Journée de l’Afrique: Rappel du 06 octobre 1963 à News York (USA): « un des principes fondamentaux sur lequel nous nous sommes mis d’accord au Sommet d’Addis-Abeba est notre désir fondamental de vivre en harmonie et en coopération avec tous les états ».Sa Majesté Haïlé Sélassié Ier, empereur d’Éthiopie

Date:

Daouda Bakary KONE/CROISSANCEAFRIQUE

Première Etape

Lisez l’Appel à l’Organisation des Nations Unies
prononcé par l’Empereur d’Ethiopie Hailé Sélassié Ier 
à l’Assemblée Générale de l’Organisation des Nations Unies
New York City, le 6 octobre 1963.

Mr le Président, chers délégués,
Il y a 27 ans, en tant qu’empereur d’éthiopie, je suis monté à la tribune de Genève en Suisse pour m’adresser à la Société des Nations et lui demander de mettre fin à la destruction qu’infligeait à

ma nation sans défense l’envahisseur fasciste. C’était à l’époque tout autant un appel à la conscience mondiale qu’un plaidoyer en sa faveur. A l’époque mes paroles n’ont pas été entendues, mais l’histoire est là pour témoigner combien était justifié l’avertissement que je lançais en 1936.


Aujourd’hui, je me retrouve devant l’Organisation mondiale des Nations Unies qui a su se débarrasser des oripeaux dont s’affublait la précédente organisation discréditée. Sous sa forme nouvelle se trouve inscrit le principe de sécurité collective que j’invoquais vainement à Genêve. Ici, dans cette assemblée, réside le meilleur espoir – peut-être le dernier – en une survivance pacifique de l’humanité. 
Je déclarais en 1936 que ce n’était pas le Pacte de la Société des Nations qui était en cause, mais bien la moralité internationale. Les engagements, disais-je alors, ne valent pas grand chose quand manque la volonté de les tenir. La Charte de l’Organisation des Nations Unies exprime les plus nobles aspirations de l’homme : la renonciation à la force pour régler les dissensions entre états ; le respect pour tous des droits et des libertés fondamentaux de l’homme, sans distinction de race, de sexe, de langue ni de religion ; la sauvegarde de la paix et de la sécurité internationales.


Mais tout cela, comme l’étaient les termes du Pacte, ne sont que des mots : leur valeur dépend entièrement de notre volonté de les observer, les respecter et de leur donner contenu et sens. Préserver la paix et garantir les droits et les libertés fondamentaux de l’homme demande du courage et une vigilance permanente : avoir le courage de parler et d’agir – et si nécessaire, de souffrir et mourir – pour la vérité et la justice ; une vigilance permanente pour que ne reste pas inaperçue et sans remêde la moindre atteinte à la moralité internationale. Ces leçons doivent être réapprises à nouveau par chaque génération successive, et bienheureuse la génération qui peut apprendre des autres plutôt que d’une expérience personnelle amêre. Cette Organisation et chacun de ses membres portent une responsabilité écrasante et terrifiante : celle d’assimiler la sagesse qu’enseigne l’histoire et de l’appliquer aux problêmes du présent, afin que les générations futures puissent naître, vivre et mourir en paix. 
Le bilan de ce que l’ONU a réalisé dans les courtes années de son existence offre une base solide, encourageante et pleine d’espoir pour le futur. L’ONU a osé agir là où la Société des Nations n’avait pas osé le faire en Palestine, en Corée, à Suez, au Congo. Il n’est personne aujourd’hui parmi nous qui ne compte sur les réactions de cette institution lorsque les motifs et les actes sont en question. L’avis de cette Organisation exerce aujourd’hui une influence certaine sur les décisions de ses membres. Le coup de projecteur en direction de l’opinion mondiale braqué par l’ONU sur les transgressions commises par les renégats de la société humaine a constitué jusqu’à présent une sauvegarde effective contre l’agression non réprimée et la violation sans freins des droits de l’homme.

selassié et reine d’angletère


L’ONU continue d’être ce forum auprès duquel les nations dont les intérêts divergent peuvent exposer leur cas devant l’opinion mondiale. Elle constitue toujours la valve de sécurité essentielle, sans laquelle la lente accumulation des pressions aurait depuis longtemps explosé de façon catastrophique. Ses actes et ses décisions ont hâté la libération de nombreux peuples dans les continents d’Afrique et d’Asie. Ses efforts ont contribué à améliorer le niveau de vie des peuples aux quatre coins du monde. 


