Au Mali, la Charte nationale pour la paix et la réconciliation nationale, met en avant la redevabilité dans la gestion des affaires publiques, non seulement comme un pilier essentiel pour le vivre ensemble dans le pays, aussi comme une solution impérative face aux enjeux de stabilité politique et de bonne gouvernance.
« Le concept de redevabilité trouve ses racines étymologiques dans le terme ‘redevable’. La redevabilité est un processus complexe et fondamental de gouvernance, qui exige non seulement de prendre en compte, mais aussi de rendre compte aux divers acteurs impliqués, et surtout à ceux qui portent le poids des décisions prises par ceux au pouvoir », explique Modibo Mao Macalou, Economiste.
« C’est le rapport détaillé d’une activité exécutée dans le but de clarifier les implications financières ou de fournir des éclaircissements sur un fond alloué à un service après son utilisation dans le domaine de l’éducation », ajoute Ali Sangaré du Syndicat National des Enseignants du Mali (Synem).
Selon lui, la redevabilité s’inscrit dans une dimension transversale qui s’étend bien au-delà des simples mécanismes de décisions politico-administratives pour englober la dimension publique qui se doit d’être à la fois transparente et responsable.
« La redevabilité, est un aspect essentiel et indispensable pour implanter et renforcer la confiance dans la gestion financière, matérielle et morale au sein d’un service public », affirme Amadou Doumbia, juriste. « La redevabilité, ou reddition des comptes, peut être définie, d’un point de vue juridique, comme l’obligation impérative de rendre compte de la manière dont on gère leurs affaires », souligne-t-il.
« Cela inclut des facettes diverses et essentielles des affaires publiques, allant de la justice aux finances, tout en promouvant l’état de droit et le plaidoyer. Les secteurs socio-économiques sont également touchés et doivent se conformer aux principes de redevabilité pour garantir un développement harmonieux et inclusif, profitant à l’ensemble de la société ».
Selon M. Macalou, en réfléchissant sur les questions essentielles du développement au Mali, il est primordial de se concentrer sur l’amélioration de la reddition des comptes dans le secteur public. Sa vision implique fortement la mobilisation des citoyens, en mettant un accent particulier sur les femmes et les jeunes, afin d’encourager une gouvernance qui soit responsable, transparente et véritablement inclusive.
Cette stratégie vise à garantir que chaque couche de la population puisse participer activement au processus de gouvernance, lui permettant ainsi de répondre mieux aux réels besoins de la société. « Au niveau national, régional et local, le principal défi, qui doit être surmonté, demeure l’amélioration de l’accès aux services sociaux de base. Il s’agit notamment de garantir des services de santé adéquats, d’assurer une éducation de qualité, de fournir une nutrition suffisante, d’accéder à une eau potable sans restriction et de garantir un assainissement optimal ».
M. Macalou observe également que l’objectif crucial est de perfectionner non seulement l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques, mais aussi leur suivi et leur évaluation en adoptant des stratégies fondées sur une gestion orientée vers les résultats.
Dr. Mahamadou Konaté, Directeur Général du Bureau d’études du Conseil Donko, juriste publiciste, constitutionnaliste et analyste politique pense que trois secteurs notamment l’éducation, la santé et les finances sont prioritaires, extrêmement stratégiques où les dirigeants se doivent de cultiver l’esprit de redevabilité. « D’abord élaborer des plans et stratégies mesurables et de rendre compte périodiquement non seulement à leur équilibre opérationnel ou équipe de mise en œuvre mais aussi aux citoyens, au public cible de leur politique ».
Trop de structures sont impliquées dans la lutte contre la corruption au Mali selon M. Konaté, il pense qu’il faut travailler à rationaliser ces structures parce que plus c’est simple, plus c’est clair. « Il faut que pour le malien lambda, la lutte contre la corruption soit quelque chose de simple à comprendre », dit-il. M. Ali Sangaré pense que « les mécanismes de responsabilité et de transparence sont bien établis ».
