Interview: Moussa Mara décrypte les secteurs vitaux de l’économie Malienne

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(CROISSANCE AFRIQUE)À seulement 39 ans, Moussa Mara  est devenu le Premier ministre du Mali, établissant ainsi un record en tant que plus jeune cadre à accéder à cette fonction dans l’histoire du Mali. Auteur d’une dizaine d’ouvrages variés portant sur des thèmes tels que la gouvernance, l’économie, la culture, la décentralisation et les questions de jeunesse, l’ancien Premier ministre du Mali nous livre aujourd’hui son analyse sur le secteur stratégique du pays, mettant en lumière ses dynamismes et ses enjeux. (Interview).

Présentez-vous à nos lecteurs ?

Je suis expert-comptable de profession et à ce titre, associé du plus important cabinet de mon pays où je travaille depuis 28 ans maintenant. Mon cabinet travaille dans 15 pays d’Afrique. J’ai été secrétaire général de l’ordre des experts comptables, vice-président du Conseil comptable Ouest africain, membre du jury du diplôme régional d’expertise comptable pendant 15 ans et intervenant de nombreuses universités du Continent.

En tant qu’acteur politique, j’ai été maire et député de Bamako. Ensuite Ministre de l’urbanisme et de la politique de la ville. J’ai été Premier ministre du Mali à l’âge de 39 ans, ce qui a fait de moi le plus jeune de l’histoire de notre pays dans cette fonction.  Je suis auteur d’une dizaine d’ouvrages sur les thématiques très divers (gouvernance, économie, culture, décentralisation, questions de jeunesse…).

Chaque année, les ressources mobilisées par les huit (8) États membres de l’Union ne cessent de croître, et cette année, ils prévoient de lever une bagatelle de 10 000 milliards de FCFA sur le Marché des Titres Publics. Que représentez-vous ces chiffres?

En valeur absolue cela peut paraitre important mais rapporté aux besoins de nos pays, c’est le strict minimum pour nos pays. Il ne faut pas oublier que ces pays subissent depuis une dizaine d’année un recul très net de l’aide public au développement. Ils font face à des besoins croissants du fait de la démographie dynamique et de l’urbanisation sans oublier les impacts des changements climatiques sur nos ressources naturelles. Il y a ensuite pour plusieurs pays faisant face à des défis sécuritaires importants les obligeant à faire des efforts importants. Les besoins financiers issus de ces enjeux dépassent  largement nos possibilités intrinsèques, d’où le recours aux marchés financiers pour levers des ressources additionnelles. Avec malheureusement, la conséquence du coût de plus en plus croissant de l’endettement sur nos finances publiques. Le service de la dette est ainsi équivalent aux salaires des fonctionnaires pour le Mali avec environ 1000 milliards de FCFA soit le tiers des dépenses. Et il s’accroit !

Pensez-vous que les pays de l’UMOA (Union monétaire Ouest Africaine) nécessitent davantage de ressources, surtout en termes de mobilisation financière ? Et quels sont les défis qu’ils doivent relever ?

Absolument, car, pour certains Etats, dû aux contraintes relevées précédemment, les pays renoncent à des investissements significatifs aussi bien en termes d’infrastructures que de besoins sociaux. Mais il faudra des ressources à des conditions plus soutenables que celles des marchés financiers (taux d’intérêt de 6 voir 7 ou 8%). Il est urgent que la communauté financière internationale se penche sur la question des Etats au sud du Sahara de manière générale pour éviter des défauts de paiements dans les 4 ou 5 années à venir.

« L’environnement règlementaire lié à la politique monétaire constitue aussi quelques contraintes qui limitent leurs interventions »

Au titres des reformes structurelles, selon vous,  le Mali a-t-il besoin de reformes visant le secteur bancaires ? Quelle est la capacité de financement des banques Maliennes ?

Les banques maliennes comme leurs homologues de la région disposent de ressources courtes principalement, ce qui explique que la plupart de leurs concours sont à court terme (crédit documentaire, découverts, crédits de campagne, crédits à l’économie mais à échéance inferieure à 5 ans). Cela les rend inaptes à accompagner de grands projets d’investissement. Ensuite elles évoluent dans un environnement où les Etats concurrencent les entreprises pour collecter des ressources, ce qui les amène à céder à la facilité de financement public, les éloignant de l’économie réelle. L’environnement règlementaire lié à la politique monétaire constitue aussi quelques contraintes qui limitent leurs interventions. Nous devons travailler sur ces trois aspects pour amener le secteur à être plus contributif à la richesse. Dans notre zone la couverture du PIB par le financement bancaire  n’atteint pas 25% contre plus de 60% dans les pays avancés.

