Interview Croissance Afrique avec Imen CHAANBI, Experte géopolitique, géostratégie et veille stratégique,-(Exclusive)

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(CROISSANCE AFRIQUE)-Imen chaanbi est directrice de 5WE consulting et de Strategik.IA plateforme de veille stratégique. Experte en géopolitique et géostratégie, elle nous a accordé un entretien pour évoquer les enjeux géopolitiques et sécuritaires dans une Afrique en pleine mutation économique. Dans cet interview Imen chaanbi décrypte l’actualité du Sahel et son environnement régional. A lire

« Sur le plan financier, les monnaies africaines restent très vulnérables aux fluctuations des devises internationales »

Que pensez de la nouvelle situation géopolitique et géo-financière de l’Afrique ?

Iman Chaanbi : L’Afrique est au cœur d’un basculement géopolitique où de nouveaux acteurs redéfinissent les rapports de force. Alors que les puissances occidentales, notamment l’Union européenne et les États-Unis, voient leur influence s’éroder, des acteurs comme la Chine, la Russie, la Turquie, l’Inde et les Émirats arabes unis accroissent leur présence, souvent par des investissements stratégiques (infrastructures, énergie, télécommunications).

La Chine, par exemple, détient aujourd’hui une part importante de la dette de plusieurs États africains et pilote des projets à haute valeur stratégique comme la ligne de chemin de fer Addis-Abeba-Djibouti. Cette dépendance financière crée des zones de tension, mais elle offre aussi à certains pays africains des marges de manœuvre face à l’hégémonie occidentale. Sur le plan financier, les monnaies africaines restent très vulnérables aux fluctuations des devises internationales, ce qui rend le continent sensible aux décisions des grandes banques centrales comme la Fed ou la BCE.

« Si l’architecture technologique reste entre les mains de GAFAM ou d’acteurs chinois comme Huawei, alors oui, l’intelligence économique africaine est fragilisée »

Avec l’arrivée massive des logiciels d’intelligence artificielle en Afrique, l’intelligence économique est-elle menacée ?

Iman Chaanbi : L’introduction massive de l’IA en Afrique est ambivalente. D’un côté, elle permet une amélioration de la collecte, du traitement et de l’analyse des données stratégiques. Des pays comme le Rwanda ou le Kenya s’appuient déjà sur des technologies d’analyse prédictive dans l’agriculture ou la santé.

Mais le risque est réel : l’IA est largement dominée par des logiciels et plateformes développés hors du continent. Cela signifie que des données sensibles peuvent être collectées, hébergées et analysées ailleurs, affaiblissant la souveraineté informationnelle des États africains. Si l’architecture technologique reste entre les mains de GAFAM ou d’acteurs chinois comme Huawei, alors oui, l’intelligence économique africaine est fragilisée, car la maîtrise des flux informationnels est une composante centrale de la puissance.

« La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) représente une opportunité majeure »

En tant qu’experte en géopolitique, selon vous, l’Afrique pourra-t-elle se sauver de la nouvelle donne qui menace le commerce mondial ?

Iman Chaanbi : Le commerce mondial est de plus en plus fragmenté, avec une montée du protectionnisme, des tensions entre puissances et des chaînes d’approvisionnement plus vulnérables. Dans ce contexte, l’Afrique peut se repositionner, mais à condition de renforcer son intégration régionale.

La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) représente une opportunité majeure. Si elle est mise en œuvre de manière cohérente, elle permettra aux États africains de réduire leur dépendance vis-à-vis des marchés extérieurs. Mais cela suppose d’harmoniser les politiques douanières, d’améliorer les infrastructures logistiques et de créer de véritables chaînes de valeur africaines. Sans cela, les déséquilibres structurels (faible industrialisation, dépendance aux exportations de matières premières) continueront d’exposer le continent aux chocs extérieurs.

« renforcer les capacités de négociation des États africains dans les grandes enceintes internationales comme l’OMC »

Avec des nouvelles taxes de l’administration Trump qui ont bouleversé les bourses mondiales et le commerce international, quelles analyses faites-vous pour éclairer les dirigeants et acteurs du commerce intra-africain ?

Iman Chaanbi : La politique de Trump a renforcé les logiques de repli national, de guerre commerciale, et de désengagement vis-à-vis du multilatéralisme, laissant des traces durables sur le commerce international. Elles ont montré que les marchés pouvaient rapidement se déstabiliser sous l’effet de décisions unilatérales. L’Afrique doit en tirer plusieurs leçons.

D’abord, ne pas sur-dépendre des marchés extra-africains. Ensuite, investir dans la production locale pour réduire la vulnérabilité aux politiques tarifaires extérieures. Enfin, renforcer les capacités de négociation des États africains dans les grandes enceintes internationales comme l’OMC. Le Nigeria, par exemple, doit équilibrer ses engagements internationaux avec les besoins de son marché intérieur. Une diplomatie commerciale offensive est indispensable.

« La Libye post-Kadhafi a amplifié la circulation des armes vers le Niger, le Mali, le Burkina Faso »

Quelle explication donnez-vous à la question sécuritaire en Afrique ? Quels rôles doivent jouer les dirigeants du continent ?

Iman Chaanbi : La question sécuritaire en Afrique est multiforme. Elle combine conflits identitaires, enjeux liés aux ressources, défaillances étatiques, et interférences extérieures. Le Sahel est aujourd’hui l’épicentre de cette instabilité, avec des groupes armés qui prospèrent sur la faiblesse des États. La Libye post-Kadhafi a amplifié la circulation des armes vers le Niger, le Mali, le Burkina Faso.

Les dirigeants africains doivent assumer une stratégie de sécurité continentale. Cela passe par une réforme de l’Union africaine sur les questions de défense, une mutualisation des forces (comme les forces unifiées des Etats l’AES « Alliance des Etats du Sahel« , fondée par le Mali , le Niger le Burkina Faso, qui ont été déjà matérialisée et qui seront bientôt opérationnelle), mais aussi une politique de renseignement et de cybersécurité à l’échelle régionale. Par ailleurs, la sécurité ne peut être dissociée du développement. Tant que les populations locales seront marginalisées ou perçoivent l’État comme une entité prédatrice, les groupes armés continueront d’apparaître comme des alternatives crédibles.

Réalisée par Daouda Bakary KONE

croissanceafrik
croissanceafrikhttp://croissanceafrique.com
Croissance Afrique (sarl) est un Média multi-support qui propose plusieurs rubriques axées sur l’actualité économique du continent. Le magazine est un journal (en ligne dont un mensuel disponible dans les kiosques à journaux) qui traite spécialement les informations financières dédiées à l’Afrique. Il est également le premier média malien spécialisé dans la production d’Informations Économiques, financières, Stratégiques, et orienté vers le reste du monde. Le Magazine a été fondé en Novembre 2017 à Bamako.

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