« Cependant, poursuit-il, il est impératif de comprendre et de reconnaître que le syndicat ne représente pas un adversaire du gouvernement. Au contraire, il joue un rôle essentiel en tant que partenaire social, avec la capacité de contribuer de manière significative à la stabilisation du pouvoir en place grâce à ses techniques avancées de communication et de dialogue. En tant que syndicats, nous sommes les gardiens des textes fondamentaux qui serviront de socle pour instaurer une solide confiance, promouvoir l’harmonie et encourager un vivre ensemble constructif et positif, qui doivent culminer par un développement durable et pérenne des services disponibles ».
La mauvaise gouvernance aggrave aussi l’insécurité selon Dr Konaté. Il faut être capable de simplifier les critères objectifs, « le fait qu’on soit familier à quelqu’un ne doit pas être le critère décisif dans le choix de la personne. Il faut qu’il ait ces critères objectifs, les compétences, niveau de formation, année d’expérience. On ne doit jamais sacrifier les critères au profit des considérations, ça c’est la mauvaise gouvernance et ça impacte la sécurité » l’exemplarité est la seule façon pour renforcer durablement la redevabilité dans la gestion des affaires publiques au Mali pour la stabilité, le vivre ensemble et la paix selon Dr Konaté.
Par ailleurs, il existe dans les cultures maliennes des concepts riches et puissants qui regroupent, et parfois dépassent la notion moderne de redevabilité. Leur héritage est mixte, affaibli mais toujours présent dans l’imaginaire collectif explique Mohamed Abdellahi Elkahalil, Sociologue et Spécialiste des questions sociales et sécuritaire du Sahel. Il a cité entre autres « chez les Songhaï, des concepts similaires autour de l’honneur (Honney), du respect et de la responsabilité du chef devant les anciens et les ancêtres existaient. La structure hiérarchique était forte, mais le souverain (Askia) devait sa légitimité à son respect des traditions et à sa capacité à assurer la prospérité et la sécurité de son peuple ».
Pour lui, ces concepts opéraient un système de contrôle basé sur la parenté, le voisinage, les classes d’âge et la crainte de la malédiction ou de la réprobation publique. La sanction n’était pas toujours juridique ; elle était souvent sociale et symbolique (ostracisme, perte de prestige, moqueries).
Pour renforcer durablement la redevabilité, M. Elkahalil souligne qu’il ne suffit pas d’importer des modèles occidentaux. Il faut activer des leviers ancrés dans le substrat culturel malien. Il a cité la Réhabilitation et la modernisation des institutions traditionnelles de contrôle ; la valorisation des systèmes de solidarité et de travail collectif » Tòn ou Dugu Tòn en Bambara ; la réactivation de la sanction sociale et de la culture de l’honneur et l’éducation à la citoyenneté par les valeurs endogènes.
Pour promouvoir et renforcer la redevabilité des agents publics, le Mali a adopté une série de textes législatifs selon Amadou Doumbia, juriste.
Parmi ces instruments juridiques, la Constitution, le Bureau du Vérificateur Général BVG, le Code pénal et le Code de procédure pénale. Ces textes visent à garantir la transparence et l’intégrité des pratiques gouvernementales tout en contribuant au renforcement de l’État de droit.
En tant que juriste également, Dr Mahamadou Konaté pense que le pouvoir judiciaire doit s’élever à la hauteur de la fonction de la Constitution, celle d’arbitrer de façon impartiale en matière de respect de la loi par le citoyen peu importe sa fortune, sa position, dirigeant ou simple citoyen. Selon ses dires, les magistrats doivent se considérer comme le dernier rempart de la cité, de la société avant la déchéance. Ils doivent vraiment dire le droit, a-t-il conclu.
En août dernier, la charte nationale pour paix et la réconciliation nationale avait été adoptée à l’unanimité par le conseil National de la Transition (CNT), l’organe législatif de la Transition. Elle attend d’être promulguée par le Chef de l’État. Un observatoire rattaché à la présidence de la République sera créé pour superviser sa promotion et sa mise en œuvre.
Kadidia Doumbia
Ce reportage est publié avec le soutien de Journalistes pour les Droits Humains (JDH) au Mali et NED.