L’assurance est un secteur d’opportunités et d’engagement pour le monde de demain. Alors expert comptable et ancien premier ministre, quelles sont les pistes de solution préconisez-vous pour le secteur des assurances au Mali ?

Le travail d’explication, de sensibilisation et de persuasion est à faire par les assurances car ce secteur reste très méconnu dans nos pays. Elles doivent s’organiser mieux pour faire connaitre leur métier et amener les acteurs économiques en premier et ensuite les citoyens à percevoir leurs importances et à aller vers eux. Le second effort est à faire par les autorités pour accroitre le champ des assurances obligatoires afin de donner un coup de pouce au secteur. Enfin, il faut que les autorités, les compagnies et les consommateurs travaillent de concert pour accélérer les processus d’indemnisation, ce qui rendra plus attractif le secteur. Je n’oublie pas le secteur des assurances vie et des assurances personnelles qui connaissent un essor plus important que le métier traditionnel des assurances (IARD). Il est plus innovant et plus dynamique mais demeure encore une niche que nous devons soutenir pour l’étendre à la population dans sa diversité (secteur informel, artisans…), ce qui permettra d’ailleurs de mobiliser des ressources intérieures pouvant financer l’économie.

Monsieur le premier, la performance de toutes les économies est basée sur le développement industriel. Alors qu’aujourd’hui le Mali fait face à un manque criard de socle de développement industriel. C’est quoi la vision de Moussa Mara sur cette question ?

Sans industries, il est illusoire de penser résorber le chômage et le sous-emploi de la jeunesse. Et sans résorption de ces fléaux, notre pays ne connaitra jamais la stabilité. Pour vous dire l’importance de l’industrialisation pour un pays comme le Mali. Il faut penser cette question sur trois dimensions : institutionnel, partenarial et pragmatique. Sur le plan industriel, le Ministère en charge de l’industrialisation doit être prioritaire par rapport aux questions de commerce et dans nos discours, dans l’ordre protocolaire, dans les budgets alloués et l’attention accordée. Sur le plan partenarial, l’Etat doit travailler main dans la main avec l’organisation patronale des industries (OPI) et se fixer comme cadre unique de travail le livre blanc que celle-ci a publié il y a plus de dix ans et qui contient tout ce qu’il faut pour redonner à l’industrie malienne ses lettres de noblesse. Sur le plan pragmatique, il s’agit de saisir toutes les opportunités offertes, de les exploiter au maximum avec l’objectif de l’emploi massif pour les jeunes. Dans ce cadre il existe le secteur de l’or, première industrie du pays à ce jour sans oublier le secteur informel lié à l’or.

Il y a également l’agro-industrie et la transformation de nos produits agricoles en mettant en avant les filières porteuses (manque, karité, coton, gomme arabique…). Il y a enfin la dimension protection de nos industries pour leur donner des chances de succès. J’ajoute que l’industrie ne doit plu être comprise dans le sens classique du terme et à ce titre, de nombreux services urbains complémentaires et fonctionnant en chaine forment de véritables industries. En la matière nos villes, combinées avec les technologies, nous offrent de véritables chances pour nos jeunes.

Quelles analyses faites-vous pour remédier le secteur industriel de notre pays ?  Et en un mot, comment relancer l’industrie malienne ? Quelles volontés politiques ?

La volonté politique reste la clé. Et pour cela, il faut avoir la claire conscience que l’emploi des jeunes est le facteur décisif pour la stabilité de notre pays dans les décennies à venir. Même le terrorisme auquel nous faisons face est lié à ce problème au moins à 40%. La volonté politique est également nécessaire pour dépasser les conservatismes et les résistances de certains circuits économiques très puissants et fondés sur les importations. On ne peut pas s’enrichir avec les importations. Cela doit être clairement dit et la grande majorité de nos compatriotes sont à convaincre sur ce cap. Ce ne sera pas facile mais notre avenir économique passera par là.

Au premier trimestre de l’année 2025, le trésor du Mali a encaissé environ 1,4 milliards de dollars de recettes minières. Quelle gestion efficace proposez-vous dans une période de vache maigre ? Pour pérenniser cette abondance fiscale, que conseillerez-vous à l’Etat centrale du Mali ?  

En Période difficile, il faut d’abord faire preuve de transparence dans l’utilisation des recettes exceptionnelles. Je conseille à nos autorités de communiquer sur l’encaissement des ressources provenant du secteur minier par le trésor public et ensuite sur les différentes destinations de cette manne. Et si je peux faire une suggestion en la matière c’est de payer les centaines de milliards de FCFA que l’Etat doit à ses fournisseurs alors que ces sommes ne figurent même pas dans l’endettement officiel du pays. Cela donnerait de l’air aux acteurs économiques et à l’ensemble de l’économie.