De cela, tous les hommes doivent être reconnaissants. Vus d’aujourd’hui, comme les souvenirs de 1936 semblent vagues et lointains ! Comme les attitudes des hommes ont changé ! Nous vivions alors dans une atmosphère de pessimisme oppressant. Aujourd’hui, l’esprit qui prévaut est un optimisme prudent mais ferme. Pourtant, chacun de nous ici sait que ce qui a été accompli ne suffit pas.
Les jugements rendus par l’ONU sont et continuent d’être décevants dans la mesure où certains états membres n’ont pas tenu compte de ses injonctions et de ses recommandations. Les ressorts de l’ONU ont été affaiblis dans la mesure où certains des états membres ont failli à leurs obligations envers elle. L’autorité de l’ONU a été bafouée dans la mesure où certains états membres ont continué à poursuivre leurs propres objectifs en violation de ses injonctions. Les problèmes qui continuent à nous tourmenter contaminent tous les états membres de l’Organisation, mais l’ONU elle-même reste incapable d’imposer des solutions acceptables. En tant que source et rempart du droit international, ce que l’ONU a accompli reste encore éloigné de notre but, constituer une communauté internationale de nations. 
Cela ne veut pas dire que l’ONU a échoué. J’ai vécu trop longtemps pour nourrir beaucoup d’illusions quant à la grandeur d’âme des hommes une fois confrontés à la question du contrôle de leur sécurité, et de leurs intérêts propres. Même encore maintenant, où tout est si fragile, beaucoup de nations répugnent à remettre leur destinée en d’autres mains. 
Pourtant, tel est l’ultimatum qui se présente à nous : renforcer la sécurité des conditions par lesquelles les hommes remettront leur sécurité entre les mains d’une entité plus large, ou risquer l’anéantissement ; convaincre les hommes que leur seul salut réside en la subordination de leurs intérêts nationaux et locaux aux intérêts de l’humanité, ou bien mettre en péril le futur de l’homme. Tels sont les objectifs, hier inaccessibles, aujourd’hui essentiels, auxquels il nous faut travailler.
Tant que cela ne sera pas réalisé, le futur de l’humanité restera hasardeux et la paix durable pure spéculation. Il n’existe aucune formule magique particuliêre, aucune étape simple à franchir, ni aucuns mots – qu’ils soient inscrits dans la Charte de l’ONU, ou dans un traité entre états – qui puissent nous donner automatiquement la garantie que nous recherchons. La paix est un problême à résoudre au jour le jour, le produit d’une multitude d’événements et de jugements. La paix n’est pas un « état » , elle est un « devenir ». Nous ne pouvons pas échapper à la terrifiante probabilité d’une catastrophe due à des erreurs de pronostic, mais nous pouvons prendre les bonnes décisions sur une foule de problèmes particuliers que pose chaque jour nouveau, et contribuer ainsi, et peut-être de la seule façon raisonnable en 1963, à la préservation de la paix. C’est en cela que l’ONU nous a rendu service, pas parfaitement, mais bien . En même temps que nous consolidons les formes qui permettront à l’Organisation de mieux nous servir, nous servons et rendons plus proches nos objectifs les plus précieux. 
J’aimerais mentionner aujourd’hui brièvement deux cas particuliers qui nous concernent tous, nous humains : le désarmement et l’établissement d’une vraie égalité entre les hommes. Le désarmement est devenu l’urgence de notre époque. Je ne veux pas dire par là que je croie que l’absence d’armes équivale à la paix, ni que mettre fin à l’armement nucléaire garantisse automatiquement la paix, ni que l’élimination des têtes nucléaires des arsenaux du monde amênera dans son sillage le changement d’attitude qui est le préalable indispensable au rêglement pacifique des querelles entre nations. Si le désarmement est vital aujourd’hui, c’est tout simplement à cause des immenses capacités destructrices dont disposent actuellement les hommes.
L’éthiopie soutient le Traité interdisant les essais nucléaires dans l’atmosphère en tant qu’étape vers ce but, même si ce n’est qu’une étape partielle. Les nations peuvent toujours mettre au point des armes de destruction massive avec des essais souterrains, il n’y a aucune garantie contre la reprise soudaine et sans préavis des tests atmosphériques. 
La vraie portée du Traité est de mettre en place un gel tacite entre les nations qui l’ont négocié, un gel qui prend acte de cette réalité brutale à laquelle on ne peut se soustraire : personne n’échapperait à la destruction totale qui serait notre sort commun en cas de guerre nucléaire, un gel qui nous offre à nous et aux Nations unies un espace de respiration dans lequel agir. 
Telle est l’opportunité qui s’offre à nous et le défi qui nous est lancé. Si les puissances nucléaires sont prêtes à déclarer une trêve, profitons-en pour renforcer les institutions et les procédures qui offriront le moyen de régler les conflits entre les hommes. Il y aura toujours de nouveaux conflits entre les nations. Le problème qui se pose en réalité est de savoir s’ils doivent être résolus par la force, ou bien par le recours à des procédures et des méthodes pacifiques, appliquées par des institutions impartiales. L’ONU est elle-même la plus grande de ces institutions, ce sont des Nations unies plus puissantes que nous recherchons, et c’est là que nous trouverons l’assurance d’un futur pacifique. 
Si un désarmement réel et effectif était atteint, et que les fonds actuellement dépensés pour l’armement étaient consacrés à l’amélioration de la vie des hommes, si nous nous consacrions exclusivement aux usages pacifiques du savoir nucléaire, combien profondément et rapidement nous pourrions transformer les conditions de l’humanité ! Ce devrait être notre objectif.
Pour ce qui est de l’égalité entre les hommes, là aussi il y a un défi et une opportunité à saisir ; le défi est d’insuffler une vie nouvelle aux idéaux déjà inscrits dans la Charte, l’opportunité est de rapprocher les hommes de la liberté et de la vraie égalité, et par conséquent de l’amour de la paix.
L’égalité entre les hommes que nous visons est à l’opposé de l’exploitation d’un peuple par un autre, dont les pages de l’histoire, et en particulier celles écrites sur les continents d’Afrique et d’Asie, nous parlent si abondamment. L’exploitation ainsi considérée présente plusieurs aspects, mais quelque soit la forme qu’il prenne, ce fléau doit être évité là où il n’existe pas et éradiqué là où il existe. L’ONU a pour devoir sacré de garantir que le rêve d’égalité finisse par être réalisé pour tous les hommes auxquels il est encore dénié, et de garantir que l’exploitation ne renaisse pas sous de nouvelles formes là où elle a déjà été abolie.
Qu’une Afrique libre ait émergé dans la décade passée a été un coup de plus porté à l’exploitation, là où elle existe encore. Et en une interaction si fréquente dans l’histoire, cela a en retour stimulé et encouragé les peuples laissés dans la dépendance à renouveler leurs efforts pour secouer le joug qui les a oppressés et pour revendiquer comme droit de naissance les deux idéaux jumeaux de liberté et d’égalité. Ce seul combat est un combat pour établir la paix, et tant que la victoire ne sera pas assurée, la fraternité et la compréhension entre les peuples qui seules nourrissent et donnent vie à la paix, ne pourront être que partielles et incomplêtes. 
Aux Etats-Unis d’Amérique, l’administration du Président Kennedy mène une lutte vigoureuse pour éradiquer les derniers vestiges de la discrimination raciale de son pays. Nous savons que ce combat sera gagné et que le droit triomphera. En ces temps d’épreuves, de tels efforts doivent être encouragés et soutenus, et nous devrions accorder aujourd’hui notre sympathie et notre soutien au gouvernement américain. 
En mai dernier, à Addis-Abeba, fût convenu une rencontre entre Chefs d’état et Gouvernements Africains. En trois jours, les 32 nations représentées à cette Conférence ont démontré au monde que, lorsque le désir et la détermination existent, les nations et les peuples venus d’horizons différents peuvent et pourront travailler ensemble en harmonie, à la réalisation d’objectifs communs et à la garantie de l’égalité et de la fraternité que nous désirons. 
Bien que nos positions vis-à-vis des deux blocs soient considérées comme neutres, notre histoire atteste du fait que nous nous sommes toujours efforcés de coopérer avec toutes les nations sans exception. Ainsi, un des principes fondamentaux sur lequel nous nous sommes mis d’accord au Sommet d’Addis-Abeba est notre désir fondamental de vivre en harmonie et en coopération avec tous les états.
à propos de la discrimination raciale, la conférence d’Addis-Abeba à enseigné à ceux qui veulent apprendre cette autre leçon : 

