui a dit «Non» au Général de Gaulle, le 28 septembre 1958, mettant à échec le référendum instituant une «communauté» franco-africaine et précipitant la fin de l’empire colonial français, au consensuel Léopold Sédar Senghors du Sénégal, en passant par le pragmatique Houpheit Boigny de Côte d’Ivoire dont une artère porte le nom à Casablanca, ou encore le partisan de l’authenticité, Mobutu Sese Seko du Zaïre (aujourd’hui République Démocratique du Congo), enterré à Rabat.


Hassan II entretenait des relations diplomatiques fortes avec des dirigeants africains de préférence francophones. Sans pour autant parvenir à empêcher l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) et son Secrétaire général d’alors, le togolais Edem Kodjo, d’entériner l’adhésion de la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD ) en 1984 dans ce qui fut considéré comme une fuite en avant, vu que ni l’ONU, encore moins la Ligue Arabe, n’avaient reconnu l’entité. A la suite de cette admission, Rabat se retira de l’instance africaine.

A son arrivée au pouvoir, Mohammed VI hérite des relations avec l’Afrique réduites au cercle des pays amis. Le nouveau roi prend à bras le corps les questions économiques et sociales urgentes du Maroc dans une vision de leadership consacrée par un slogan : “le nouveau concept de l’autorité”. Fait de rapidité et de transparence dans la prise de décision, ce concept disqualifie la vieille garde encore aux affaires dont l’inamovible ministre de l’intérieur de l’ère Hassan II, le tout puissant Driss Basri, limogé en novembre 1999, soit à peine trois mois après l’intronisation de Mohammed VI.

Ce geste salué par les défenseurs des droits de l’homme sera suivi cinq ans plus tard de la mise en place de l’«Instance Équité et réconciliation» pour définitivement solder le passif des années de plomb dans de larges séances de procès publics retransmis en direct. Les figures de proue des mouvements des Droits de l’homme comme Driss Benzekri sont réhabilitées, ce dernier présidant à l’instance équité et réconciliation (IER). Nulle part en Afrique, exceptée peut être l’Afrique du Sud post-Apartheid inspirée par Nelson Mandela, l’on n’aura vu une justice transitionnelle aussi efficace. Réconcilié avec son passé, le Maroc de Mohammed VI repartait sur de nouvelles bases. «Ce n’est qu’après avoir réconcilié les marocains que le Roi à lancé les grandes réformes économiques et sociales», témoigne un observateur qui a eu le privilège d’observer les changements de près. Aujourd’hui, les résultats économiques spectaculaires sont tempérés par des progrès sociaux réels mais modestes.

Un PIB en hausse de 211% depuis 2000

Le Maroc fait partie des pays africains qui ont le plus progressé durant ces 20 ans. Le PIB est passé de 35 milliards de dollars en 2000 à  109 milliards en 2017 selon la Banque Mondiale. Un bond économique impressionnant de 211% mais tempéré par le creusement des inégalités et le chômage des jeunes. En 2019, le Royaume est classé 123e sur 188 pays au classement mondial de l’indice de développement humain (IDH), derrière l’Algérie (83e) et la Tunisie (97e). Le taux de chômage serait de 26,6% en 2017 et 42% en milieu urbain.

Loin d’occulter ces disparités, le souverain a fait de leurs résorptions l’un des axes majeurs de la vision économique du Maroc.
“Notre modèle de développement a atteint un niveau de maturité qui l’habilite à faire une entrée (…) méritée dans le concert des pays émergents”, déclarait Mohammed VI lors d’un discours, le 20 août 2014, à l’occasion du 61 anniversaire du retour de son grand-père, feu  Mohammed V, de son exil malgache où l’avait confiné l’administration coloniale française en 1953  pour contrer les  velleités des indépendantistes. ” Les prochaines années seront décisives”, soulignait le souverain chérifien appelant à ne pas rater ” le rendez-vous avec l’histoire”.
En 20 ans, le pays a profondément changé, intégrant depuis 2008 la tranche inférieure des pays à revenu intermédiaire. Depuis, l’on note un plafonnement de la croissance, le royaume étant pris dans le piège du revenu intermédiaire, concept usité par la Banque Mondiale pour désigner le plafonnement de croissance empêchant ces pays émergents d’accéder au palier des pays développés.

Dans le cas du royaume, le premier défi réside dans les inégalités sociales souvent visibles dans les indicateurs du PNUD. Cela même si le taux de pauvreté a été divisé par trois entre 2001 et 2014, passant de 15,3% à 4,8% contre une moyenne de 40% en Afrique. Le royaume compte encore 1,6 million de pauvres et 4,2 millions de personnes vulnérables. La fracture entre zones rurales et zones urbaines ne s’est pas suffisamment résorbée. D’après l’ONG Oxfam, qui classe le Maroc comme le pays le plus inégalitaire en Afrique du Nord, 22% des femmes occupent un emploi, contre 65% des hommes; et près de trois-quarts des jeunes diplômés du supérieur sont au chômage. C’est conscient de ces disparités que le Roi a prononcé son discours de 2014 qui annonçait entre les lignes le renforcement de la lutte contre les inégalités.

“Nous ne voulons pas d’un Maroc à deux vitesses. Des riches qui bénéficient des fruits de la croissance et s’enrichissent davantage, et des pauvres restés en dehors de la dynamique de développement et exposés à plus de pauvreté et de privation”, avait insisté le souverain lors de ce discours de 2014 qui marquait une certaine rupture.
Aujourd’hui, le Royaume chérifien présente une espérance de vie de 76 ans, plus que la Libye et la Tunisie. Par contre les choses se gâtent au niveau des revenus et de l’éducation qui plombent le pays dans le classement sur l’indice de développement humain. Ainsi, si le revenu par habitant dépasse les 6900 dollars, le temps de scolarisation est de 5,5 ans et demi seulement, au détriment souvent des femmes dont 20% parviennent aux études supérieures (contre 36%) pour les hommes.  Le  royaume qui jouit d’une stabilité remarquable renforcée par une ouverture démocratique accélérée depuis le printemps arabe (arrivée des islamistes modérés au pouvoir),  présente un RNB par habitant exprimé en dollars de 7 340 dollars par an par habitant, soit moins que la Tunisie (10 275 dollars) et la Libye (11 100 dollars).


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