(CROISSANCE AFRIQUE)–Au Mali, l’inclusion des personnes atteintes d’albinisme dans le système éducatif est un véritable défi, exacerbé par des préjugés, stéréotypes et un système éducatif inadapté. Malgré les garanties juridiques et constitutionnelles qui devraient assurer l’éducation à tous, les enfants albinos font face à une multitude d’obstacles qui entravent non seulement leur accès à l’éducation mais aussi leur développement personnel et professionnel.
Le Rapport d’analyse et des données du cinquième recensement de la population et de l’habitat (RGPH5) de 2022 sur la situation des personnes vivant avec un handicap, précise que les personnes vivant avec un handicap sont défavorisées en matière d’éducation par rapport à la population sans handicap au Mali. Le taux net de scolarisation au fondamental (1er et 2èmecycle fondamental) est de 24,5% pour les personnes vivant avec un handicap contre 42,4% pour les personnes sans handicap.
Fausses nouvelles, stéréotypes et préjugés au service de stigmatisations et menaces
Cependant, beaucoup d’enfants albinos subissent des moqueries et l’isolement social de la part de leurs camarades, ce qui a des effets dévastateurs sur l’estime qu’ils ont d’eux-mêmes. Le cas du fils de Djenebou Diabaté illustre à quel point cette stigmatisation peut pousser les parents à retirer leur enfant de l’école pour éviter qu’il souffre émotionnellement.
«Il était psychologiquement très touché du comportement de ses camarades de classe. Cela faisait saigner mon cœur de mère et j’en avais marre de le voir souffrir à chaque descente de l’école. En plus, il était aussi très exposé sur le chemin de l’école où il a échappé à plusieurs tentatives d’enlèvement. Dès fois, il revenait aussi avec des traces sur la tête qui indiquaient des cheveux coupés». Une bonne raison, selon elle, de l’amener à la boutique de son père pour qu’il apprenne le commerce.
Massaran Traoré, femme albinos raconte avoir d’énormes difficultés à l’école. En plus de sa vision faible, elle était couramment stigmatisée par ses camarades. Le manque de matériel éducatif adapté, comme les manuels en gros caractères, et l’absence de formation spécifique pour les enseignants rendent l’apprentissage difficile. Les témoignages évoquent également des situations où les besoins des enfants albinos sont complètement ignorés, comme le cas de Massaran, qui a dû donner de l’argent à un camarade pour voir le contenu d’un cahier.
«Pour pouvoir me mettre à jour avec le cahier d’un camarade, j’étais obligé de lui donner mon argent de récréation. Et Lorsqu’un enseignant a ramené mon banc près du tableau pour que je puisse mieux voir, le directeur est venu jeter le banc et m’ordonner d’aller m’asseoir près des autres, pire, en lançant que je faisais exprès de ne pas voir », dit-elle.
Les enfants albinos sont souvent perçus comme vulnérables et peuvent être confrontés à des menaces physiques, y compris des tentatives d’enlèvement. Cela entraîne une peur qui les empêche de fréquenter l’école. « À chaque campagne électorale, l’école demandait à mes parents de me garder à la maison quelle que soit la durée, car tous avaient peur que je me fasse tuer. Tous ces temps perdus jouaient aussi sur ma scolarité. J’ai donc dû arrêter en classe de 7ème année » ajoute Massaran.
L’abandon scolaire précoce des enfants albinos a des répercussions importantes non seulement sur leur éducation, mais aussi sur leur future insertion professionnelle. Cette exclusion contribue à leur marginalisation dans la société et limite leurs perspectives d’avenir, malgré tout leur potentiel. Pour remédier à cette situation, il est crucial de créer un environnement scolaire adapté. Cela pourrait inclure des cours de sensibilisation pour les enseignants et les élèves sur l’albinisme, ainsi que des aménagements matériels, comme des manuels adaptés et des fournitures spécialisées.
Rachel Tienou est une jeune fille albinos qui a abandonné l’école en classe de 10èmeà cause de ses problèmes de vision. Son abandon est aussi justifié selon elle, par le harcèlement accompagné de menace d’un professeur. Yagaré Coulibaly, elle, a arrêté l’école en classe de 8èmeannée à cause de sa vision. Elle peinait à écrire et se contentait finalement des explications des professeurs. Elle demande aux autorités de mettre en place des solutions adaptées à leur réalité.
De nombreux enfants albinos abandonnent précocement l’école, malgré leur potentiel. Il est nécessaire de leur garantir un environnement scolaire inclusif en adoptant des manuels adéquats, les positionnant correctement en classes, en facilitant l’accès à des lunettes spécialisées et surtout en sensibilisant les autres élèves et les enseignants sur l’albinisme.
Le rapport de synthèse des États généraux de l’éducation qui a eu lieu en 2024, prévoit une éducation inclusive sur toute l’étendue du territoire National. « L’éducation inclusive donne une égalité de chance à tous les enfants maliensen leur conférant les lieux d’apprentissage adéquats, facile d’accès et leur offrant les conditions d’études. Elle cherche à bannir les discriminations liées à la distance, à l’appartenance religieuse, au sexe, aux conditions d’accès à l’école et aux handicaps », précise le rapport.
Des associations comme « Espoir Albinos » et « SOS Albinos » jouent un rôle fondamental en sensibilisant le public, en fournissant des ressources et en plaidant pour des changements du système éducatif. Le gouvernement doit également s’engager avec des politiques concrètes pour garantir l’accès à l’éducation pour tous les enfants y compris ceux atteints d’albinisme comme le garantit l’Article 11 de la constitution du 22 juillet 2023 qui stipule que : « Tout citoyen a droit à l’instruction. L’enseignement public est obligatoire, gratuit et laïc. L’enseignement privé est reconnu et s’exerce dans les conditions définies par la loi ».
Notons que le combat pour l’éducation des albinos au Mali est loin d’être terminé mais les efforts de sensibilisation et les initiatives des associations offrent de l’espoir. Un engagement collectif est nécessaire pour briser les stéréotypes, améliorer l’accessibilité à l’éducation et garantir que chaque enfant, indépendamment de ses particularités, puisse réaliser son potentiel.
Kadidia Doumbia
Ce reportage est publié avec le soutien de Journalistes pour les Droits Humains (JDH) au Mali