Tant que la philosophie qui fait la distinction entre une race supérieure et une autre inférieure ne sera pas finalement et pour toujours discréditée et abandonnée ; tant qu’il y aura encore dans certaines nations des citoyens de première et de seconde classe ; tant que la couleur de la peau d’un homme n’aura pas plus de signification que la couleur de ses yeux ; tant que les droits fondamentaux de l’homme ne seront pas également garantis à tous sans distinction de race ; Jusqu’à ce jour le rêve d’une paix durable, d’une citoyenneté mondiale et d’une rêgle de moralité internationale, ne restera qu’une illusion fugitive que l’on poursuit sans jamais l’atteindre. Et tant que les régimes ignobles et sinistres qui tiennent en esclavage nos frêres en Angola, Mozambique et Afrique du Sud n’auront pas été renversés et détruits ; et tant que le fanatisme, les préjugés, la malveillance et les intérêts personnels n’auront pas été remplacés par la compréhension, la tolérance et la bonne volonté ; tant que tous les africains ne pourront pas se lever et s’exprimer comme des êtres humains libres, égaux aux yeux de tous les hommes comme ils le sont aux yeux de Dieu ; jusqu’à ce jour, le continent africain ne connaîtra pas la paix. Nous Africains, nous battrons si nécessaire, et nous savons que nous vaincrons, tant nous avons confiance en la victoire du bien sur le mal. 


