PAR ALGÉRIEMONDEINFOS25 OCTOBRE 2018
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A cause de ses détails sordides, l’assassinat de Jamal Khashoggi dans l’enceinte du consulat de son pays à Istanbul est sans doute l’un des crimes d’Etat les plus abjectes de l’histoire contemporaine.
Mais la nature sombre du personnage, ses activités cachées et ses desseins politiques, très peu évoqués depuis sa disparition le 2 octobre, mériterait que l’on s’y arrête. C’est même fondamental pour tenter de comprendre l’enchaînement des événements et les réactions gênées des capitales occidentales ou celles plus conciliantes de certains pays arabes.
Présenté par la presse comme un journaliste farouchement opposé au régime de Riyad et qui milite pour la démocratie et la liberté de la presse dans le monde arabe, la vérité est qu’il s’agit d’un fervent partisan de l’Islam politique, proche des Frères musulmans, et qui a fondé une organisation pour relancer les « printemps arabes » partout où cela pouvait être possible, y compris en Algérie où la mayonnaise n’a pas pris.
Le dessein politique de Jamal Khashoggi est clair et assumé : œuvrer à l’avènement d’une gouvernance selon les préceptes de la charia dans l’ensemble des Etats du monde dit arabe, en privilégiant l’approche idéologique des Frères musulmans égyptiens.
Avant sa disparition, il était à la recherche de fonds pour financer son organisation secrète. Pour cela, il a notamment sollicité l’opposition djihadiste en Syrie et ce serait les dirigeants sollicités de celle-ci, eux-mêmes financés par l’Arabie saoudite, qui l’auraient « vendu » aux services de renseignement de Riyad.
Là se pose une question fondamentale : qui a été tué ? Le journaliste ? L’opposant au régime de Riyad ? Ou la barbouze qui travaillait en secret à déstabiliser des Etats –et pas seulement l’Arabie saoudite- en vue de favoriser l’arrivée au pouvoir du courant islamiste dont il partage l’idéologie ? Sans doute un peu des trois.
Le journaliste parce que, collaborant avec un journal américain de renom, sa parole avait du poids et de l’influence et on dit même qu’il aurait l’oreille des officiels américains ; l’opposant parce que le régime violent de Mohammed ben Salmane ne tolère aucune voix discordante comme le prouve la répression exercée y compris sur des membres importants de la famille régnante ; l’activiste international enfin, parce que Riyad a son propre projet pour le monde arabe et n’entend pas laisser quiconque, un Saoudien de surcroît, compromettre l’exercice de son influence et la réalisation de ses desseins.
On le voit, l’assassinat de Jamal Khashoggi n’est ni une simple affaire de violation des droits de l’Homme ni, encore moins, une question liberté d’expression et de la presse comme tendent à l’expliquer responsables politiques et médias occidentaux. Khashoggi n’était pas un journaliste comme les autres !
A l’aune de cette vérité, on peut comprendre les attitudes des uns et des autres. La Turquie, qui réprime elle-même ses journalistes et dont le régime actuel n’est pas un exemple de démocratie voyait d’un bon œil le « travail » de Khashoggi dans le dossier des « printemps arabes », elle-même ayant tenté ouvertement d’en prendre le leadership.
Son zèle, qu’il faut saluer tout de même lorsqu’il s’agissait de faire éclater la vérité, à charger le régime de Riyad dans cette affaire, largement relayé et amplifié par la chaîne qatarie Al-Jazeera, n’est ni innocent ni désintéressé. Il s’agit, entre autres, de saupoudrer sa propre image, largement ternie par une vague de répression sans précédent de l’opposition et de la presse.
A contrario, lorsque Riyad a reconnu l’assassinat de Khashoggi à l’intérieur d’une de ses enceintes diplomatiques, l’Egypte d’Al Sissi, par exemple, en prise avec le mouvement des frères musulmans et le terrorisme islamiste, a été prompte à apporter son soutien à la Maison des Al-Saoud et à saluer sa volonté de faire parler la vérité et la justice. C’est dire qu’au Caire, mais pas seulement, on ne voyait pas d’un mauvais œil la disparition du trublion.
Quant aux capitales occidentales, en particulier Washington, Londres et Paris, c’est davantage les conséquences de l’affaire qui les inquiète que l’affaire elle-même. Des preuves irréfutables de l’implication du Palais royal saoudien les contraindraient à revoir à la baisse les avantages qu’elles tirent d’une coopération juteuse avec le royaume wahhabite.
En un mot comme en cent, l’affaire est beaucoup plus compliquée qu’elle ne paraît. Affaire de justice et de droits de l’Homme certes, mais aussi, mais surtout, affaire de guerres secrètes aux implications géopolitiques insoupçonnables.
M.A. Boumendil