Par Harouna Niang, ancien Ministre Malien de l’Industrie, du Commerce et de la Promotion des Investissements
Le taux de réussite au baccalauréat malien s’est établi à 28,48% en 2025. Une performance qui, en apparence, marque une progression notable par rapport aux années précédentes :
• 2024 : 27,23 %
• 2023 : 25,73 %
• 2022 : 20,38 %
Mais cette amélioration ne saurait masquer une réalité préoccupante : plus de 6 candidats sur 10 échouent encore à cette étape cruciale de leur parcours scolaire. Cette situation persistante soulève deux questions majeures : quels sont les coûts d’un système éducatif où la majorité échoue ? Et quelles réformes structurelles devons-nous engager pour inverser durablement cette tendance ?
Une réussite en trompe-l’œil( selon l’œil d’un économiste)
Oui, le taux de réussite en 2025 est le plus élevé depuis plus de 10 ans. Mais il reste largement insuffisant pour un pays qui consacre environ 15 à 20 % de son budget national à l’éducation. Lorsque l’on sait que l’État prend en charge les frais de scolarité, la rémunération des enseignants, la construction des écoles, la formation des maîtres et l’organisation des examens, chaque échec représente une perte nette en ressources humaines et financières.
Prenons un exemple concret : si 100 000 candidats se présentent au bac, et que 61 % échouent, ce sont 61 000 jeunes qui sortent du système scolaire sans qualification reconnue, avec un coût moyen de formation de ( 150.000 à 200.000 Fcfa par an et par élève du lycée selon les chiffres du ministère de l’éducation)plusieurs centaines de milliers de FCFA par élève depuis la 7e année. Le coût de l’échec devient donc structurel et lourdement budgétivore. Un élève du lycée qui redouble deux fois ( 5 ans au lycée au lieu de 3 ans) coûte à l’état 400.000 Fcfa supplémentaires par rapport à élevé normal.
Pourquoi échouent-ils ? L’urgence d’une évaluation indépendante
Les causes de ces échecs sont connues mais mal hiérarchisées :
• Programmes inadaptés ou surchargés ;
• Carence en enseignants qualifiés ;
• Infrastructures insuffisantes ou délabrées ;
• Absence de systèmes de soutien scolaire ;
• Méthodes d’évaluation trop rigides, peu inclusives.
Il est temps de mandater une évaluation indépendante, croisant les données régionales, socio-économiques, pédagogiques et psychométriques, pour comprendre avec précision les facteurs d’échec et orienter les réformes à fort impact.
Pourquoi élargir l’analyse au DEF ?
Le problème ne commence pas au lycée, mais bien plus tôt. Le Diplôme d’Études Fondamentales (DEF) constitue une première barrière. Si les élèves arrivent au secondaire avec un niveau faible, l’échec au bac est prévisible.
En 2022, seuls 58 % des candidats ont obtenu le DEF, ce qui signifie qu’environ 42 % échouent dès la fin du fondamental. Cela pose la question de l’efficacité de l’ensemble du système éducatif de base. Une réforme de l’évaluation doit donc intégrer à la fois le DEF et le Baccalauréat dans une approche cohérente, continue et progressive.
Estimation du coût d’un redoublement multiple
En moyenne, l’État dépense entre 150 000 et 200 000 FCFA par an et par élève du secondaire( données du ministère de l’éducation). Un élève qui suit normalement son cycle secondaire coûte environ 600 000 FCFA sur trois ans (de la 10e à la 12e).
Mais lorsqu’un élève redouble deux fois (par exemple en 10e et en terminale), le coût monte à environ 1 000 000 FCFA.
Cela représente 400 000 FCFA supplémentaires par élève. Si 30 000 élèves redoublent deux fois chaque année, cela engendre un surcoût de 12 milliards FCFA par an pour le Trésor public.
À cela s’ajoute un autre coût invisible mais tout aussi critique :
Les redoublements massifs contribuent directement à la surcharge des effectifs scolaires, avec pour conséquence des classes pléthoriques, souvent de plus de 80 élèves. Cela affaiblit considérablement la qualité de l’enseignement, rend l’encadrement pédagogique difficile, et oblige l’État à ouvrir davantage de classes et à recruter plus d’enseignants – quand il en a les moyens.
Ce phénomène alimente un véritable cercle vicieux : plus il y a d’échecs, plus le système est sous pression, et plus la qualité baisse, créant encore plus d’échecs.
Ce que d’autres pays ont fait : exemples inspirants
Plusieurs pays africains ont engagé des réformes éducatives courageuses pour relever ce défi.
• Rwanda : introduction des tests à choix multiples (QCM), digitalisation progressive, évaluation continue. Le taux de réussite au bac est passé de 26 % en 2011 à plus de 60 % en 2020.
• Tunisie : système mixte combinant examens finaux et contrôle continu, introduction de QCM dans les matières scientifiques.
• Sénégal : expérimentation d’épreuves numériques dans certaines zones urbaines, amélioration du contenu pédagogique et formation continue des enseignants.
• Maurice : système d’évaluation par compétences dès le secondaire, taux de réussite supérieur à 70 %, examens numérisés et adaptables.
Ces réformes ont permis non seulement de réduire les taux d’échec, mais aussi de maîtriser les coûts éducatifs tout en augmentant la qualité de l’enseignement.
Réformer l’évaluation pour améliorer la performance
Le système d’évaluation actuel, reposant sur des examens traditionnels longs et souvent déconnectés de la réalité pédagogique, doit évoluer. Parmi les pistes à explorer :
• Introduction progressive des QCM, notamment en sciences et langues ;
• Mise en place d’un contrôle continu pour lisser l’effort d’évaluation ;
• Digitalisation partielle des examens, avec des plateformes sécurisées ;
• Correction automatisée pour limiter les biais humains et réduire les délais de publication des résultats.
Ces réformes permettraient de réduire les coûts logistiques, d’améliorer l’équité et de renforcer l’efficience de l’école publique.
Conclusion : vers une réforme globale, lucide et inclusive
Il ne s’agit pas de maquiller les chiffres ou de gonfler artificiellement les taux de réussite. Il s’agit de donner un vrai sens à la réussite scolaire, d’assurer à chaque élève une évaluation équitable et utile, et de bâtir un système éducatif efficace, au service du développement du Mali.
Le moment est venu pour le Mali d’initier une réforme du baccalauréat et du DEF, adossée à une vision nationale claire, mobilisant les enseignants, les familles, les collectivités territoriales et les partenaires techniques. Une réforme qui associe l’intelligence locale et les meilleures pratiques internationales, pour faire enfin de l’école malienne un levier de progrès collectif, et non un cercle d’échecs budgétivores.
Harouna. Niang
Ancien Ministre Malien de l’Industrie, du Commerce et de la Promotion des Investissements