L’ONU a beaucoup fait, aussi bien directement qu’indirectement, pour accélérer la disparition de la discrimination et de l’oppression sur terre. Sans l’opportunité qu’elle offre de concentrer l’opinion mondiale sur l’Afrique et l’Asie, l’objectif serait resté pour beaucoup encore très lointain, et le combat aurait pris encore plus de temps. De cela, nous sommes réellement reconnaissants.
Mais on peut faire plus. La base de la discrimination raciale et du colonialisme a toujours été économique, et c’est avec des armes économiques que ces fléaux ont été et peuvent être surmontés. A la suite des résolutions adoptées à la Conférence au Sommet d’Addis-Abeba, les états Africains ont pris plusieurs mesures économiques, qui – si elles étaient adoptées par tous les états membres des Nations unies – transformeraient rapidement l’intransigeance en raison. Je demande aujourd’hui que chaque nation représentée ici prouve son attachement aux principes énoncés par la Charte en adhérant à ces mesures. 
Je ne crois pas que le Portugal ni l’Afrique du Sud soient prêts au suicide, qu’il soit physique ou économique, s’il existe à cela des alternatives honorables et raisonnables. Je crois que de telles alternatives peuvent être trouvées. Mais je sais aussi que les conseils en faveur de la modération et de la tempérance ne seront rien si l’on n’a pas trouvé de solutions pacifiques ; et ce serait là un nouveau coup infligé à cette Organisation, qui freinerait et affaiblirait toujours plus son utilité dans la lutte pour assurer la victoire de la paix et de la liberté sur les forces de la dissension et de l’oppression. Telle est maintenant l’opportunité qui se présente à nous. Nous devons agir pendant que nous le pouvons, pendant que l’occasion existe d’exercer les pressions légitimes qui sont entre nos mains, de peur que le temps ne passe et ne nous pousse à recourir à des procédés moins heureux.
L’ONU possède-t-elle aujourd’hui l’autorité et la volonté d’agir ? Et si elle n’en dispose pas, sommes-nous prêts à lui conférer le pouvoir de créer et de renforcer le droit ? Où bien la Charte n’est-elle qu’une simple collection de mots, sans contenu ni substance, parce que manque l’esprit ? Le temps qui nous reste pour poser ces questions est déjà trop court. L’histoire est remplie de pages qui nous montrent que les événements indésirables que l’on voulait éviter sont arrivés parce que les hommes ont attendu pour agir qu’il soit trop tard. Nous ne pouvons nous permettre un tel délai. 
Si nous voulons survivre, cette Organisation doit survivre. Pour survivre, elle doit être renforcée. Son pouvoir exécutif doit être investi d’une grande autorité. Les moyens permettant de donner plus de poids à ses décisions doivent être renforcés, et s’ils n’existent pas, inventés. Il faut établir des procédures pour protéger le petit et le faible lorsqu’il est menacé par le fort et le puissant. Toutes les nations remplissant les conditions de membres doivent être admises et autorisées à siéger à cette Assemblée. L’égalité de représentation doit être assurée dans chacun de ses organes. Toutes les possibilités qu’offre l’ONU de trouver un moyen par lequel l’affamé serait nourri, le nu habillé, l’ignorant instruit, doivent être évaluées et exploitées car la fleur de la paix ne se nourrit pas de pouvoir ni de cupidité. Réaliser cela exige du courage et de la confiance. Le courage, je crois, nous l’avons. La confiance doit être créée, et pour créer la confiance, nous devons agir courageusement.
Les grandes nations du monde feraient bien de se souvenir qu’en ces temps modernes, même leur propre destin n’est pas entièrement entre leurs mains. La paix réclame les efforts réunis de nous tous. Qui peut prévoir quelle étincelle mettrait le feu aux poudres ? Les petits et les faibles ne sont pas les seuls à devoir observer scrupuleusement leurs obligations envers l’ONU, et les uns envers les autres. Tant que les plus petites nations ne se verront pas attribuer une voix propre dans le règlement des problèmes mondiaux, tant que l’égalité que l’Afrique et l’Asie ont conquise par la lutte ne sera pas reflétée dans une participation élargie à l’institution que représente l’ONU, la confiance sera d’autant plus difficile à obtenir. Tant que les droits du dernier des hommes ne seront pas protégés avec autant de zèle que ceux du plus grand, les graines de la confiance échoueront sur un sol stérile.
Le sort de chacun de nous est le même – la vie ou la mort. Nous souhaitons tous vivre. Nous tous un monde où les hommes seraient libérés des fardeaux de l’ignorance, de la pauvreté, de la faim et de la maladie. Et nous aurons tous hâte d’échapper à la pluie mortelle des retombées nucléaires si la catastrophe s’abattait sur nous.
Lorsque j’ai parlé à Genêve en 1936, le fait qu’un Chef d’état s’adresse à la Société des Nations était sans précédent. Je ne suis ni le premier ni ne serai le dernier Chef d’état à s’adresser à l’ONU, mais moi seul me suis adressé à la fois à la Société des Nations et à l’ONU à ce titre. Les problèmes auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés sont eux aussi sans précédent. Ils n’ont pas de contre-partie dans l’expérience humaine. Les hommes recherchent dans l’histoire des solutions et des précédents mais il n’y en a pas. Ceci est donc le défi suprême. Où devons-nous chercher comment survivre, comment répondre à des questions qui n’ont encore jamais été posées ? Nous devons nous tourner d’abord du côté de Dieu tout puissant Qui a élevé l’homme au dessus des animaux et l’a doté d’intelligence et de raison. Nous devons avoir foi en Lui, et qu’Il ne va pas nous abandonner ou nous permettre de détruire l’humanité qu’Il a créée à Son image. Et nous devons regarder en nous-mêmes, dans les profondeurs de nos âmes. Nous devons devenir ce que nous n’avons jamais été et ce à quoi notre éducation, notre expérience et notre environnement nous a très mal préparé. Nous devons être plus grands que ce que nous avons été : plus courageux, avec une plus grande ouverture d’esprit et une vision plus large. Nous devons devenir les membres d’une nouvelle race, dépasser nos préjugés insignifiants, faire notre ultime allégeance non pas aux nations, mais à nos semblables au sein de la communauté humaine.
Hailé Sélassié Ier
le 6 Octobre 1963 

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Le discours contre les exactions italiennes fascistes… à la SDN

 (GENEVE : 30 Juin 1936).

« Moi, Haile Selassie Ier, Empereur d’Ethiopie, je suis aujourd’hui ici pour réclamer la justice, qui est due à mon peuple, et l’assistance qui lui a été promise il y a huit mois, lorsque 50 nations affirmèrent qu’une agression avait été commise en violation des traités internationaux. Il n’y a pas de précédent pour un chef d’Etat de parler lui-même devant cette assemblée. Mais, il est aussi sans exemple pour un peuple d’être victime d’une telle injustice et d’être à présent menacé d’abandon à son agresseur. Par ailleurs, il n’y a jamais eu auparavant un exemple de gouvernement procédant à l’extermination systématique d’un peuple par des moyens barbares, en violation des promesses les plus solennelles faites aux nations du monde, de ne point recourir à une guerre de conquête, et de ne point user du terrible poison des gaz nocifs contre des êtres humains innocents. C’est pour défendre un peuple qui lutte pour son indépendance millénaire que le chef de l’Empire d’Ethiopie est venu à Genève pour remplir ce devoir suprême, après avoir lui-même combattu à la tête de ses armés.

Je prie Dieu Tout Puissant d’épargner aux nations les terribles supplices que mon peuple vient de subir, et dont les chefs qui m’accompagnent ici ont été les témoins horrifiés. J’ai le devoir d’informer les Gouvernements assemblés à Genève, puisse qu’ils sont responsables des vies de millions d’hommes, des femmes et d’enfants, du danger mortel qui les menace, en leur décrivant le sort que l’Ethiopie a souffert.

Ce n’est pas seulement aux guerriers que le Gouvernement italien a fait la guerre ; il s’est surtout attaqué aux populations éloignées des hostilités, de manière à les terroriser et les exterminer.

Au début, vers la fin de l’année 1935, l’aviation italienne a lancé des bombes à gaz lacrymogène contre mon armée. Leurs effets n’étaient que légers. Les soldats apprirent à se disperser en attendant que le vent eut rapidement dissipé les gaz toxiques. L’aviation italienne recourut alors à l’ypérite. Des fûts de liquides furent jetés sur ces groupes armés. Mais ce moyen fut également inefficace, le liquide eu des effets sur quelques soldats seulement et les barils sur le terrain étaient eux-mêmes un avertissement du péril pour les troupes et la population.

