Par Magaye Gaye – Économiste international, ancien cadre de la BOAD
Le sommet Afrique–Europe des 24 et 25 novembre 2025 à Luanda remet en lumière une évidence que beaucoup préfèrent ignorer : cette relation ne produit toujours pas les résultats attendus. Depuis Abidjan en 2017, les mêmes blocages persistent et les véritables enjeux restent soigneusement évités.
UN PARTENARIAT QUI N’A JAMAIS ATTEINT SON POTENTIEL
Liés par la géographie et par l’histoire, l’Afrique et l’Europe avaient pourtant toutes les conditions pour bâtir une alliance solide. Elles ont au contraire raté ensemble la marche de l’Histoire. Les résultats sont faibles : en ce qui concerne l’Afrique, seulement 2 % du commerce mondial, 1,1 % de la production manufacturière, et à peine 13 % d’échanges intra-africains. Ce paradoxe interroge, surtout pour un continent qui détient 10 % du pétrole mondial, 40 % de l’or, 80 % du chrome, 90 % des métaux du groupe platine et 30 % des ressources minérales de la planète.
L’Europe n’a jamais traité l’Afrique comme un partenaire stratégique. Le refus d’un plan Marshall africain après les indépendances fut une erreur qui continue d’avoir des conséquences.
UNE OCCASION MANQUÉE : L’ALLIANCE INDUSTRIELLE DE COMPLÉMENTARITÉ
L’un des rendez-vous manqués les plus graves concerne l’absence d’alliances industrielles fondées sur la complémentarité naturelle entre les deux continents. L’Europe possède la technologie, le savoir-faire industriel, l’organisation, les brevets et des chaînes de valeur matures. L’Afrique dispose des matières premières, des terres, d’une jeunesse nombreuse, d’une main-d’œuvre compétitive et d’une connaissance fine de son environnement local.
Ces atouts auraient pu permettre de développer de véritables chaînes de transformation en Afrique, d’implanter des zones industrielles conjointes, de favoriser des transferts massifs de technologies, de créer de la valeur ajoutée localement et de générer des millions d’emplois pour la jeunesse africaine. Rien de tout cela n’a été entrepris. Le résultat est une industrialisation en panne, un chômage massif et une pression migratoire continue.
L’EUROPE N’A PLUS LES MOYENS DE SA POLITIQUE
La crise que traverse l’Europe réduit sa capacité à maintenir le modèle d’aide construit depuis plusieurs décennies. L’endettement a atteint des niveaux historiques, la croissance est fragile et les marges de manœuvre budgétaires se sont réduites. Dans le même temps, l’Afrique perd chaque année plus de 50 milliards de dollars à travers des flux financiers illicites, selon la Commission économique pour l’Afrique (CEA). Une grande partie de ces fonds aboutit dans des paradis fiscaux situés hors du continent. Cette réalité annule une bonne partie des efforts de développement.
LES BARRIÈRES EUROPÉENNES QUI NEUTRALISENT LE POTENTIEL AFRICAIN
Malgré les déclarations préétablies, l’Afrique n’accède pas librement au marché européen. Elle se heurte à des obstacles qui prennent trois formes. D’abord, les barrières non tarifaires composées de normes techniques, de certifications coûteuses, de règles d’origine et de procédures administratives lourdes. Ensuite, les normes sanitaires et phytosanitaires souvent disproportionnées et difficiles à satisfaire pour les producteurs africains. Enfin, les crédits à l’exportation européens qui soutiennent les producteurs européens et créent une concurrence déloyale. Ces mécanismes réduisent la compétitivité des exportateurs africains et empêchent le continent de tirer parti de ses ressources.
UNE TENSION CROISSANTE : LE DURCISSEMENT DES CONDITIONS DE VISA
À cela s’ajoute un autre point de tension majeur : le durcissement spectaculaire des conditions d’obtention de visas pour les citoyens africains. Les pays européens invoquent des « coûts administratifs » pour justifier l’augmentation des frais, mais dans les faits, les montants exigés dépassent largement ce qui serait raisonnable pour traiter un dossier. Des familles modestes se retrouvent aujourd’hui à payer des sommes parfois équivalentes à un mois de salaire, sans aucune garantie de succès et sans remboursement en cas de refus.
Cette pratique s’apparente moins à une procédure administrative qu’à une barrière financière déguisée qui frappe en premier lieu les étudiants, les jeunes diplômés, les entrepreneurs et même les familles souhaitant voyager pour des raisons légitimes. Et, ironie tragique, ce durcissement ne réduit pas les mobilités : il alimente la migration irrégulière. Lorsque les voies légales deviennent inaccessibles, les candidats au voyage n’ont d’autre choix que de se tourner vers les routes clandestines, au péril de leur vie. En rendant l’accès légal presque impossible pour les citoyens ordinaires, l’Europe crée elle-même les conditions de l’explosion des traversées dangereuses, renforçant un paradoxe politique qui fragilise encore davantage les relations entre les deux continents.
DES CONTRATS INÉQUITABLES : LE CAS DU SÉNÉGAL
Pendant des années, certains accords ont illustré le déséquilibre du partenariat. Le protocole de pêche entre l’Union européenne et le Sénégal constituait un exemple parlant. L’Union européenne versait seulement 1,7 million d’euros par an pour prélever 10 000 tonnes de thon et 1 750 tonnes de merlu noir, payés environ 0,15 euro le kilo alors qu’ils étaient revendus en Europe entre 10 et 20 euros. Cette enveloppe représentait à peine 2 % du budget du ministère sénégalais de la Pêche en 2017. Ce type d’accord explique en grande partie le ressentiment profond envers les partenariats anciens.
L’AFRIQUE DE 2025 N’EST PLUS CELLE DE 2017
La société civile est plus vigilante. Les intellectuels sont plus exigeants. Les alternatives de partenariat se multiplient avec l’Asie, le Golfe arabique ou l’Amérique latine. L’Europe n’est plus le centre unique d’attraction. L’Afrique demande désormais justice, équité, cohérence et réciprocité réelle.
RÉTABLIR LA CONFIANCE EST INDISPENSABLE
Aucun partenariat sérieux ne peut avancer sans traiter les dossiers sensibles. La restitution des avoirs libyens gelés, le retour des biens culturels africains détenus en Europe, la coopération sincère sur les fonds détournés placés hors du continent et un traitement juste des biens mal acquis sont des questions essentielles. Elles touchent à la dignité, pas seulement à l’économie.
Le sommet de Luanda ne doit pas être un sommet de plus. Il doit marquer le moment où l’Europe accepte de regarder l’Afrique comme un partenaire d’égal à égal, capable de peser dans le monde. L’Afrique n’a pas besoin d’assistance. Elle a besoin de transferts de technologie, d’alliances industrielles, d’un accès réel aux marchés, d’un financement efficace et d’un partenariat honnête. C’est seulement en s’attaquant aux vrais problèmes que les deux continents pourront construire un avenir commun.

