(Tribune)- Financement équilibré de l’éducation en Afrique : renforcer le public, responsabiliser le privé

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Par Harouna Niang, ancien Ministre de l’Industrie, du Commerce et de la Promotion des Investissements du Mali

(CROISSANCE AFRIQUE)-L’Afrique subsaharienne est la région du monde où les besoins éducatifs sont les plus pressants. D’ici 2050, plus d’un enfant sur trois dans le monde sera africain, selon les projections des Nations Unies. Pourtant, 98 millions d’enfants et de jeunes sont encore non scolarisés dans la région.

Alors que la dépense publique moyenne pour l’éducation représente à peine 4 % du PIB en Afrique subsaharienne, le financement par élève reste très faible : à peine 220 $ par élève du primaire contre 1 100 $ en Asie de l’Est, ou 8 500 $ dans les pays de l’OCDE. Cette réalité budgétaire oblige les États africains à repenser leurs modèles de financement éducatif, en recherchant un équilibre entre service public universel et implication régulée du secteur privé.

  1. Un système public sous pression, un secteur privé en expansion non régulé
    Les États africains consacrent en moyenne 16 % de leurs budgets nationaux à l’éducation, mais ces sommes restent insuffisantes au regard de la croissance démographique et des besoins en enseignants, infrastructures et manuels scolaires. Résultat : classes pléthoriques, déficit de qualité, abandon scolaire, surtout en milieu rural.

Face à cela, le secteur privé a pris une place croissante : dans des pays comme la Côte d’Ivoire ou le Cameroun, plus de 30 % des élèves du primaire sont inscrits dans des établissements privés. Au Mali, ce taux atteint près de 27 % au niveau secondaire.

Mais cette dynamique s’est faite sans régulation systématique, créant des disparités de qualité, des frais de scolarité souvent prohibitifs, et parfois des dérives commerciales contraires à l’éthique éducative.

  1. Des pays qui ont réussi à équilibrer public et privé
    2.1 Ghana : subventionner les écoles privées communautaires
    Le Ghana a intégré certaines écoles privées à faible coût dans le système public par le biais de subventions conditionnelles, notamment dans les zones rurales. En échange, ces écoles doivent accepter les élèves sans discrimination, appliquer les programmes nationaux et permettre les inspections officielles. Résultat : amélioration de la qualité sans hausse drastique des dépenses publiques.
  2. 2. Ouganda : les partenariats public-privé (PPP)
    Le pays a lancé un programme d’éducation secondaire universelle (USE) en 2007, où l’État finance la scolarité des élèves dans des écoles secondaires privées agréées. Ce système permet à des milliers d’élèves défavorisés d’accéder à l’enseignement secondaire, tout en maîtrisant les coûts. Limite : nécessité d’un contrôle rigoureux pour éviter les abus. 2.3 Inde : système de « bons scolaires » et quotas sociaux
    En vertu du Right to Education Act, l’Inde oblige les écoles privées à réserver 25 % des places aux enfants défavorisés, financées par l’État. Ce système de « voucher ciblé » vise à promouvoir la mixité sociale et élargir les opportunités éducatives tout en maintenant la qualité.
  3. Ce que l’Afrique peut faire : un modèle hybride, inclusif et régulé
    Voici les piliers d’un modèle africain de financement équilibré :
  • Accès universel : Gratuité du préscolaire et du primaire publics / Écoles privées à faibles coûts subventionnées
  • Qualité : Normes nationales et formation des enseignants / Innovation pédagogique
  • Ciblage social : Bourses pour les familles pauvres / Intégration d’enfants défavorisés dans le privé
  • Financement innovant : Fonds éducatifs nationaux / Crédits d’impôt, dons RSE des entreprises, diaspora bonds
  • Régulation : Cadre légal, inspections / Respect des normes de qualité et des droits fondamentaux
  1. Proposition concrète : Fonds africain pour l’éducation équitable
    Les États africains devraient créer un Fonds National ou Régional pour l’Éducation Inclusive, alimenté par :
  • Une taxe sur les services téléphoniques ou mobiles (ex. : le Mali a mobilisé 24 milliards FCFA en 2025 via un fonds alimenté par mobile money)
  • Les contributions RSE obligatoires des grandes entreprises
  • Des obligations diasporiques ciblées
  • Des partenariats avec des fondations internationales
  1. Conclusion : souveraineté éducative, équité sociale
    Le défi africain n’est pas seulement de financer l’éducation, mais de la financer intelligemment, équitablement, durablement. Cela suppose un modèle qui :
  • Renforce les capacités du public,
  • Valorise le privé à mission éducative,
  • Protège les plus vulnérables,
  • Et fait de l’éducation un levier de souveraineté, de prospérité et de cohésion sociale. Sources :
  • 1. UNESCO Institute for Statistics (UIS), Out-of-school children, 2023.
  • 2. Banque mondiale, World Development Indicators: Education expenditure, 2024.
  • 3. UNICEF & PASEC, Rapport Afrique subsaharienne : qualité de l’éducation de base, 2022.
  • 4. Innovations for Poverty Action, Subsidizing Private Schools in Ghana, 2020.
  • 5. Ministry of Education Uganda, USE Program Evaluation, 2019.
  • 6. Mali Actu, Fonds de Soutien Patriotique pour l’Énergie, juillet 2025.

H. Niang

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Croissance Afrique (sarl) est un Média multi-support qui propose plusieurs rubriques axées sur l’actualité économique du continent. Le magazine est un journal (en ligne dont un mensuel disponible dans les kiosques à journaux) qui traite spécialement les informations financières dédiées à l’Afrique. Il est également le premier média malien spécialisé dans la production d’Informations Économiques, financières, Stratégiques, et orienté vers le reste du monde. Le Magazine a été fondé en Novembre 2017 à Bamako.

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