C’est au moment de l’opération pour l’encerclement de Makalé que le commandement italien, craignant une déroute suivit la procédure dont j’ai aujourd’hui le devoir de dénoncer au monde. Des pulvérisateurs spéciaux furent installés à bord des avions de sorte qu’ils pouvaient vaporiser, sur des vastes régions du territoire, une pluie fine et fatale. Des groupes de 9, 15, 18 avions se suivaient les uns les autres de manière que le brouillard émis par chacun d’eux formait une nappe continue. C’est ainsi que, dès la fin du mois de Janvier 1936, des soldats, des femmes, des enfants, du bétail, des rivières, des lacs et des pâturages furent continuellement arrosés par cette pluie mortelle ; de façon à tuer systématiquement toute créature vivante et d’empoisonner les eaux et les pâturages, le commandement italien avait fait survoler ses avions sur nous à maintes reprises. C’était là sa méthode de guerre principale.

La subtilité même de la barbarie consistait à entraîner dévastation et terreur dans les endroits du territoire les plus densément peuplés et les points les plus éloignés de la scène des hostilités. Le but étant de semer l’épouvante et la mort sur une grande partie du territoire éthiopien. Ces tactiques effrayantes réussirent : des hommes et des animaux succombèrent. La pluie mortelle qui tombait des avions faisait hurler, tous ceux qu’elle atteignait, emportés par la douleur. Tous ceux qui burent de l’eau empoisonnée ou mangèrent de la nourriture infectée moururent dans d’atroces souffrances. Par dizaines de milliers, les victimes du gaz ypérite italien tombèrent. C’est pour dénoncer au monde civilisé les tortures infligées au peuple éthiopien que j’ai décidé de venir à Genève. Nul autre que moi et mes braves compagnons d’armes ne pouvaient en apporter la preuve indéniable à la Société des Nations, mes délégués n’avaient pas été témoins et leurs appels restaient sans réponse. C’est pourquoi j’ai décidé de venir moi-même pour porter témoignage des crimes perpétrés contre mon peuple et donner à l’Europe un avertissement du sort qui lui est réservé, si elle devait s’incliner devant le fait accompli. Est-il nécessaire de rappeler à l’Assemblée les diverses phases du drame éthiopien? Au cours des vingt années écoulées, soit en tant qu’Héritier Présomptif, Régent de l’Empire ou Empereur, je n’ai jamais cessé de faire tout mon possible pour amener mon pays à la civilisation, et en particulier, d’établir des relations de bon voisinage avec les puissances limitrophes. J’ai réussi notamment à conclure avec l’Italie le Traité d’Amitié de 1928, qui interdisait absolument le recours sous aucun prétexte quel qu’il soit, au poids des armes, remplaçant par la force et la tension la conciliation et la pression ainsi que l’arbitrage sur lesquels les nations civilisés ont basé l’ordre mondial.

Dans son rapport du 5 Octobre 1935, le Comité des Treize a reconnu mes efforts et les résultats que j’avais obtenus. Les gouvernements pensaient que l’entrée de l’Ethiopie dans la Société (SDN) tout en donnant à ce pays une nouvelle garantie pour le maintien de son intégrité territoriale et de son indépendance, l’aidera à atteindre un niveau supérieur de civilisation. Il ne semble pas que, dans l’Ethiopie d’aujourd’hui il y ai plus de désordre et d’insécurité qu’en 1923. Au contraire, le pays est plus uni et le pouvoir central est mieux respecté. J’aurais dû procuré encore plus de résultat à mon peuple, si des obstacles de toute nature n’avait pas été mis en route par le gouvernement italien, le gouvernement qui a suscité la révolte et armé les rebelles. En vérité, le gouvernement de Rome, comme il l’a ouvertement proclamé aujourd’hui, n’a jamais cessé de se préparer à la conquête de l’Ethiopie. Les traités d’amitié qu’il a signé avec moi n’étaient pas sincères, leur seul but était de me cacher sa véritable intention. Le gouvernement italien affirme que pendant 14 ans, il a préparé la conquête actuelle. Par conséquent, il reconnaît aujourd’hui que lorsqu’il a soutenu l’admission de l’Éthiopie à la Société des Nations en 1923, lorsqu’il a conclu le Traité d’amitié en 1928, lorsqu’il a signé le Pacte de Paris interdisant la guerre, il trompait le monde entier. Le gouvernement éthiopien a, dans ces traités solennels, donné des garanties supplémentaires de sécurité qui lui permettrait de réaliser de nouveaux progrès sur la voie spécifique de la réforme sur laquelle il s‘est engagé, et à laquelle il consacrait toutes ses forces et tout son cœur.

L’incident de Wal-Wal, en Décembre 1934, est venu comme un coup de tonnerre pour moi. La provocation italienne était évidente et je n’ai pas hésité à faire appel à la Société des Nations. J’ai invoqué les dispositions du traité de 1928, les principes du Pacte; j’ai demandé la procédure de conciliation et d’arbitrage. Malheureusement pour l’Ethiopie ce fut le moment où un certain gouvernement a estimé que la situation européenne faisait qu’il était impératif à tout prix d’obtenir l’amitié de l’Italie. Le prix payé était l’abandon de l’indépendance de l’Éthiopie à la cupidité du gouvernement italien. Cet accord secret, contraire aux obligations du Pacte, a exercé une grande influence sur le cours des événements. L’Ethiopie et le monde entier ont souffert et souffrent encore aujourd’hui de ses conséquences désastreuses. Cette première violation du Pacte a été suivi par beaucoup d’autres. Sentiment lui-même encouragé dans sa politique contre l’Éthiopie, le gouvernement de Rome fébrilement a fait des préparatifs de guerre, en pensant que la pression concertée qui commençait à être exercées sur le gouvernement éthiopien, ne pourrait peut-être pas vaincre la résistance de mon peuple à la domination italienne. Le moment allait venir, ainsi toutes sortes de difficultés ont été placées sur la voie en vue de briser la procédure; de conciliation et d’arbitrage. Tous les types d’obstacles ont été placés sur la voie de cette procédure. Les gouvernements ont tenté d’empêcher le gouvernement éthiopien de trouver des arbitres parmi leurs ressortissants: une fois que le tribunal arbitral a été constitué des pressions ont été exercée afin qu’une sentence favorable à l’Italie soit accordée. Tout cela fut en vain: les arbitres, dont deux étaient des agents italiens, ont été forcés de reconnaître à l’unanimité que, dans l’incident Wal-Wal, ainsi que lors des incidents ultérieurs, aucune responsabilité internationale devait être attribuée à l’Éthiopie.

