(CROISSANCE AFRIQUE)-Le récent package de mesures réglementaires adopté en Conseil des Ministres, incluant un prélèvement spécifique sur les opérations de retrait via le mobile money, a suscité de nombreuses discussions.
Selon les autorités, cette mesure vise à capter une partie des flux financiers considérables qui transitent par ce secteur afin de renforcer le financement du budget national, notamment pour soutenir le développement des infrastructures de base et du secteur social. D’ailleurs, un Fonds de Soutien aux Projets d’Infrastructures de Base et de Développement Social a été créé à cet effet. De sources bien informées, ce serait l’initiative du Fonds social présidentiel et son succès qui auraient encouragé le Président Goïta à soutenir sa création.
Revenons au sujet. Certes, le contexte économique est difficile et toute nouvelle taxe est dure à accepter. Cependant, il est crucial de noter que certaines taxes, comme celle sur l’accès aux télécommunications, s’alignent sur les pratiques de la région et permettent à l’État de mobiliser des ressources pour des secteurs stratégiques comme l’énergie et la défense. C’est une décision difficile, mais un choix courageux qui pourrait réduire le déficit public et offrir, à l’avenir, une marge budgétaire plus importante aux dirigeants à venir. C’est d’ailleurs peut-être pour cette raison qu’aucun acteur politique de premier plan n’a officiellement critiqué cette décision. Chacun sait qu’il fallait, tôt ou tard, revoir à la hausse ces taxes sur l’accès aux télécommunications et les prélèvements sur les transferts. En tout cas, j’ose espérer qu’ils le savent. Leur utilisation politique, elle, est une autre question…
Ce qu’on ne vous dit pas, c’est que les volumes financiers qui transitent par le mobile money rivalisent avec ceux du secteur bancaire traditionnel. Longtemps laissé sans imposition adéquate, ce secteur voit circuler des sommes colossales issues du secteur privé, mais aussi, et surtout, de sources moins licites comme le blanchiment d’argent, divers trafics et la fraude fiscale. Étant donné la difficulté à encadrer ces flux en raison de leur « mobilité », la taxation devient l’un des seuls moyens pour l’État d’en tirer profit.
Ainsi, les véritables cibles de cette taxation ne sont pas les petites transactions quotidiennes – même si elles seront inévitablement impactées – mais plutôt les flux financiers massifs, suivis de près par la (Cellule Nationale De Traitement Des Informations Financieres (CENTIF).
Baisser le coût des télécommunications pour compenser ?
Pour alléger la pression sur les citoyens, une mesure complémentaire pourrait être la réduction des coûts de l’internet et des communications, qui restent extrêmement élevés au Mali. En 2025, le prix moyen de 1 Go de données mobiles représente environ 21 % du revenu national brut par habitant. Comparons avec nos voisins :
- Burkina Faso : 14 %
- Niger : 13,5 %
- Sénégal : 5,23 %
- Côte d’Ivoire : 7,01 %
Le déséquilibre est frappant, y compris pour les appels. Il serait donc judicieux d’aligner nos coûts sur ceux de la région afin que l’impact de cette fiscalité sur le mobile money soit atténué par des coûts de communication plus accessibles.
Au départ, les prix élevés étaient justifiés par les investissements des opérateurs dans les infrastructures (fibre, antennes, agences). Lesdits opérateurs ont préféré le financer par la hausse des prix plutôt que par l’endettement. Mais vingt ans plus tard, ces investissements ont largement été amortis. Pourtant, les tarifs restent globalement inchangés, alors que les opérateurs continuent d’engranger des bénéfices colossaux. En 2023, Orange Mali a réalisé un chiffre d’affaires de plus de 500 milliards FCFA, soit une hausse de 12 % par rapport à 2022 !
Alors, comment faire baisser les coûts ? C’est là que réside la difficulté.
Le seul levier étatique serait la renégociation des licences, mais celles-ci ne seront pas revues avant plusieurs années :
- Orange : 2032
- Télécel : 2028
- Malitel Moov : 2024 (désormais sous contrôle de l’État à 56 %)
Seul Malitel Moov pourrait être utilisé comme levier concurrentiel pour tirer les prix vers le bas et forcer les autres opérateurs à s’aligner. Mais cela nécessiterait une modernisation massive et une vraie montée en gamme de ses services pour séduire les consommateurs.
Une opportunité manquée lors des négociations passées…
Le plus regrettable, c’est que ces baisses tarifaires auraient dû être mieux intégrées aux négociations lors des renouvellements de licences d’Orange, Malitel et Télécel en 2017, 2009 et 2013. Malheureusement, la priorité a été mise sur le montant du chèque à payer à l’État plutôt que sur l’amélioration du pouvoir d’achat des consommateurs.
Comme vous le voyez, la fiscalité, l’économie et la gestion financière ne sont pas des sujets simplistes. Méfiez-vous des discours qui voudraient vous faire croire qu’il suffit de dire « oui » ou « non » à une taxe pour résoudre tous les problèmes. Nous payons aujourd’hui des décennies de décisions incohérentes dans plusieurs secteurs.
Il est donc temps que l’AMRTP, le Ministère, les consommateurs et les opérateurs assument leurs responsabilités.
En définitive, cette mesure fiscale ne devrait pas être perçue uniquement comme une contrainte, mais comme une contribution au développement national. Toutefois, l’attention doit être portée sur les futures négociations avec les opérateurs pour réduire les coûts des services, afin d’améliorer le pouvoir d’achat des Maliens.
Cheick Oumar DIALLO – COD