POUR UNE CLARIFICATION URGENTE DES RÔLES ENTRE PCA ET DIRECTEURS GÉNÉRAUX DANS LES ENTREPRISES PUBLIQUES

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( CROISSANCE AFRIQUE)- Depuis plusieurs décennies, le Sénégal – comme de nombreux pays africains – vit sous le régime d’une jurisprudence administrative ancienne qui a progressivement brouillé les lignes entre les pouvoirs du Président du Conseil d’Administration (PCA) et ceux du Directeur Général (DG).

Cette pratique, souvent inspirée des usages des anciennes sociétés d’État, a fini par instaurer une confusion structurelle entre fonction de contrôle et fonction de gestion, en contradiction flagrante avec les dispositions de l’OHADA relatives à la gouvernance des sociétés commerciales et du secteur parapublic.

Aujourd’hui, alors que de nombreux pays réaffirment leur ancrage dans la bonne gouvernance, il devient impératif de clarifier juridiquement et institutionnellement ces deux fonctions pour éviter les chevauchements, les interférences et les dérives managériales observées ces dernières années.

UNE JURISPRUDENCE DÉPASSÉE FACE À L’EXIGENCE DE BONNE GOUVERNANCE

Dans la tradition administrative africaine, héritée d’une époque où les entreprises publiques constituaient des prolongements de l’État, le Président du Conseil d’Administration a souvent été perçu comme une sorte de « superviseur politique » disposant d’un pouvoir implicite sur la direction générale.
Or, cette conception n’a aucune base légale dans le droit contemporain. Selon l’Acte uniforme de l’OHADA, le PCA n’exerce aucune fonction de direction. Il préside le Conseil, organise ses réunions, veille à la bonne information de ses membres et rend compte à l’Assemblée Générale. Son rôle est donc stratégique, non exécutif.

Le Directeur Général, pour sa part, détient les pouvoirs les plus étendus pour agir au nom de la société dans la limite de l’objet social. C’est lui le responsable principal des actes de gestion, devant les organes de contrôle et la justice.

La ligne est claire : le Conseil contrôle, le DG gère. Le Président du Conseil n’a ni bureau, ni salaire mensuel, ni voiture de fonction. Il n’est rémunéré qu’à travers des jetons de présence, conditionnés à son assiduité aux réunions du Conseil.

Dans de nombreux pays africains, cette orthodoxie s’est perdue depuis les années 2000. Certains PCA, désormais nommés sur une base politique plutôt que professionnelle, exercent des fonctions de direction parallèles, brouillant les responsabilités et affaiblissant les entreprises publiques.
Ce mélange des genres a entraîné de graves conséquences : retards dans les décisions stratégiques, tensions internes, mauvaise exécution budgétaire et affaiblissement du contrôle interne.

J’ai personnellement connu une institution internationale de garantie, au début des années 2000, qui a traversé une grave crise de gouvernance pour ces mêmes raisons.
Dans cette organisation, les administrateurs représentant les États actionnaires exerçaient une prééminence excessive sur la Direction générale, intervenant dans des décisions opérationnelles qui ne relevaient pas de leurs prérogatives.
Résultat : le Directeur général a été fragilisé puis limogé, et l’institution, privée de leadership exécutif stable, a connu de grandes difficultés financières et organisationnelles.

Ce cas illustre combien la confusion entre gouvernance et gestion peut conduire à la paralysie, voire au déclin, même au sein d’organismes internationaux pourtant dotés de chartes précises.

POUR UNE RÉFORME CLAIRE ET COURAGEUSE

Il est urgent que les autorités africaines rétablissent les fondements de la bonne gouvernance à travers une réforme claire.

La loi d’orientation n° 2022-08 du 19 avril 2022 sur le secteur parapublic doit être harmonisée avec les normes de l’OHADA, afin de mettre un terme à cette dualité de pouvoir contre-productive.
Les PCA doivent redevenir ce qu’ils sont en droit : des présidents non exécutifs, garants de la transparence et de la stratégie, non des gestionnaires ou des administrateurs permanents.

Il faut en finir avec les salaires mensuels et les cumuls de fonctions qui violent l’esprit de la bonne gouvernance et pèsent sur les finances publiques.
Les Directeurs Généraux, eux, doivent pleinement assumer leur rôle opérationnel et leur responsabilité juridique.
Enfin, la nomination des PCA devrait obéir à des critères de compétence, d’expérience et d’intégrité, et non à des considérations partisanes.

La clarté des rôles, la compétence des administrateurs et le respect des textes sont les piliers d’une entreprise publique saine.
À l’inverse, la confusion entretenue dans nombre de sociétés publiques n’a produit que des déficits chroniques et un affaiblissement de la crédibilité institutionnelle.

En définitive, la clarification des rôles entre PCA et DG n’est pas une simple question technique : c’est une exigence démocratique, économique et morale.
Elle conditionne la crédibilité du secteur public, la confiance des citoyens et la pérennité des entreprises stratégiques de l’État.

Rétablir la discipline juridique dans la gouvernance des sociétés publiques, c’est contribuer à la reconstruction d’un État plus éthique, plus efficace et plus respecté.

Magaye GAYE
Économiste international
Ancien cadre de la BOAD

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