Suite à cette attribution, le gouvernement éthiopien pensait sincèrement que l’ère des relations amicales pourraient être ouvertes avec l’Italie. J’ai loyalement offert ma main au gouvernement romain. L’Assemblée a été informée par le rapport de la commission des Treize, en date du 5 Octobre 1935, des détails des événements qui ont eu lieu après le mois de Décembre 1934, et jusqu’au 3 Octobre 1935. Il suffira que je cite quelques-unes des conclusions de ce rapport numéros 24, 25 et 26 « Le mémorandum italien (contenant les plaintes formulées par l’Italie) a été mis sur la table du Conseil le 4 Septembre 1935, alors que le premier appel de l’Éthiopie au Conseil avait été fait le 14 Décembre 1934. Dans l’intervalle entre ces deux dates, le gouvernement italien s’est opposé à l’examen de la question par le Conseil au motif que la seule procédure appropriée était celle prévue dans le traité italo-éthiopien de 1928. Tout au long de cette période, en outre, l’envoi de troupes italiennes en Afrique orientale est en cours. Ces envois de troupes étaient présentés au Conseil par le gouvernement italien comme nécessaire pour la défense de ses colonies menacées par les préparatifs de l’Éthiopie. L’Ethiopie , au contraire, a attiré l’attention sur les déclarations officielles faites en Italie qui, à son avis, ne laissait aucun doute « sur les intentions hostiles du gouvernement italien. »

Dès le début du conflit, le gouvernement éthiopien a demandé un règlement par des moyens pacifiques. Il a fait appel aux procédures du Pacte. Le gouvernement italien désireux de s’en tenir strictement aux procédures du traité italo-éthiopien de 1928, le gouvernement éthiopien consentis. Il a invariablement déclaré qu’il exécuterait fidèlement la sentence arbitrale, même si la décision allait contre elle. Il était convenu que la question de la propriété de Wal-Wal ne devraient pas être traitées par les arbitres, parce que le gouvernement italien ne serait pas d’accord pour un tel recours. Il a demandé au Conseil l’envoi d’observateurs neutres et offerts de se prêter à toute demande de renseignements sur lesquels le Conseil pourrait décider.

Une fois que les différends de Wal-Wal ont été réglés par arbitrage, le Gouvernement Italien a présenté son mémorandum détaillé au Conseil à l’appui de sa revendication de liberté d’action. Il a affirmé qu’un cas comme celui de l’Ethiopie ne peut être réglé par les moyens prévus par le Pacte. Il a déclaré que, « depuis que cette question affecte les intérêts vitaux et est d’une importance primordiale à la sécurité et à la civilisation italienne » cela « serait manqué à son devoir le plus élémentaire, de ne pas cesser une fois pour toutes de placer quelque confiance en l’Ethiopie, en se réservant la pleine liberté d’adopter des mesures qui pourraient s’avérer nécessaires pour assurer la sécurité de ses colonies et de préserver ses propres intérêts ».

Ce sont les termes du rapport du Comité des Treize, le Conseil et l’Assemblée a adopté à l’unanimité la conclusion que le gouvernement itald’agression. Je n’ai pas hésité à déclarer que je n’ai pas voulu la guerre, qu’elle m’a été imposé, et je lutte uniquement pour l’indépendance et l’intégrité de mon peuple, et que dans cette lutte j’étais le défenseur de la cause de tous les petits États exposés à la convoitise d’un voisin puissant. En Octobre1935, les 52 nations qui sont à mon écoute aujourd’hui, m’ont donné l’assurance que l’agresseur ne triompherait pas, que les ressources du Pacte seraient employés afin d’assurer le règne du droit et l’échec de la violence.

Je demande aux cinquante-deux nations de ne pas oublier aujourd’hui la politique sur laquelle ils se sont engagés il y a huit mois, et sur la foi de laquelle je dirigeais la résistance de mon peuple contre l’agresseur qu’ils avaient dénoncé au monde. Malgré l’infériorité de mes armes, l’absence complète d’avions, d’artillerie, de munitions, de services hospitaliers, ma confiance dans la Société (SDN) était absolue. Je pensais qu’il était impossible que cinquante-deux nations, y compris le plus puissant du monde, soit vaincu avec succès par un agresseur unique. Ayant foi en raison des traités, je n’avais effectué aucune préparation à la guerre, et c’est le cas avec certains petits pays en Europe.

Lorsque le danger devenait plus pressant, en étant conscient de mes responsabilités envers mon peuple, au cours des six premiers mois de 1935, j’ai essayé d’acquérir des armements. De nombreux gouvernements ont proclamé un embargo pour empêcher mon action, alors que pour le gouvernement italien par le canal de Suez, a été donné toutes les facilités pour le transport sans interruption et sans protestation, des troupes, armes et munitions.