Pour pérenniser les recettes fiscales et les accroitre, il faut consolider le secteur pour assurer une continuité dans les activités d’exploitation mais également d’exploration. Tant qu’on n’assure pas une production régulière d’or avec une ouverture régulière de nouveaux gisements on ne sera pas à l’abri de chutes significatives de production et donc de recettes dans les années à venir. Enfin, il ne faut pas oublier le secteur de l’orpaillage et d’exploitation informelle et souvent illégale d’or, qui brasse des sommes fabuleuses en dehors de toute contribution au trésor public tout en détruisant l’environnement. Nous avons là de véritables gisements fiscaux pour l’Etat.

Sur le plan commercial, nos commerçants ont des difficultés non seulement au niveau de l’importation, mais dans l’exportation des produits made in Mali. Quelle politique proposerez-vous aux autorités maliennes ? Surtout avec l’Agence pour la promotion de l’exportation (APEX-MALI), une vitrine du commerce extérieur pour le Mali. Quel mécanisme d’innovation proposez-vous à l’Etat du Mali pour que cette agence soit autonome?

L’agence est autonome mais ses moyens sont limités. Il existe également des projets de soutien à l’exportation qu’il faut accompagner. Donc plus de moyens, y compris humains et institutionnels, pour les acteurs du secteur. Mais le déterminant le plus important pour l’exportation reste l’innovation et la compétitivité. Nous devons savoir nous démarquer, être créatif tout en offrant des produits dont le coût tient la comparaison avec les autres. Nous avons quelques handicaps qu’il faut avoir le courage d’identifier et de traiter.

Dans ce domaine comme pour l’industrie, il faut être essentiellement pragmatique, connaitre là où nous avons des opportunités et les soutenir à fond. L’artisanat malien dans ses différentes dimensions, les métiers de la culture et certaines de leurs productions (cuisine, musique, arts décoratoires…) offrent des possibilités d’exportation.

Quant aux  Petites et moyennes entreprises ou industries, elles constituent le socle du développement économique d’une nation. Alors que celles du Mali ne suivent pas les cadences normales. Concrètement, c’est quoi, la solution de Moussa Mara en faveur des jeunes entreprises en herbes ?

Il y a une dimension institutionnelle en matière de soutien aux PME qui est souvent passée sous silence et que je vais développer car c’est stratégique. Exemple : celle des pouvoirs locaux. Pour moi, nous devons donner de la latitude et des moyens à nos régions pour développer et mettre en œuvre leurs stratégies de développement économique. Les PME sont souvent des acteurs économiques régionaux donc éloignés du pouvoir central. Les autorités régionales sont plus près, connaissent mieux et peuvent donc être plus efficaces que le pouvoir central pour soutenir les filières agricoles, aider les artisans, soutenir les PME exportatrices ou encore sensibiliser les populations locales à consommer local. Je crois que même dans la promotion des jeunes entreprises, le soutien aux startups ou aux créateurs innovants, le pouvoir local peut être un facteur décisif dans nos politiques publiques de développement économique. Enfin, cette situation créera une émulation entre les régions qui pourront se tirer vers le haut dans leurs volontés de promouvoir leurs économies respectives.

Encadré

Moussa Mara, expert-comptable de profession et associé du plus grand cabinet d’expertise comptable de son pays, cumule 28 années d’expérience. Son cabinet opère dans 15 pays à travers l’Afrique. En outre, il a occupé des postes éminents tels que secrétaire général de l’ordre des experts-comptables, vice-président du Conseil comptable ouest-africain, membre du jury du diplôme régional d’expertise comptable pendant 15 ans, et enseignant dans de nombreuses universités à travers le Continent. Sur le plan politique, Moussa Mara a été maire et député de Bamako, puis a occupé le poste de Ministre de l’Urbanisme et de la Politique de la Ville.

Réalisée par Daouda Bakary KONE

croissanceafrik
croissanceafrikhttp://croissanceafrique.com
Croissance Afrique (sarl) est un Média multi-support qui propose plusieurs rubriques axées sur l’actualité économique du continent. Le magazine est un journal (en ligne dont un mensuel disponible dans les kiosques à journaux) qui traite spécialement les informations financières dédiées à l’Afrique. Il est également le premier média malien spécialisé dans la production d’Informations Économiques, financières, Stratégiques, et orienté vers le reste du monde. Le Magazine a été fondé en Novembre 2017 à Bamako.

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