Devant la détérioration de la situation sécuritaire du pays, beaucoup de Maliens ont trouvé en la France, dont l’attitude était déjà ambiguë, la source de tous leurs maux. Toutefois, les expériences de l’Allemagne nazie envers les Juifs et de la France contemporaine envers les immigrés nous ont révélé qu’il est très facile pour un peuple aux abois et en quête de réponse simple de fabriquer un ennemi pour lui imputer tous ses malheurs, au lieu de chercher à les résoudre patiemment. C’est une posture qui dédouane les tenants du pouvoir, puisqu’elle détourne l’attention du peuple des questions de bonne gouvernance, comme la santé, l’éducation, l’économie, la lutte contre la corruption, etc.
A Paris, certains politiciens français, à court d’idées électorales, ont voulu utiliser cette demande légitime de reconsidération de la coopération militaire franco-malienne comme « sentiment anti-français ». Pourtant, le président Modibo Keïta avait clairement exprimé la position du Mali dès le 22 septembre 1961, dans son discours prononcé à l’occasion du premier anniversaire de la proclamation de l’indépendance du Mali : « Nous ne faisons pas de l’anti-France, nous n’existons pas en fonction de qui que ce soit, nous nous refusons à ce sentimentalisme exagéré qui, en la circonstance, n’est que puérilité indigne du peuple mûr et fort qu’est le nôtre. Aujourd’hui que la France a évacué ses bases militaires installées chez nous, que notre indépendance a trouvé son couronnement, nous sommes prêts, en peuple souverain, à poursuivre la normalisation de nos rapports avec la République Française, et cela dans tous les domaines ».
Le malheur de la France est son arrogance désinvolte à l’égard des Etats africains. Au Mali, elle est justement en train de payer le prix de cette arrogance. Dans une démarche de surenchère politique et stratégique, elle s’est empressée de brandir la menace du retrait progressif de ses troupes comme une épée de Damoclès sur la tête des dirigeants actuels de la Transition. Ces derniers ont rapidement vu dans cet « abandon en plein vol » une aubaine inespérée pour justifier l’activation de l’option de l’intervention russe.
Ainsi, de l’hypothétique arrivée des mercenaires Wagner, la France offre sur un plateau d’argent des arguments crédibles au Mali pour aller tisser un partenariat direct avec la Fédération de Russie. Il est évident que Poutine, qui cherche à se venger des Occidentaux pour avoir osé le défier dans sa chasse-gardée (Géorgie, Ukraine, Biélorussie), ne se privera pas de continuer à emmerder la France dans la « sienne », surtout après le succès enregistré en Centrafrique, élément déclencheur d’ailleurs des sollicitations maliennes envers Moscou. Mais cette option est-elle sans risque pour le Mali ?
Aboubacar Abdoulwahidou MAIGA, Enseignant-chercheur à l’ULSHB