(CROISSANCE AFRIQUE)-Au Cameroun, l’agence de notation financière internationale Moody’s Ratings a réaffirmé, ce vendredi, la note souveraine du pays en la maintenant à Caa1 avec une perspective stable. Cette classification, pour les investisseurs internationaux qui scrutent attentivement ce genre d’évaluations, situe le Cameroun dans la catégorie communément appelée « hautement spéculative ».
Dans le large spectre des évaluations de Moody’s, une note de Caa1 indique une qualité de crédit jugée à haut risque, suggérant un état de quasi défaut de paiements, ce qui peut inquiéter les investisseurs potentiels. À titre de comparaison, il est intéressant de noter que certains autres pays africains, tels que la Côte d’Ivoire avec une note de B3, ou le Sénégal qui bénéficie d’un B1, jouissent d’un accès nettement plus fluide aux marchés financiers internationaux. Cela s’explique en partie par le fait que leur indice de confiance parmi les investisseurs est considérablement plus élevé.
Le Cameroun, en revanche, demeure dans une zone économique où la confiance des investisseurs reste fragile et où les conditions de financement se traduisent par des taux d’intérêt plus élevés, rendant les emprunts plus coûteux. Bien que la décision de Moody’s ne constitue pas, à proprement parler, une dégradation supplémentaire de la note du Cameroun, elle atteste que Yaoundé est encore perçue comme une entité emprunteuse présentant un risque significatif.
La perspective stable reflète le fait que, dans l’immédiat et à court terme, l’agence n’anticipe pas de détérioration soudaine de la situation financière, mais elle met en exergue que cet équilibre délicat reste encore fragile et que le pays doit continuer à naviguer prudemment dans un contexte économique mondial incertain.
Cette évaluation intervient à un moment où l’économie camerounaise traverse une période cruciale, puisqu’elle dépend en grande partie de la confiance des investisseurs et des conditions de financement sur les marchés. Le président Paul Biya, conscient de l’importance de cette opération, vient d’autoriser le Trésor public à lever une somme considérable de 930 milliards FCFA, ce qui équivaut à environ 1,5 milliard de dollars américains. Cet emprunt devra se faire sur les marchés à la fois intérieurs et extérieurs, ce qui rend l’entreprise d’autant plus complexe et stratégique. Dans ce contexte, la note de crédit du pays, actuellement fixée à Caa1, joue un rôle primordial. Elle influence de manière décisive les conditions, notamment les taux d’intérêt, auxquelles le Cameroun peut espérer obtenir des fonds. Avec cette note peu reluisante, il est fort probable que le Cameroun doive offrir des taux d’intérêt plus élevés que certains de ses voisins africains aux notes plus avantageuses, afin de séduire les investisseurs potentiels. Cette situation rend incertaine voire difficile la perspective pour le pays de se financer sur le marché international de la dette, compromettant ainsi ses projets de développement.
Par ailleurs, sur le marché financier régional de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), où le Cameroun joue habituellement un rôle d’émetteur majeur, les conditions ne sont guère plus favorables. Le marché y est marqué par une hausse des taux d’intérêt, une diminution des souscriptions et des maturités de plus en plus courtes, signes d’un intérêt décroissant des investisseurs pour la dette souveraine camerounaise.
Ce contexte inquiétant fait naître des craintes légitimes que la capitale, Yaoundé, ne parvienne pas à réunir l’intégralité des fonds qu’elle espère lever. Si tel est le cas, elle pourrait être contrainte de le faire à un coût budgétaire particulièrement élevé, mettant à l’épreuve les finances publiques déjà fragilisées.
Ce classement sévère contraste nettement avec certains éléments positifs de l’économie camerounaise que l’on ne peut pas ignorer. Par exemple, la dette publique du pays devrait passer sous la barre de 40 % du Produit Intérieur Brut (PIB) d’ici la fin de l’année 2025, ce qui est un niveau relativement favorable lorsqu’on le compare avec celui d’autres nations classées dans la même catégorie économique. De plus, le Cameroun a marqué des progrès notables en matière de gestion de ses finances publiques, ces améliorations étant réalisées sous l’égide et avec l’appui du Fonds Monétaire International (FMI). Grâce à cette collaboration, le pays a réussi à augmenter l’efficacité de la collecte des recettes fiscales, à réduire de manière significative les dépenses réalisées en dehors du budget prévu, et à renforcer la supervision des entreprises publiques pour une meilleure transparence et efficacité.
Par ailleurs, la croissance économique du Cameroun, qui est attendue à plus de 3,5 % pour cette année, s’appuie sur une diversification relative de l’économie. Celle-ci est notamment soutenue par des secteurs clés tels que l’agriculture, l’énergie et les services, qui jouent un rôle crucial dans la dynamisation de l’économie nationale. Tous ces facteurs réunis confèrent au Cameroun un profil économique plus robuste que certains de ses pairs immédiatement comparables, et ils laissent entrevoir un potentiel de développement soutenu pour l’avenir.
Mais ces améliorations demeurent fragiles et incertaines, menaçant de s’effondrer à tout moment sous le poids de facteurs divers et complexes. Selon l’analyste financier et économique Moody’s, le premier risque est profondément politique. À 92 ans, le président Paul Biya, qui s’accroche au pouvoir depuis des décennies, brigue un huitième mandat en octobre prochain, sans qu’aucun plan de succession clair et structuré ne soit en place. Cette incertitude persistante alimente les craintes d’une transition désordonnée et potentiellement chaotique, qui pourrait plonger le pays dans l’instabilité. Le climat politique dans le pays est actuellement extrêmement tendu, marqué par la marginalisation constante de l’opposition politique et des divisions profondes et récurrentes au sein de la société camerounaise. De plus, les conflits persistants et violents dans les régions anglophones du pays et dans l’Extrême-Nord accentuent considérablement la pression sur les finances publiques, tout en érodant la confiance des créanciers internationaux et nationaux, ce qui pourrait affecter gravement l’économie nationale, selon ce qui peut être lu dans le rapport détaillé de Moody’s.
Le second risque identifié est foncièrement financier. En effet, le Cameroun est dans l’obligation de refinancer chaque année l’équivalent de 6 % de son Produit Intérieur Brut (PIB). Dans le contexte d’un marché régional en perte de vitesse, miné par des incertitudes économiques généralisées, et avec un accès de plus en plus limité aux financements internationaux, cette dépendance cruciale constitue une vulnérabilité majeure et potentiellement dangereuse pour l’économie nationale, souligne avec insistance l’agence de notation américaine.
Notons que Moody’s met en avant le fait que même si le risque de défaut n’impliquerait probablement que des répercussions limitées à court terme, il générerait néanmoins des conséquences financières et économiques importantes à long terme pour le pays de Paul Biya.
Daouda Bakary KONÉ