Le 3 Octobre 1935, les troupes italiennes ont envahi mon territoire. Quelques heures plus tard seulement je décrétais la mobilisation générale. Dans mon désir de maintenir la paix j’avais, suivant l’exemple d’un grand pays en Europe à la veille de la Grande Guerre, fais retirer mes troupes de 30 km afin d’ôter tout prétexte de provocation. La guerre a ensuite eu lieu dans les conditions atroces que j’ai exposé devant l’Assemblée. Dans ce combat inégal entre un gouvernement commandant plus de quarante-deux millions d’habitants, ayant à sa disposition des moyens financiers, industriels et techniques qui lui ont permis de créer des quantités illimitées d’armes les plus mortifères, et, d’autre part, un petit peuple de douze millions d’habitants, sans armes, sans ressources ayant de son côté que la justice de sa propre cause et la promesse de la Société des Nations. Quelle aide réelle a été accordée à l’Éthiopie par les cinquante-deux nations qui avait déclaré le gouvernement de Rome coupable d’une violation du Pacte et se sont engagés à empêcher le triomphe de l’agresseur? A chacun des États Membres, comme c’était leur devoir de le faire en vertu de la signature apposée sur l’article 15 du Pacte, devaient considéré l’agresseur comme ayant commis un acte de guerre dirigé personnellement contre eux-mêmes? J’avais mis tous mes espoirs dans l’exécution de ces engagements. Ma confiance a été confirmée par les déclarations répétées du Conseil sur le fait que l’agression ne doit pas être récompensé, et que la force finirait par être obligé de s’incliner devant le droit.

En Décembre 1935, le Conseil a clairement indiqué que ses sentiments étaient en harmonie avec celles de centaines de millions de personnes qui, dans toutes les régions du monde, avait protesté contre la proposition visant à démembrer l’Éthiopie. Il a été constamment répété qu’il n’y avait pas seulement un conflit entre le gouvernement italien et la Ligue des Nations, et c’est pourquoi j’ai personnellement refusé toutes les propositions à mon avantage personnel qui m’ont été faite par le gouvernement italien, si seulement je trahissais mon peuple et le Pacte de la Société des Nations. J’ai défendu la cause de tous les petits peuples qui sont menacés d’agression.

Que sont devenus les promesses m’ont été faites il ya longtemps, comme en Octobre 1935? J’ai noté avec tristesse, mais sans surprise que les trois puissances considéraient leurs engagements en vertu du Pacte comme absolument sans valeur. Leurs liens avec l’Italie les a poussé à refuser de prendre toutes les mesures qui soit pour faire cesser l’agression italienne. Au contraire, cela a été une profonde déception pour moi d’apprendre l’attitude d’un certains gouvernement qui, tout en protestant de son attachement le plus scrupuleux au Pacte, a utilisé sans relâche tous ses efforts pour empêcher son respect. Dès qu’une mesure qui était susceptible d’être rapidement efficace était proposé, divers prétextes ont été conçus afin de reporter l’examen de la mesure en question. Les accords secret de Janvier 1935, prévoyaient-ils cette obstruction infatigable? Le gouvernement éthiopien n’attendais pas des autres gouvernements qu’ils viennent verser le sang de leurs soldats pour défendre le Pacte lorsque leurs intérêts personnels immédiat n’étaient pas en jeu. Les guerriers éthiopiens demandaient uniquement les moyens de se défendre. À de nombreuses reprises, j’ai demandé une aide financière pour l’achat d’armes. Cette aide m’a été constamment refusé. Qu’est donc, en pratique, le sens de l’article 16 du Pacte et la sécurité collective?

L’utilisation par le Gouvernement éthiopien de la voie ferrée de Djibouti à Addis-Abeba a été en pratique une situation dangereuse en ce qui concerne le transport d’armes destinées aux forces éthiopiennes. A l’heure actuelle c’est le principal, sinon le seul moyen de ravitaillement des armées d’occupation italienne. Les règles de neutralité aurait dû interdire les transports destinés aux forces italiennes, mais il n’y a même pas de neutralité, depuis que l’article 16 fixe à chaque État membre de la Société le droit de ne pas rester neutre, mais de venir en aide non pas à l’agresseur, mais à la victime d’une agression. Le Pacte a t-il été respecté? Est-il aujourd’hui respecté?

Enfin une déclaration vient juste d’être faite dans leurs parlements par les gouvernements de certaines puissances, parmi eux les membres les plus influents de la Société des Nations, que, depuis que l’agresseur a réussi à occuper une grande partie du territoire éthiopien ils proposent de ne pas poursuivre l’application des mesures économiques et financières qui peuvent avoir été décidé à l’encontre du gouvernement italien. Ce sont les circonstances dans lesquelles, à la demande du Gouvernement argentin, l’Assemblée de la Société des Nations se réunit pour examiner la situation créée par l’agression italienne. J’affirme que le problème soumis à l’Assemblée aujourd’hui est beaucoup plus large. Ce n’est pas simplement une question de règlement de l’agression italienne.

Il en est de la sécurité collective: c’est l’existence même de la Société des Nations. C’est la confiance que chaque État place dans les traités internationaux. C’est la valeur des promesses faites aux petits États que leur intégrité et leur indépendance doit être respecté et garanti. C’est le principe de l’égalité des États d’une part, ou l’obligation qui incombe aux petites puissances d’accepter les liens de vassalité. En un mot, c’est la morale internationale qui est en jeu. Les signatures apposées sur un traité ont-elles de la valeur que dans la mesure où les Puissances signataires ont un intérêt personnel, direct et immédiat en cause? Aucune subtilité ne peut changer le problème ou modifier la base de la discussion. C’est en toute sincérité que je soumets ces considérations à l’Assemblée. Au moment où mon peuple est menacé d’extermination, lorsque le soutien de la Ligue peut parer le coup final, qu’il me soit permis de parler avec une entière franchise, sans réticence, en toute franchise comme cela est exigé par la règle de l’égalité entre tous les États Membres de la Ligue?

