Par Magaye Gaye
Économiste international – Ancien cadre de la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD)
- UNE DÉCISION QUI IGNORE LES FONDAMENTAUX RÉELS DU PAYS
La récente dégradation de la note souveraine du Sénégal par l’agence Moody’s, abaissée à Caa1, a surpris plus d’un observateur attentif. Cette décision intervient pourtant à un moment charnière, où le pays a déjà entamé la production de pétrole et de gaz, deux leviers essentiels de son redressement budgétaire à moyen terme, dont les volumes vont croître progressivement dans les prochains mois.
Il est paradoxal qu’une telle sanction survienne alors que le Sénégal affiche l’un des profils économiques les plus prometteurs d’Afrique de l’Ouest : stabilité politique, démocratie solide, croissance structurelle soutenue, et position géographique stratégique entre l’Europe, le Maghreb et le Golfe de Guinée.
Le ratio dette/PIB, aujourd’hui évalué à environ 119 %, ainsi que le déficit budgétaire estimé à 14 %, sont incontestablement préoccupants. Mais ils s’expliquent largement par une conjoncture exceptionnelle — hausse des subventions énergétiques, investissements publics structurants, et inertie héritée des exercices précédents. Le nouveau gouvernement a déjà engagé un audit complet de la dette, une rationalisation des dépenses, et une politique de sincérité budgétaire. Ce sont là des signaux de redressement que Moody’s n’a pas suffisamment intégrés.
- UNE NOTATION SUBJECTIVE ET À GÉOMÉTRIE VARIABLE
L’un des problèmes structurels des agences de notation occidentales réside dans leur approche strictement rétrospective : elles jugent le passé, rarement l’avenir. Dans le cas du Sénégal, Moody’s a privilégié une vision comptable, sans tenir compte des perspectives économiques majeures déjà enclenchées.
À ce titre, fort de mon expérience au sein des institutions internationales, où j’ai eu à suivre pendant plusieurs années les processus de notation de contrepartie, je peux affirmer qu’une bonne notation doit, par principe, prendre en compte aussi bien le passé que le futur. En matière de finance et d’évaluation de projet, c’est même le futur qui doit peser davantage, car l’économie repose sur des anticipations et sur la capacité d’un pays à honorer ses engagements à moyen et long terme. Les agences de notation doivent se réformer en profondeur : leurs grilles d’analyse doivent intégrer la transformation économique réelle des pays, et non se limiter à une photographie comptable du passé.
Les exemples sont nombreux : certains pays européens dont la dette dépasse 110 % du PIB conservent des notes « investment grade ». Pourquoi ce deux poids, deux mesures lorsqu’il s’agit d’un pays africain ? La réponse tient autant à la subjectivité de l’analyse qu’à une certaine asymétrie systémique.
Les marchés financiers, eux, ne s’y trompent pas. Les investisseurs internationaux continuent de manifester leur confiance dans le potentiel sénégalais. Ils savent que la meilleure garantie, ce n’est pas une note imposée de l’extérieur, mais la qualité du projet, la stabilité de la nation et la vision économique du leadership. Le Sénégal reste un pays à haute crédibilité opérationnelle et à résilience prouvée.
- VERS UNE INGÉNIERIE FINANCIÈRE ET SOCIALE NATIONALE
Cette dégradation doit être perçue non comme un désaveu, mais comme une opportunité historique : celle de bâtir une souveraineté financière assumée. Le Sénégal peut et doit désormais se passer des filtres de légitimation occidentaux.
L’avenir réside dans la création d’une ingénierie financière nationale articulée autour de la mobilisation des ressources internes : fiscalité équitable, épargne populaire, diaspora bonds, partenariats public-privé endogènes, et surtout un fonds souverain national tourné vers les secteurs productifs.
L’Afrique a besoin de repenser son rapport à la notation et de promouvoir une agence de notation continentale, adossée à la Banque Africaine de Développement ou aux institutions régionales, qui évaluerait les États sur des critères adaptés à leurs réalités structurelles.
L’histoire retiendra peut-être que cette épreuve marquera un tournant : celui d’un Sénégal qui refuse la tutelle des paradigmes extérieurs et choisit de s’appuyer sur sa production réelle, sa gouvernance renouvelée et sa confiance en lui-même.
La véritable note du Sénégal n’est pas celle de Moody’s.
Elle se mesure à la foi, à la résilience et à la capacité de ce peuple à transformer les défis en puissance économique durable.