Outre le Royaume du Seigneur, il n’est pas sur cette terre une nation qui est supérieure à une autre. S’il arrive qu’un gouvernement fort estime qu’il peut impunément détruire un peuple faible, alors que l’heure sonne pour que les gens faibles de faire appel à la Société des Nations pour rendre son jugement en toute liberté. Dieu et l’histoire se souviendront de votre jugement.

J’ai entendu affirmer que les sanctions insuffisantes déjà appliquées n’ont pas atteint leur but. A aucun moment, et en aucun cas des sanctions qui ont été intentionnellement insuffisantes, intentionnellement mal appliquée, pourrait arrêter un agresseur. Ce n’est pas un cas d’impossibilité d’arrêter l’agresseur, mais du refus d’arrêter l’agresseur. Lorsque l’Éthiopie a demandé, et demande, qu’elle devrait recevoir une aide financière, la mesure était impossible à appliquer alors que l’aide financière de la Société a été accordée, même en temps de paix, à deux pays et exactement à deux pays qui ont refusé d’appliquer des sanctions contre l’agresseur? Face à de nombreuses violations par le gouvernement italien de tous les traités internationaux qui interdisent le recours aux armes, et l’utilisation de méthode de guerre barbare, il est de mon pénible devoir de constater que l’initiative a été prise aujourd’hui, en vue d’augmenter les sanctions. Est ce que cette initiative ne signifie pas dans la pratique l’abandon de l’Ethiopie à l’agresseur? A la veille même du jour où je m’apprêtais à tenter un effort suprême pour la défense de mon peuple devant cette Assemblée, n’est ce pas par cette initiative priver l’Ethiopie d’une de ses dernières chances de réussir à obtenir le soutien et la garantie des Etats membres? Est-ce ce que la direction de la Société des Nations et de chacun des États Membres sont en droit d’attendre des grandes puissances quand ils font valoir leur droit et leur devoir de guider l’action de la Ligue? Placé par l’agresseur face à face avec le fait accompli, les États sont-ils en train de mettre en place le précédent terrible de s’incliner devant la force?

Votre Assemblée aura sans doute prévue auparavant des propositions pour la réforme du Pacte, pour rendre plus effective la garantie de la sécurité collective. Est-ce que le Pacte a besoin de réformes? Quelles entreprises peuvent avoir de la valeur si la volonté de les maintenir manque? C’est la morale internationale qui est en jeu et non les Articles du Pacte. Au nom du peuple éthiopien, membre de la Société des Nations, je demande à l’Assemblée de prendre toutes les mesures appropriées pour assurer le respect du Pacte. Je renouvelle ma protestation contre les violations des traités dont le peuple éthiopien a été la victime. Je déclare dans la face du monde entier que l’Empereur, le gouvernement et le peuple de l’Ethiopie ne veulent pas plier devant la force ; qu’ils maintiennent leurs revendications, qu’ils vont utiliser tous les moyens en leur pouvoir pour assurer le triomphe du droit et le respect du Pacte.

Je demande aux cinquante-deux nations, qui ont donné au peuple éthiopien la promesse de les aider dans leur résistance à l’agresseur, ce quelles sont prêtes à faire pour l’Éthiopie? Et les grandes puissances qui ont promis la garantie de la sécurité collective pour les petits Etats sur lesquels pèse la menace qu’ils pourraient un jour subir le sort de l’Ethiopie, je demande quelles mesures comptez-vous prendre?

Représentants du monde, je suis venu à Genève pour m’acquitter au milieu de vous du plus pénible des devoirs d’un chef d’État. Quelle réponse dois je ramener à mon peuple? »

Haile Selassie Ier, SDN Genève (Suisse), 30 Juin 1936.

Deuxième partie

Discours de Sa Majesté Haïlé Sélassié Ier, empereur d’Éthiopie, devant l’Assemblée de la Société des Nations durant la session de juin–juillet 1936

Selassié devant les membres des sociétés des nations

Au début des années 1930, le dictateur italien Benito Mussolini était déterminé à étendre l’Empire africain de l’Italie en annexant l’Éthiopie. En décembre 1934, un affrontement, provoqué par les Italiens, se produisit entre les forces armées italiennes et éthiopiennes à Welwel, du côté éthiopien de la frontière avec la Somalie italienne. Mussolini déclara que l’incident était « un acte d’autodéfense » et, qu’en vertu des accords internationaux, il n’était donc pas soumis à l’arbitrage. L’Italie exigea des compensations et la reconnaissance de la zone comme appartenant aux Italiens. Lorsque l’empereur Haïlé Sélassié refusa de céder à ses demandes, l’Italie commença à mobiliser ses forces. Membre de la Société des Nations, l’Éthiopie porta l’affaire devant le Conseil, mais Mussolini ignora toutes les propositions de résolution de la crise émises par la Société. Le 3 octobre 1935, les forces italiennes envahirent l’Éthiopie depuis l’Érythrée et la Somalie italienne. La capitale Addis-Abeba tomba en mai 1936. L’empereur Haïlé Sélassié, qui se trouvait à Genève à ce moment-là, demanda en vain l’aide de l’Assemblée. La Société refusa d’agir, et la plupart des pays membres reconnurent la conquête italienne. Le texte présenté ici est le discours passionné de l’empereur qu’il donna devant l’Assemblée le 30 juin 1936. Le texte du discours, prononcé en amharique, occupe la partie gauche des pages. La traduction française apparaît en regard à droite. Le document provient des archives de la Société des Nations, qui furent transférées aux Nations Unies en 1946 et qui sont désormais conservées à l’Office des Nations Unies à Genève. Ces archives furent inscrites au Registre de la Mémoire du monde de l’UNESCO en 2010.

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